Rise of the Ronin est le dernier jeu de la Team Ninja, studio japonais bien connu à l’origine des Nioh, de Ninja Gaiden et dernièrement de Wo Long: Fallen Dynasty. Autrefois dirigé par Tomonobu Itagaki, créatif prolifique mais aussi d’un autre temps, le studio est désormais connu pour ses jeux exigeants et techniques. Si la courbe d’apprentissage des Nioh ou encore de Wo Long représente bien la politique de la Team Ninja, la filiation est moins évidente pour son dernier-né.
Entre modernité et tradition (désolé pour ce poncif, mais on ne pouvait pas résister), le titre propose d’investir un personnage à la fin de l’ère Edo et au début de l’ère Meiji. Pour ceux qui n’auraient pas révisé leurs cours d’histoire, il s’agit de la période charnière du milieu de XIXe siècle dans laquelle le Japon s’ouvre au monde (au commerce avec l’Occident, et surtout avec les Américains, de manière un peu forcée).
Dans cette période historique majeure et bien connue des Japonais, Rise of the Ronin propose une brève leçon d’histoire pour les Occidentaux. Avec cette base historique, il installe aussi un monde ouvert, première pour le studio. Si vous avez tenu une manette entre 2007 et aujourd’hui, la formule doit normalement faire tilt. Aurait-on affaire à un Assassin’s Creed ? Un studio aussi porté sur l’exigence, la difficulté, copierait-il une des licences les plus connues pour son accessibilité ?
(Test de Rise of the Ronin sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Un Japon déjà vu
Le problème le plus souvent relevé de Rise of the Ronin est son monde ouvert et surtout son manque d’originalité. Et il est difficile pour nous de dire le contraire : un planeur comme dans Breath of the Wild, des tours pour prendre son envol avec le petit avancement de bois comme dans Assassin’s Creed, des activités qui se dévoilent une fois que l’on hisse la bannière des lames secrètes qui sert de point de téléportation… Bref, la formule est vue et revue.
Le vrai problème semble être le manque crucial d’inspiration pour créer ce monde ouvert. Le studio semble avoir pioché les idées ici et là pour construire un amas de bric et de broc sans réelle identité et qui, pour peu qu’on ait joué à plusieurs jeux de ce type, aura clairement un goût de déjà-vu.
Le fait est tellement évident, et on ne pense pas surestimer l’intelligence de la Team Ninja en disant que le studio semble avoir tout simplement « passé son tour » sur l’aspect monde ouvert et a cherché à cocher les cases du cahier des charges à la mode. Et il s’agit d’une triste réalité, les jeux en monde ouvert se vendent mieux que les autres. À part quelques exceptions comme un Last of Us et d’autres qu’on trouvera sans peine, le monde ouvert appelle les joueurs comme la lumière les papillons la nuit tombée.
Un jeu en monde ouvert, c’est l’assurance de quelques ventes en plus, mais c’est aussi un moyen de prendre le virage tôt ou tard de la sacro-sainte formule. Celle-ci prend de plus en plus de place et ne pas mettre le pied à l’étrier est un réel handicap. Former ses développeurs à réfléchir à la verticalité, au remplissage intelligent de l’espace, à la construction topographique, tout ceci ne se fait pas en un jour/jeu. Même si Rise of the Ronin échoue sur presque tous ces plans, il aura au moins le mérite d’avoir essuyé les plâtres.
Le jeu est au moins très honnête avec nous et ne nous vend pas de joli plan de cerisiers en fleur à la Ghost of Tsushima, le Japon sans l’effet carte postale donc. De plus, la mise en scène est travaillée et offre de belles réminiscences du cinéma chanbara. Il est difficile de ne pas penser aux Sept Samouraïs ou à Yojimbo de Kurosawa, l’équipée à nos côtés peut même renvoyer aux Sept Samouraïs. Voir ci-dessous une mise en scène inspirée du chef-d’œuvre de Masaki Kobayashi, Harakiri et le groupe atypique des sept samouraïs.
Pour aller un peu plus en profondeur, le remplissage intelligent, comme pouvait le faire BotW, n’est fait qu’à moitié. Si certains momentums offrent cette respiration qu’on pouvait retrouver dans un Zelda post-2017, certaines zones n’offrent aucun horizon et ne dirigent pas le joueur, et ce dernier se retrouve contraint d’ouvrir sa carte, son envie d’exploration n’étant pas attisée.
Avec notre grappin, il aurait pu être intéressant de parcourir les toits librement. Promesse non tenue, car seulement quelques points prédéfinis, et exagérément rares, font office de points d’accroche pour votre grappin. Autre réel souci technique, les escalades sont archaïques et frustrantes (les animations du personnages sont d’ailleurs datées), puisqu’au-delà d’une certaine hauteur, votre personnage sera tout bonnement incapable de monter le petit appentis de bois devant lui.
Aussi, le studio semble tétanisé à l’idée de choisir entre une indication visuelle marquée, les fameux rebords jaunes qui indiquent les endroits accessibles, et la totale liberté du joueur. Les accroches du grappin en sont un témoignage, mais le jeu pourra parfois vous permettre d’escalader des toits pour rendre une mission extrêmement facile tandis qu’il vous faudra parfois faire le tour d’une immense maison pour trouver l’entrée d’un boss fight sans aucune autre alternative.
Autre aveu de faiblesse de l’open world et continuité de cette dualité contrainte, les missions spéciales qui sont en fait des instances dans le jeu. Ces instances, que l’on retrouvait dans Wo Long sont des missions scénarisées qui vous font jouer dans des cadres très resserrés où des murs invisibles vous contraignent à rester dans l’aire de jeu de la mission et vous obligent à affronter le boss au bout du tunnel.
