Voilà plus de huit ans qu’Arkham Knight est sorti. Troisième volet d’une trilogie qui a rebattu les cartes du jeu de super-héros, et plus généralement du jeu à licence, la série est depuis restée sans héritier. Certains l’ont copiée, parfois avec talent (le Marvel Spider-Man d’Insomniac), mais aucun titre n’a encore vraiment su prendre le relais. Les regards se sont un temps tournés vers Gotham Knights, mais le jeu, bien qu’au final plutôt sympathique, n’avait pas l’ampleur, ni les épaules, pour assumer ce rôle de prétendant au trône.
Parce qu’il est signé des créateurs même de la saga Arkham, le studios Rocksteady, Suicide Squad: Kill the Justice League cristallisait beaucoup d’espoirs des amateurs du Batverse, et des joueurs en général. Hélas, dès les premières présentations, il a fallu se rendre à l’évidence que le studio ne renouvellerait pas son coup de maître. Rebondir après Arkham, une mission suicide ?
(Test de Suicide Squad: Kill the Justice League réalisé sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Leave Britney Batman alone !
Alors qu’il a été le porte-étendard du super-héros en jeu vidéo, et même celui des licences utilisées avec intelligence (contrairement à de nombreuses adaptations les précédant, les jeux Arkham ne venaient pas servir de merchandising à un film), le média a décidé de se défaire de l’ombre trop imposante du Chevalier Noir, et de le sacrifier sur l’autel du renouveau.
Ainsi, après avoir été tué dans Gotham Knight, Batman apparaît trahissant tous ses principes dans ce Suicide Squad: Kill the Justice League. On le verra alors exécuter des civils sans aucun état d’âme, lui, pour qui le fait de tuer représente un tabou primordial. Mais il n’est pas le seul, puisque Superman ou Green Lantern sont eux aussi passés du mauvais côté tandis que Flash est, au début de l’aventure, mourant…
Metropolis (la ville de Superman) a en effet été envahie par Brainiac, qui a asservi la plus grande partie de la Justice League. Et autant dire qu’essayer d’arrêter ces personnages parmi les plus puissants de la planète a tout d’une mission suicide…
Planet Hollywood
Le Suicide Squad, formé de Deadshot, Captain Boomerang, King Shark et Harley Quinn, est ainsi chargé de remettre les héros au pas. C’est une partie des personnages popularisés par les films de 2016 et 2021 qui a été choisie pour former l’équipe du jeu, même si l’on aurait aimé qu’un ou deux personnage(s) un peu moins en vue soit aussi de la fête, comme Cheetah, l’Enchanteresse, ou Black Manta…
On retrouve assez vite le talent de Rocksteady à la mise en scène. Les cutscenes sont drôles et très ancrées dans l’univers DC, ce qui ravira les fans. Si Harley Quinn est un poil agaçante, comme souvent dans ses autres apparitions, le premier degré complètement naïf de King Shark est vraiment drôle, tout comme Deadshot quand il s’énerve de se voir confondu avec Deathstroke…
Une mise en scène d’autant plus efficace qu’elle peut compter sur des modèles 3D très convaincants. Les expressions des personnages sont très bien rendues et participent au fait qu’on rentre assez facilement dans l’histoire, même si elle est finalement assez basique, et reprend le ton général du film de 2021, porté autant sur l’action que sur la comédie. Un aspect narratif qui nous fera d’ailleurs regretter que le jeu ne soit pas une vraie grande aventure solo.
Fort(dark)nite
Car le jeu est bizarrement pensé, en termes de gamedesign. On peut tout à fait en profiter comme un jeu solo, apprécier toutes ses qualités de mise en scène, de dialogues, … , en contrôlant les personnages selon ses préférences : en se concentrant sur l’un d’entre eux, ou en passant de l’un à l’autre, comme on pouvait le faire dans Gotham Knight.
D’ailleurs, contrairement à Gotham Knight, malgré un schéma général assez identique, chaque personnage aura de vraies spécificités, changeant à la fois les stratégies de gameplay, mais aussi les sensations manette en main : Deadshot pourra dégainer une arme à longue portée, quand King Shark déclenchera une onde choc en se projetant avec force au milieu des ennemis, les renversant au passage. Captain Boomerang bénéficiera d’une « super vitesse » lui permettant de quasiment se téléporter plusieurs mètres en avant, et Harley traversera la ville avec un système de déplacement très proche de celui de Batman dans la trilogie Arkham.
