La sortie d’un jeu Sonic, c’est toujours un grand moment de stress : la licence est en effet capable du meilleur (l’épisode original, Sonic Génération ou même Sonic Colors) comme du pire (on vous laisse choisir…). Et hélas, plus souvent du pire. Les premières images présentant des décors plutôt vides n’auguraient d’ailleurs rien de bon, mais biberonné aux productions SEGA, nous voulions y croire.
Surprise, la presse fut extrêmement divisée à la sortie de Sonic Frontiers, lui attribuant des notes allant de 8/10 à 2/10 ! On était donc impatient de voir de quoi il retournait vraiment. Certains étaient-ils trop coulants avec un jeu pas à la hauteur, ou les autres étaient-ils trop sévères avec une proposition malgré tout intéressante ? À moins que tout le monde ait raison ?
(Test de Sonic Frontiers réalisée sur Xbox Series X via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
« Space, the final frontier »
On remarquera, amusés, que le jeu s’intitule « Sonic Frontiers » dans un épisode qui a choisi d’abolir les limites. Ou presque. Parfois présenté comme un open-world, le jeu est plutôt un « open-zone », comme l’est Pokémon Legends: Arceus. À la manière classique d’un jeu de plateforme, Sonic Frontiers est découpé en niveaux, l’accès à chaque niveau étant protégé par un boss. Ainsi, l’intégralité de la carte n’est pas accessible d’un seul morceau, mais Sonic est libre d’aller comme bon lui semble à travers les maps de chacun des niveaux.
Cette recette « façon open world » appliquée au jeu de plateforme donne un résultat assez efficace, les cartes étant parsemées de dizaines de « micro-niveaux » et de mini-boss, ce qui permet des sessions de jeu sur-mesure. On peut très bien lancer Sonic Frontiers pour n’y jouer que dix minutes comme on peut se lancer dans une partie de plusieurs heures.
Au-delà de ces activités, les cartes renferment aussi des temples, à la manière d’un The Legend of Zelda: Breath of the Wild, auquel on aura d’ailleurs très vite envie de comparer ce Sonic. Jusque-là en 3D, le gameplay passe alors en 2D pour une série de défis reprenant les environnements des premiers jeux de la saga. Et traverser à toute vitesse une Green Hill Zone magnifiquement reconstruite en 3D est évidemment grisant !
L’exploration est alors autant « organique », façon BotW – on aperçoit une série d’éléments de plateforme qui annoncent un petit challenge, on décide de s’y rendre (ou pas) –, qu’à la Ubisoft, avec une carte remplie d’icônes sous un brouillard de guerre, signifiant les différents points d’intérêt. L’objectif final de chaque niveau sera de se confronter au Titan, une machine gigantesque qui ne pourra être vaincue que par un Super Sonic, le Sonic Super Saiyan. Grandes étendues et monstres gigantesques : Shadow of the Colossus n’est pas loin, la culpabilité du joueur en moins, puisqu’on zigouille des machines.
Mister CockTails
Sonic Frontiers apparaît ainsi comme un gros mix d’idées qui ont chacune marqué le jeu vidéo. On a déjà cité Pokémon Legends: Arceus, The Legend of Zelda: Breath of the Wild, Shadow of the Colossus. Le jeu se cite aussi beaucoup lui-même, à travers les donjons qui reprennent les niveaux classiques des premiers jeux, et on pourrait encore évoquer NieR: Automata, pour les décors post-apocalyptiques racontant une civilisation éteinte, les machines, seules créatures peuplant encore ces terres, et la nostalgie générale dont est empreint le titre.
On pourrait même voir un peu de Death Stranding dans les rails qui se complètent au fur et à mesure de nos progrès et forment des raccourcis entre les zones de chaque niveau.
Le mélange pourrait s’avérer lourd et indigeste. D’autant que toutes ces références sont puisées dans des titres pour la plupart loin d’être festifs. Mais cela fonctionne ! On craint, au début, d’être submergés par les différentes couches de gameplay (l’exploration, les différents types de collectibles, les temples, les mécaniques de contrôles et les techniques de combat, sans parler de l’arbre de compétence…), mais tout finit par s’enchaîner assez naturellement.
