Sortis respectivement en 1995 et 1998 sur PlayStation au Japon, les deux premiers Suikoden se sont forgés une aura culte, sans jamais atteindre la popularité des mastodontes que sont Final Fantasy et Dragon Quest. Deux titres au style beaucoup plus sobre que certains des classiques du genre de l’ère PS1, mais qui ont tout de même marqué toute une frange de joueurs.
Presque trente ans plus tard, Konami nous propose Suikoden I & II HD Remaster: Gate Rune and Dunan Unification Wars. Une compilation qui vise à remettre en lumière ces deux jeux devenus fantômes, coincés jusqu’alors dans les limbes de l’émulation ou de versions physiques PAL hors de prix. Graphismes retravaillés, sound design enrichi, quelques options de confort, et voilà le retour d’un duo de J-RPG que l’on cite souvent parmi les plus grands. Reste à savoir si ce dépoussiérage suffit à rendre justice à leur héritage, et si ces propositions sont toujours pertinentes aujourd’hui.
(Test du jeu Suikoden I & II HD Remaster: Gate Rune and Dunan Unification Wars sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
108 nuances de révolutionnaires
Là où la plupart des J-RPG de l’époque vous collaient un héros amnésique sur les bras en quête de tuer Dieu, Suikoden I & II: HD Remaster vous confie un leader. Un leader malgré lui, contraint par le destin, par la guerre, par l’effondrement d’un monde qu’il croyait comprendre. Un leader qui sera le pilier du soulèvement révolutionnaire à venir pour défaire le pouvoir corrompu en place.
Le recrutement tout au long de l’aventure, des 108 Étoiles de la Destinée qui seront vos alliés — en clin d’œil au roman chinois Au bord de l’eau — est la mécanique qui fait l’intérêt de la franchise : vous pourrez admirer la diversité des parcours, des cultures et de l’humanité qui se (re)construit en marge des conflits. Chaque personnage, même le plus anecdotique, a sa place dans cette grande mosaïque.
Ils rejoindront votre château, QG de votre armée, et serviront soit à débloquer des fonctionnalités dans celui-ci (magasins, mini-jeux, activités inutiles), soit de camarades au combat. Le tout étant enrobé d’un gameplay plus que classique pour le genre : tour par tour, sorts à lancer, mappemonde et combats aléatoires.
Saluons l’effort de variété dans les mécaniques : les duels et les batailles d’armée viennent casser le rythme classique des J-RPG de l’époque en ponctuant les événements importants de l’histoire. Même si ça reste très simpliste en se basant sur un système de pierre-feuille-ciseaux.
La révolution à ses limites
Le premier épisode bénéficie pour la première fois d’une traduction française, et malgré son statut culte, accuse aussi le poids de son écriture naïve. Les situations se résolvent en un clin d’œil, de même que les décisions du héros qui donnent l’étrange impression de participer à une pièce un peu absurde, où tout est joué d’avance.
Et puis, il y a ces fameux “choix” de dialogues, trop souvent cosmétiques, qui donnent l’illusion d’une interaction sans réelle conséquence. Ajoutons à cela des formulations comme “instinct de femme” qui n’ont franchement pas très bien vieilli.
Ces deux critiques restent relativement valables pour Suikoden II, mais dès les premières minutes de celui-ci, la différence de ton saute aux yeux : flashbacks, tension dramatique, horreur de la guerre… L’écriture gagne en nuance, le propos en gravité et la mise en scène en ambition. Malheureusement, cette montée en puissance narrative n’est pas toujours soutenue par le reste.
Les dialogues multiplient encore les choix sans impact réel, voire punitifs, histoire de bien frustrer les plus curieux. Et que dire des batailles stratégiques, qui cette fois se transforment en tactical rudimentaire, supposées gagner en profondeur par rapport au précédent opus, mais que l’on passe en mode auto sans rien y perdre ? Elles deviennent vite interminables, répétitives, et sans saveur. Heureusement, elles restent rares.
Côté personnages, tout n’est pas non plus à la hauteur. La relation fratricide entre notre héros et son ami d’enfance ne paraît pas très cohérente dans son développement, au point qu’elle en est cousue de fil blanc. Le traitement de Jilia, par exemple, lui aussi, ne brille pas vraiment par sa subtilité, recyclant des archétypes usés sans vraiment les questionner.
Malgré tout, le cœur de ces deux aventures reste fort. Les 108 étoiles, la « gestion » du QG, le lien avec les personnages recrutés donnent du liant à l’ensemble. Même s’il est impossible de faire le 100 % sans soluce, certains personnages cachés sont si obscurs qu’il faudrait vivre dans l’utopie du revenu universel de Benoît Hamon pour avoir le temps d’obtenir les vraies fins sans « tricher ».
Un coup d’État tout en sobriété
Suikoden I & II HD Remaster profite d’une refonte visuelle très agréable, surtout pour les effets d’ombres et de lumières ajoutés (principalement dans le deuxième titre), le travail de refonte sur le sound design est lui aussi à relever, ajoutant beaucoup à l’ambiance des jeux.
Concernant l’ergonomie, notons la présence du sprint directement débloqué pour Suikoden I, de sauvegarde auto, d’un historique de dialogue et de l’indispensable accélération des combats. Par contre, la gestion des inventaires est totalement à revoir : c’est une calamité dans le premier opus, vous passerez votre temps à échanger des objets entre vos personnages. Sa suite, lui, profite de l’ajout d’un sac commun à l’équipe qui rend le tout supportable.
Mais le plus gros point noir reste peut-être l’absence de contenu inédit et rien pour célébrer le patrimoine que ces jeux incarnent. Pas de bonus marquants, pas de contenu éditorial, pas d’effort muséal à la hauteur de l’héritage de ces deux titres. Seules les musiques et les cinématiques sont accessibles dans le menu principal. Konami a clairement opté pour la sobriété, voire l’austérité, là où on espérait une célébration.
Reste que, malgré ces manquements, l’essentiel est là : Suikoden I et II sont à nouveau disponibles, accessibles, jouables dans de très bonnes conditions, sans avoir à passer par l’émulation ou des consoles d’un autre âge. Et rien que pour ça, ce remaster mérite d’exister.
Ce Suikoden I & II HD Remaster: Gate Rune and Dunan Unification Wars n’a rien d’une révolution. Ce n’est pas une restauration luxueuse façon Live A Live ou Dragon Quest III HD-2D. Mais le travail sur les effets visuels et la partie sonore reste remarquable, contrairement à celle sur les interfaces.
Si vous êtes un amateur de J-RPG à l’ancienne, vous prendrez votre pied à (re)découvrir ces deux classiques. Le système de QG grandissant au fil de notre aventure et le recrutement des 108 étoiles font le gros plus par rapport à la concurrence, et l’on comprend aisément pourquoi ils ont marqué leur époque. Si, par contre, vous vous attendez à un choc esthétique et artistique à la Xenogears, les Final Fantasy de l’ère PS1 ou encore Vagrant Story, peut-être devriez-vous passer votre chemin.