Depuis 2016 et l’opus Downpour, la série Silent Hill était partie en hibernation prolongée. Après la parenthèse The Short Message et un incroyable remake du second épisode proposé par Bloober Team en 2024, la licence semble avoir le droit à un nouveau souffle avec tout un tas de projets annoncés. Silent Hill Townfall développé par Annapurna Interactive, une réinterprétation de la mythologie au cinéma avec Return To Silent Hill de Christophe Gans et enfin le fameux Silent Hill f.
C’est au cours de la Silent Hill Transmission du 19 octobre 2022 que Silent Hill f est annoncé et les premières interrogations ont très vite émergé. Le jeu prendra place dans le Japon des années 1960. Nous suivrons la jeune Hinako Shimizu devant faire face à l’arrivée d’une brume étrange dans son village. Mais alors quid de la ville maudite de Silent Hill ? Pourquoi la lettre f ?
Ces questions, en tant que fan de la licence Silent Hill, nous nous les sommes posées. Alors, est-ce que Silent Hill f est un renouveau dans la série ? Comment cette nouvelle aventure va-t-elle s’inscrire dans la mythologie Silent Hill ?
(Test de Silent Hill f réalisé sur PlayStation 5 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Bienvenue à Silent… Ebisugaoka
Ebisugaoka, Japon, 1960. La jeune Hinako est une collégienne en apparence sans histoires. En apparence seulement, car au sein de son foyer elle doit subir les foudres d’un père violent et d’une mère dépassée. Malgré cela, Hinako arrive à trouver un peu de réconfort auprès de sa sœur aînée Junko et de son trio d’amis. Suite à une nouvelle dispute avec son père, Hinako décide de descendre au village prendre des nouvelles de ses amis. Après quelques remarques bien senties de la part de ses amis, l’ambiance se fait lourde dans les rues, une épaisse brume menaçante déferle entre les habitations et avec elle une mousse végétale rougeâtre qui semble assimiler toute forme organique.
Séparé de son groupe d’amis à cause de cette menace inconnue, Hinako va devoir explorer son village pour retrouver ses proches et essayer de comprendre pourquoi cette beauté végétale est en train de doucement envahir les rues et l’esprit des habitants…
Une exploration et une peur réinventée
En explorant Silent Hill f vous oublierez bien vite l’aspect escape game des anciens opus. Exit les longs allers-retours dans l’hôpital de Silent Hill 2 ou les déambulations chronophages dans le motel de Silent Hill Origins, ici c’est tout le village d’Ebisugaoka qui s’ouvre à vous. Le chemin est parsemé d’énigmes tantôt simplistes (faire correspondre des formes ou examiner un objet sous toutes les coutures) tantôt frustrantes. Même si la difficulté de ces dernières peut être ajustée en début d’aventure, beaucoup des énigmes proposées ne sont pas forcément à la hauteur de celles proposées dans les anciens épisodes. Ce constat s’adapte à la dimension plus contemplative de ce Silent Hill f, tout comme les passages dans l’outremonde (que nous ne vous spoilerons car ces derniers sont les pivots dramatiques et scénaristiques du voyage d’Hinako).
La plupart des obstacles se traduisent le plus souvent par des combats; un monstre gargantuesque peut vous bloquer l’accès à un puits dans lequel se trouve une clé. Il s’agira donc de fuir ou d’affronter la menace, car oui contrairement aux anciens opus de la série, Silent Hill f se dote d’un système de combat pouvant être déstabilisant de prime abord.