Il faut dire que l’accent a été mis sur l’accessibilité, sans pour autant sacrifier le gameplay. On peut ainsi personnaliser assez précisément le comportement de Sonic : vitesse, accélération, maniabilité… Un écran de réglages est tout entier dédié au contrôle du hérisson. La courbe de difficulté est elle aussi très bien pensée, avec des premières heures qui permettent de prendre ses marques, et un challenge qui se relève dès le troisième niveau.
Shadow The Hedgehog
Shadow comme l’ombre au tableau, parce qu’il faut bien en parler : Sonic Frontiers est un jeu cross-gen, et même avec le patch new-gen installé sur notre Xbox Series X, le titre n’est techniquement pas à la hauteur de la nouvelle génération. Il subit un clipping relativement important, et d’autant plus dommageable qu’on parle là d’une licence basée sur la vitesse.
Mais ce n’est pas tout. On rencontre aussi quelques soucis de game design venus d’une autre époque. Accéder aux temples, par exemple, nécessite des rouages, et s’emparer des fameuses Chaos Emeralds demande de posséder des clés. Mais qu’on possède les items ou non, ce sont des scripts qui décident quand le moment est venu (ou pas) d’accéder à telle ou telle partie du jeu. Rageant quand il exige trois clés pour avancer, et qu’on en détient sept ou huit. Se voir bloqué sans aucune raison dans un jeu qui affiche l’argument de la liberté de mouvement, voilà qui passe difficilement. Sans parler des allers-retours obligatoires sur la carte pour débloquer deux lignes de dialogues…
Shadow aussi comme la noirceur du scénario. Avec des inspirations telles que celles qu’on a citées (de Shadow of the Colossus à NieR: Automata), l’ambiance ne pouvait pas être uniquement à la rigolade. Le jeu est ainsi empli d’une certaine mélancolie, et c’est peut-être le jeu Sonic le plus noir qu’on ait eu jusqu’ici. Le monde dans lequel on évolue a disparu dans des circonstances dramatiques, ce qui ramène aussi par exemple Knuckles à sa condition de dernier représentant de son espèce. Les dialogues ne sont pas toujours franchement guillerets, mais permettent de donner une certaine maturité au jeu.
Une mélancolie et une nostalgie qui collent peut-être désormais à Sonic, licence qui regarde beaucoup en arrière. Les « bons » épisodes sont en effet souvent ceux qui en reviennent au tout premier jeu de 1991 : Sonic Generations, Sonic 4, et donc Sonic Frontiers – qui, oui, se classe dans la série des « bons » ! Sonic Frontiers est en effet un très bon jeu de plateforme, qui recycle des idées déjà vues, certes, mais le fait avec talent. Il réussit même à insuffler un peu de noirceur dans un univers jusqu’alors peu consistant. Il faut néanmoins se rendre à l’évidence : Sonic n’aura jamais réussi à redevenir aussi bon que lors du tout premier jeu…
Si le journal Le Monde avait collé un 2/10 à Sonic Frontiers, les notes MetaCritic sont bien meilleures. Mais il est vrai qu’il faut faire abstraction d’une technique en retrait, et d’une D.A. parfois déroutante (on peut avoir la sensation d’être dans un éditeur de niveaux façon Disney Infinity ou Trackmania, avec des éléments posés çà et là sans trop de cohérence…) pour pouvoir apprécier ce que le jeu a à offrir : un propos un poil plus adulte, un contenu massif, une expérience de jeu sur-mesure.
Peut-être aussi que les joueurs ayant connu le hérisson dans ses aventures antérieures seront plus sensibles aux propositions de cette dernière aventure. On formulera toutefois une petite réserve sur la version Switch du jeu. Vu comment il tourne sur une console de nouvelle génération, la petite machine de Nintendo n’est probablement pas la meilleure façon d’y jouer…