Car, c’est l’une des trouvailles du jeu, chacun des personnage emprunte son matériel à des membres de la Justice League, ce qui donne cette variété dans le gameplay, mais aussi la possibilité d’avoir des avatars plutôt funs mélangeant divers personnages, comme cette Harley en armure de Wonder Woman.
Les skins, justement, sont symptomatiques de l’autre facette du jeu : le multijoueur. Car le jeu adopte aussi des mécaniques de jeu service, voire de free-to-play. C’est vrai dans son économie (Battle Pass…), mais aussi dans son gameplay. On pourra ainsi collaborer avec d’autres joueurs qui occuperont les rôles de nos coéquipiers dans le Squad – ce qui est assez logique ; on rappelle que cette possibilité avait largement manqué à Gotham Knights à sa sortie.
Mais surtout, c’est le genre même du jeu qui adopte un profil de jeu multijoueurs : Suicide Squad: Kill the Justice League est un TPS, un jeu de tir. Un simple jeu de tir, a-t-on même envie d’ajouter.
Tire d’abord, pose tes questions après
Et malgré la présence de très nombreuses armes différentes (regrettables mécaniques de f2p obligent…), et un déplacement à grande échelle façon Spider-Man assez réussi, le système de jeu est assez limité. Le titre conserve, de façon peut-être un peu forcée, la mécanique de « contre » introduite par Arkham Asylum, mais celle-ci se limite à presser une fois de temps en temps « RB » plutôt que « RT ». Comme proposition de gameplay, on aura vu mieux.
Le jeu se montre très vite répétitif, même si l’introduction de petites nouveautés, comme la possibilité (scriptée) d’utiliser des véhicules lors de certaines missions, tentent de casser cette monotonie. Et en solo comme en multi, on ne voit pas bien la différence. Le bestiaire est aussi relativement limité, et on rencontre très souvent les mêmes ennemis, qui régissent de la même manière aux mêmes attaques. On traverse la ville jusqu’à un point d’intérêt indiqué sur notre radar, on s’adonne à un affrontement, et on recommence… Pas désagréable, pas complètement loupé, mais pas franchement excitant non plus.
Wrong Turn
Est-ce que le jeu n’est pas finalement victime d’une direction qui n’a pas été assumée jusqu’au bout ? Sans être dans le secret des studios, une fois en jeu, on a l’impression de jouer à un hybride maladroit entre un jeu AAA classique et un free-to-play multijoueur façon Fortnite ou Anthem, la filiation avec ce dernier étant d’autant plus marquée que le jeu propose un gameplay tout en verticalité, avec ses jet-packs ou autres sauts chargés.
On a cette sensation que le titre a d’abord été pensé comme un concurrent de ces grands succès du jeu service, mais que face à la levée de boucliers des joueurs qu’on a constatée lors de la parution des premières images, il a été rapidement repensé pour intégrer une part plus importante de jeu solo, tentant alors maladroitement de porter son trop lourd héritage.
Le titre pose alors une question compliquée : faut-il systématiquement écouter les joueurs ? Ne pas le faire, c’est prendre le risque que son jeu soit boudé et devienne un échec commercial. Mais écouter des gens dont le métier n’est pas le développement de jeux vidéo peut aussi déboucher sur une sorte d’accident industriel. Qui demande son avis médical à la boulangère ?! Surtout que sur internet, et dans les cercles du gaming en particulier, la minorité de trolls est bien plus bruyante que la majorité raisonnable…
Est-ce que Suicide Squad: Kill the Justice League aurait été un meilleur jeu si Rocksteady était allé au bout de son envie d’en faire un jeu service à la Fortnite ? Rien n’est moins sûr. Mais il aurait au moins été une œuvre plus cohérente.
L’un des problèmes de Suicide Squad: Kill the Justice League est indépendant du jeu lui-même. C’est cette position inconfortable de prétendant à l’héritage de la trilogie Arkham. En refaisant un nouvel Arkham-like, Rocksteady s’exposait aux critiques de fainéantise, de manque de renouvellement, de « toujours le même jeu ». En prenant le risque de faire quelque chose de complètement différent, le studio aurait pu décevoir ceux qui attendaient de lui le prochain Arkham. En ne choisissant pas entre les deux, le studio avait toutes les chances d’obtenir, au mieux, un titre tiède qu’on retient surtout pour tout ce qu’il n’est pas, et pas pour ce qu’il fait bien ; un titre qu’on oubliera vite.
Dommage, le jeu n’était pas exempt de qualités, notamment dans son écriture et sa mise en scène, et peut même s’avérer sympa, à petites doses, entre amis. Il ne faut juste pas l’attendre au niveau de son encombrant ailleul…