On l’attendait fébrilement, ce jeu. Et enfin, le voilà. Avec Syberia 3, Benoît Sokal (que nous avons eu la chance d’interviewer) nous propose de suivre les aventures de Kate Walker, jeune avocate qui, dans les deux précédents volets, devait aider Hans Voralberg, un inventeur génial, à réaliser son rêve : retrouver les derniers mammouths encore en vie sur l’île de Syberia. Les jeux étaient des point’n’click pleins d’humanité, aux décors sublimes qui appelaient à l’aventure. Près de quinze ans plus tard, la belle aventurière aux faux-airs de Lara Croft nous revient. Alors, retour gagnant ?
Syberia 3 – La politique de l’autruche.
En Sibérie, l’hiver dure douze mois. Le reste, c’est l’été (proverbe russe).
Tout commence au cours d’une tempête sibérienne. Kate Walker est surprise par la catastrophe et manque de passer de vie à trépas. Elle doit son salut à une caravane de Youkols, peuple autochtone imaginaire, qui effectue une transhumance pour permettre à leurs autruches des neiges de se reproduire. Notre héroïne se réveille alors dans un hôpital et fait la rencontre de Kurk, le jeune guide Youkol. Liant amitié, Kate décide d’aider la caravane à accomplir son devoir sacré. Cependant, le mode de vie libre des Youkols n’est pas du goût de tout le monde, et Kate se met à susciter plus d’attention qu’elle ne le voudrait.
Le jeu entame un nouvel arc avec Syberia 3. Exit Hans Voralberg et les mammouths, Kate a trouvé un nouveau sens à ses aventures. Les joueurs qui découvrent la série avec cet épisode ne seront donc pas largués, l’intrigue étant simple à suivre. Tout au plus, quelques clins d’œil aux précédents épisodes sont-ils lâchés au détour d’une conversation, mais rien qui pourrait exclure les nouveaux arrivants.
Syberia 3 est un jeu d’aventure dans lequel nous nous dirigeons dans des décors en 3D. Le point’n’click d’antan a évolué pour se rapprocher d’une formule à la Telltale, avec des dialogues à choix multiples qui auront divers effets sur vos interlocuteurs, indiqués dans une pop-up qui apparaît en haut de l’écran. Kate est une cérébrale, pas une bourrine. Aussi, elle devra résoudre des énigmes à la difficulté croissante, mais toujours logiques. Pas question ici de jouer les McGyver en scotchant un âne à une voiture pour ouvrir une porte. Les énigmes ne sont pas loufoques comme dans les productions traditionnelles du genre (Broken Sword et Monkey Island en tête).
Le monde de Syberia 3 est envoûtant avec sa direction artistique de haute volée. Le character design des personnages est une réussite. Ils ont tous des gueules, de la personnalité, et cela contribue à les rendre très humains. De même, les décors sont superbes, et chaque écran est prétexte à un tableau qui régale les mirettes. Par ailleurs, la musique du jeu est une de ses plus grandes réussites. Les compositions oniriques d’Inon Zur parviennent à être apaisantes tout en conservant des envolées lyriques qui font frissonner. Le thème musical de Kate justifie à lui seul l’achat de l’OST.
Syberia 3 jette un froid sur nos rêves d’aventures.
Syberia 3 a des qualités indéniables. Mais hélas, ses défauts sont très nombreux et handicapants. Le premier est le plus impardonnable car il plombe le point fort du titre : le jeu est daté techniquement. Il n’est pas question de graphismes laids, car même le jeu le plus limité graphiquement peut être agréable à l’œil avec une bonne direction artistique (et Syberia 3 a une direction artistique divine). Il est question de tares techniques qui tirent le joueur de l’immersion, d’un défaut qui ruine l’expérience complète et entre en conflit avec toute la partie artistique du jeu. Chutes de frame-rate, clipping, ombres hasardeuses, bugs d’affichage… Syberia 3 prend des allures de catalogue de glitchs.
Par ailleurs, la maniabilité est capricieuse. Kate est pataude, et rechigne à répondre à nos injonctions. C’est encore pire quand la caméra semi-fixe change d’angle ou quand vous vous retrouvez devant des escaliers (parfois Kate refusera de grimper les marches. Peut-être une phobie ?) ce problème de jouabilité se met en travers de la résolution d’énigmes. Vous devrez parfois effectuer des rotations avec le stick, mais la jouabilité imprécise vous fera souvent rager et vous devrez vous y reprendre à plusieurs fois pour effectuer une action aussi simple que dévisser un boulon.
Les animations des personnages sont rigides, et là encore, c’est la technique du jeu qui s’amuse à saborder l’excellent travail artistique effectué. Les personnages ressemblent plus à des automates (mozza) qu’à des humains avec leurs mouvements erratiques. Par ailleurs, le doublage très inégal achève de leur retirer le peu de vie qui leur reste. Si Kate est très bien doublée par une Françoise Cadol à la voix de velours, ce n’est pas le cas de la quasi totalité du casting. Les comédiens se contentent du strict minimum, oscillant entre l’anecdotique et le franchement très mauvais.
Enfin, le jeu souffre de multiples temps de chargements parfois trop longs et surtout trop nombreux. C’est un problème particulièrement rageant quand vous devez faire des allers-retours dans une zone. En plus d’être irritants, ces temps de chargement cassent le rythme du jeu, en même temps que les c… pieds du joueur. Enfin, nous avons constaté deux bugs particulièrement mauvais, qui stoppent la progression. Il nous est arrivé qu’un prompt contextuel n’apparaisse plus, nous empêchant d’interagir avec les éléments du jeu et bloquant la progression. Dans le même ordre d’idées, il est arrivé que le jeu ne reconnaisse plus la touche rond du pad de la rutilante PlayStation 4 sur laquelle le test a été effectué. Difficile de faire plus gênant.
Conclusion Syberia 3
Quel dommage ! Syberia 3 aurait dû être un excellent jeu. Il aurait dû être le porte-étendard du point’n’click nouveau. Il aurait dû remplacer les jeux Telltale dans nos esprits. Le titre a des qualités, particulièrement artistiques. Il est attachant, son univers est solide, ses personnages sont sympathiques. Mais hélas, la technique ne suit pas. Or, un jeu, ce n’est pas qu’une vision artistique. Syberia 3 méritait mieux que ce retour en demi-teinte. Il devait être le nouveau mètre-étalon de l’aventure. Au final, il n’est qu’un jeu qui a loupé de peu le coche. Un peu comme les jeux de la série Sherlock Holmes. Des titres dont on peut sentir l’envie de bien faire, dont on perçoit le potentiel, mais qui échouent à le réaliser. Quel gâchis…