Qu’adviendra-t-il, après vous, de ce monde que vous abandonnerez ? Quelle trace aimeriez-vous y laisser ? Quels moments souhaiteriez-vous préserver, si on vous en donnait la possibilité et le devoir ? Voilà de belles questions que soulève SEASON: A letter to the future, le dernier jeu des développeurs canadiens de chez Scavengers Studio.
Le contraste est étonnant tant le jeu se situe aux antipodes de Darwin Project, leur précédente production : un Battle Royale aux dimensions modestes, dont le cadre et les mécaniques se voulaient plus subtiles que la moyenne. Celui-ci n’aura cependant pas su s’imposer sur une scène de mastodontes préformatés, où le free-to-play est de mise, et cet échec commercial aura peut-être été l’une des raisons derrière ce revirement de genre, et la création de SEASON: A letter to the future.
Car que ce soit dans sa conception ou son message, SEASON est un symbole de renouvellement et de résilience, et une invitation à prendre le temps de porter un regard différent sur la beauté d’un monde étrangement familier, les maux qui le rongent, et les changements inéluctables qui les accompagneront. Autrement dit, ce jeu est un emblème du romantisme, un joyau qui mérite toute votre attention, et saura se faire l’écho de certains écrits d’une époque révolue.
« There’s music in the sighing of a reed; There’s music in the gushing of a rill; There’s music in all things, if men had ears; The earth is but the music of the spheres. » (Il y a de la musique dans les soupirs d’un roseau ; il y a de la musique dans le murmure d’un ruisseau ; il y a de la musique en tout, il ne nous manque que de l’oreille : notre terre n’est qu’un écho des sphères.) – Don Juan, de Lord Byron.
(Test de SEASON: A letter to the future sur PS5, réalisée à l’aide d’une copie fournie par l’éditeur)
Un mélodieux poème vidéoludique
SEASON: A letter to the future est un éloge à votre fréquence propre – pour mieux vous faire vibrer –, et vous serez invité dès le début du jeu à le traverser à votre propre rythme. Il tient plus du jeu contemplatif que du jeu d’aventure, et s’inspire volontairement de certains codes de la bande dessinée (les bulles, le peu d’animations faciales des personnages…) pour devenir une œuvre hybride, entre le poème, le jeu vidéo et le roman graphique.
Votre avatar, dont le nom sera si bien éludé par la splendeur du voyage, est une héroïne qui se verra imposer un exil initiatique dans le but de sauvegarder la mémoire du monde, avant que celui-ci ne soit bouleversé par le changement de Saison. L’Ancienne du village est formelle, le rêve de votre ami ne saurait être interprété autrement. Il vous faut partir. Le cœur serré, vous voilà en route pour des contrées étrangères, laissant derrière vous le seul village que vous ayez jamais connu, ainsi que les êtres dont vous êtes le plus proche.
Le gameplay du jeu est conçu de sorte qu’à aucun moment de votre périple, vous ne serez confronté au silence ou au vide. L’absence d’humains, pesante par le manque de paroles ou d’interactions, laisse la nature prendre de l’espace, et vous aurez la liberté – et la responsabilité – d’enregistrer ses sons (des cris d’animaux aux bruissements des feuilles), et de photographier l’essence de ce que vous voudrez transmettre.
Stimulant la curiosité de l’observateur enfoui dans nos êtres, nous voilà pris à mettre sur cassette le bruit d’un cours d’eau qui s’écoule, à attendre patiemment le hululement d’un hibou ou le bruissement du vent sur un carillon, et à imaginer des inconnus s’inventer dans leurs esprits les moments derrière les sons.
SEASON: A letter to the future réussit à faire ressortir l’urgence du besoin de s’intéresser à tout ce qui nous entoure, avant que le banal ne touche à sa fin.
L’art, dans sa simplicité
Avec pourtant très peu de dialogues, le jeu parvient tout de même à toucher, et à véhiculer ses messages, grâce à une mise en scène léchée, une identité visuelle aux tons pastel enchanteurs, et à une écriture raffinée. Les (rares) paroles des personnes que vous rencontrerez dans votre périple sauront vous toucher par leur simplicité, mais aussi par la justesse des mots utilisés.
La qualité d’écriture de SEASON est d’un niveau rarement vu dans un jeu vidéo, d’un raffinement témoignant de l’attention et du temps passé par les scénaristes sur les moments où votre chemin croisera celui d’inconnus, dont la vie saura vous émouvoir.
La galerie de personnages est tout aussi riche que les textes, privilégiant là encore l’intensité du moment et l’importance de l’échange plutôt que la quantité de ceux-ci. Et c’est une réussite incontestable. Leurs visages et leurs caractères, tous différents, ont ce trait universel de la caricature, et touchent par leur familiarité. Ils nous auront donné l’impression de croiser de vieux souvenirs, de retrouver des êtres perdus d’une façon ou d’une autre.
Dans son gameplay, croisement simpliste/simplifié du point and click et du jeu d’aventure, le jeu mettra l’accent sur vos sens pour que vous perceviez au mieux l’environnement, et surtout la place de la nature.
Lorsque vous souhaitez enregistrer un son, la musique s’arrête, et votre concentration se porte sur votre micro directionnel. Le haut-parleur de la manette et l’excellente spatialisation du son (notamment avec un casque) deviennent alors de parfaits vecteurs d’émotions. Puis la musique reprend, et vous emporte elle aussi. Les compositions sont d’ailleurs très réussies, à la fois envoûtantes et apaisantes.
Pour une fois, les gâchettes haptiques de la DualSense sont très bien mises à profit. Le timing, l’intensité des vibrations et la résistance des gâchettes sont utilisés avec parcimonie, et participent à l’immersion de façon idoine.
SEASON: A letter to the future est enchanteur sur le fond, la forme, et dans toutes les dimensions qui peuvent les séparer. Si sa simplicité ne vous rebute pas, le jeu saura vous proposer une merveilleuse bulle d’introspection vidéoludique.
Parfaitement adapté pour une session d’ASMR, SEASON: A letter to the future a pourtant bien plus à offrir qu’une simple séance de relaxation. Reprenant à sa façon les thèmes principaux du romantisme, le jeu, contemplatif et émotionnel, est un voyage initiatique qui plaira notamment à celles et ceux qui auront été émus par les chefs-d’œuvre du studio Thatgamecompany (Journey, Flower…). Doté d’une identité visuelle et sonore unique, ce titre est hommage à la nature qui vous donnera à reconsidérer la place de l’Homme, et l’importance des rapports entre individus.
Une bulle d’introspection vidéoludique bienvenue, une lettre d’espoir qui fait du bien dans un monde où le futur paraît plus que jamais incertain.