Hinako n’est pas Murphy Pendleton, de ce fait, et aux vues de l’époque et de la localité d’Ebisugaoka, aucune arme à feu ne sera présente dans l’environnement. Vos seules armes seront des tuyaux, des serpes ou encore des lourdes haches qui seront toutes destructibles. Attention alors quand vous vous en servez. Le système de combat se base sur deux principes : l’esquive et la contre-attaque. Une jauge d’endurance vous permettra, ou non, d’accomplir ces actions et attention au timing d’exécution car Hinako est un personnage relativement faible et encaissera donc moins de dégâts. Le fait d’avoir réinventé le système de combat n’est pas une mauvaise chose en soi, avec le principe de jauge d’endurance et de durabilité des armes vous devrez plus que jamais choisir entre l’affrontement ou la fuite. Il est toutefois dommage, surtout en fin d’aventure, d’être obligé de passer par la case combat.
En déambulant dans les rues et rizières du village, vous pourrez vous perdre ici et là et mettre la main sur un document, tout en apprenant un peu plus sur la folie qui a peu à peu rongé les habitants, ou même entrer dans une maison qui fut le théâtre d’un événement étrange. Contrairement à la grande majorité des opus de la série, la peur naît de la découverte de ce quotidien qui a doucement glissé vers quelque chose de malsain et malaisant. La beauté du village de Ebisugaoka s’est muée en quelque chose d’autre, d’affreux et de terrifiant. Mais là où un Silent Hill 2 ou 3 misait beaucoup sur l’effroi de ses situations (l’exploration de l’hôpital ou du parc d’attraction), Silent Hill f se rapproche de Silent Hill 4 et de sa lente corruption et perversion du quotidien.
Un épisode parfaitement intégré à la saga ?
C’était la principale inquiétude vis-à-vis de Silent Hill f, comment s’inscrit-il dans la saga historique de Konami ? En laissant derrière lui la petite ville étasunienne de Silent Hill et son époque fin 1990 début 2000, cet épisode a pris un gros risque. Mais en fin de compte qu’est-ce qui fait l’essence même de Silent Hill ? Sa ville ou quelque chose de plus complexe ? Le scénariste Ryukishi07 livre sa version de Silent Hill, une version très ancrée dans un imaginaire japonais pour le moins surprenant pour la série.
Plus qu’une ville, Silent Hill, c’est un protagoniste. La ville peut-être personnifiée en tant que telle, mais l’essence même des jeux, c’est le personnage que nous incarnons et toutes ses failles. James était un mari endeuillé à la recherche de réponses, Travis un homme solitaire cherchant la cause de ses fantasmes et Alex « un vétéran » ne souhaitant que l’amour de sa famille. Hinako est une jeune fille forte mais fortement impactée par son histoire personnelle, le deuil et par la société japonaise des années 1960.
Les thématiques soulevées par cette nouvelle aventure sont pour le moins inédites dans la saga. Le harcèlement adolescent, les violences psychologiques liées à la sphère familiale, le poids de la féminité dans une société patriarcale et conservatrice, et le deuil et le sentiment de responsabilité face à la mort. L’intégration de ces thèmes au déroulement de l’odyssée d’Hinako et de sa recherche de la vérité font de ce Silent Hill f un épisode qui s’intègre parfaitement au lore de la saga de Konami, avec un certain dépaysement certes, mais riche par ce qu’il amène et raconte aux joueurs. Peut-être qu’en fin de compte, le futur de la saga s’inscrira dans une mouvance de série mythologique, marche amorcée avec The Short Message.
Silent Hill f est-il un bon épisode de la série phare de Konami ? La réponse peut, à l’image de son protagoniste, avoir deux visages. D’une part, le virage effectué par cet opus pourra en déstabiliser plus d’un. L’abandon de la dimension escape game et la présence en nombre des combats pourra en rebuter certains. Mais passé le cap de l’adaptation de cette nouvelle recette, le voyage est plus passionnant et surprenant que prévu.
Le travail effectué par NeoBards et le scénariste Ryukishi07 est très ancré dans la culture et la mythologie japonaise. Les peurs et craintes de cette culture sont parfaitement intégrées à la saga, tout en opérant un virage dans la série. Plus que jamais, Silent Hill est avant tout une histoire personnelle, celle d’un protagoniste et celle d’un voyage introspectif dans ce qui les terrifie le plus.