Pour poursuivre la comparaison avec Breath of the Wild, il est vrai que les donjons étaient des « coupures » à l’open world comme le sont les instances de Rise of the Ronin. Mais ici, la justification ne serait-ce qu’environnementale n’est pas respectée, les donjons dans Zelda sont sous terre et ont des contours délimités et acceptés par notre cerveau. Ici, les missions ne coupent pas avec le monde ouvert, pire, elles en sont une délimitation. Il ne s’agit pas d’une nouvelle map mais de l’open world avec cette fois-ci des murs invisibles. Plutôt dissonant.
Si l’open world n’est pas une réussite, on pense l’avoir assez démontré, c’est aussi parce que le jeu axe très clairement le cœur de son gameplay ailleurs : dans les combats.
Le bushido dans la peau
Avec un ADN hardcore pour le combat, la Team Ninja semble ici arrêter de vouloir exiger la transcendance du joueur. En effet, la frustration au début du jeu est assez présente tant le système de jeu exige une concentration évidente. Pourtant, au bout de quelques heures, le jeu semble être totalement accessible tant la grammaire du combat s’apprend rapidement.
Pour parler plus en détail du style de combat, il faut savoir qu’en sa quintessence, nous trouverons le contre. N’ayant pas joué à Sekiro, le parallèle a déjà été montré ici et là, nous ne pouvons écrire ici un comparatif intéressant. Mais nous pouvons parler du ressenti du contre et de comment ce gameplay de combat change la perception de celui-ci.
La majeure partie des combats se résumeront en de micro-attentes, repérer et attendre le coup puis appuyer au bon moment pour faire chavirer l’ennemi avec une parade parfaite. Si la barre de vie reste celle que l’on connaît, la barre de concentration, ici appelée « barre de ki », résumera la concentration, la fatigue et aussi le moral. Si celle-ci arrive à zéro, vous serez pantelant pendant quelques secondes sans pouvoir riposter ni vous mettre en garde.
Réussir des contres parfaits est un des moyens les plus rapides de descendre cette barre de ki même si l’utilisation de certaines compétences et de coups standards seront évidemment de la partie. Une fois la barre de ki vide, vous pourrez réussir des coups critiques sur vos ennemis pour faire des dégâts énormes. Grossièrement, la syntaxe de Rise of the Ronin se résume à cela.
Pour nous, cette attente dans les combats résume assez bien le kendo, art martial qui suit le code du bushido et donc des samouraïs. La discipline met en avant la concentration maximale dans les combats où les attaques frénétiques ne font pas vraiment sens. Dans un contexte où la moindre fausse note est synonyme de mort, la partition du contre doit être parfaitement exécutée, le sentiment est bien retranscrit dans les combats.
Tout cela étant dit, on regrette tout de même l’inutile complexité qui vient surplomber tout cela. Il vous sera possible de changer de stance en cours de combat, les stances ayant cette importance d’apporter un grand avantage stratégique dans les combats, aussi bien dans les mouvements qu’un boost statistique dans les dégâts. Avec trois écoles de stances pour quatre variantes à l’intérieur de chacune de celles-ci, nous aurons donc un total de douze postures fonctionnant toutes comme un pierre-papier-ciseaux. Vous l’avez compris, tout cela est très complet voire même indigeste.
Autre indigestion, le loot. Les habitués des Nioh ou bien encore de Wo Long le savent, le loot et le studio, c’est une grande histoire d’amour. Le problème, c’est que l’inventaire, au bout de quelques heures seulement, devient totalement saturé. Et c’est très rapidement que l’on a peur d’ouvrir l’inventaire pour faire le tri. Bien qu’il existe des règles pour, par exemple, n’accepter que le loot au-dessus d’une certaine rareté, le loot est beaucoup trop fréquent et il ne fait plus vraiment sens. Il est parfois possible de trouver des objets bien plus forts dans des coffres aléatoires après avoir vaincu un boss difficile.
En parlant de boss, nous voudrions revenir sur la difficulté du jeu. Nous en disions que l’accessibilité était réelle lors des premières heures de jeu, pourtant, arrivé à peu près à la moitié du jeu, environ douze heures de jeu, le titre montre son vrai visage et nous renvoie réviser notre kenjustu. Il est vrai que la difficulté est quelque peu artificielle et sera principalement relevée par une multiplicité d’ennemis plutôt que par un seul boss particulièrement retors dans ses attaques, mais la pente devient très raide.
En effet, au bout de quelques heures de jeu, ce sera avec une grande tristesse que vous reverrez les boss les plus ardus revenir avec d’autres compagnons tout aussi difficiles à abattre séparément. En bon ronin, il vous faudra parfois oublier votre code d’honneur et sortir votre arc pour ficher une flèche en pleine tête entre deux passes d’armes…
Seul, remarquable / Ensemble, inarrêtable
Avec cette phrase aux allures de haïku, c’est notre personnage de lame secrète qui est introduit. Deux jumeaux comme deux facettes d’une même lame, vous serez amenés à être séparés dès l’introduction du jeu. L’introduction est d’ailleurs réussie et place la barre assez haut. Création de deux personnages ? Possibilité d’alterner entre les deux ?
Nous en venons au point qui fait sûrement l’identité du jeu ou tout du moins l’aspect dans lequel il se démarque le plus, la liaison de son personnage aux autres. Le jeu possède une facette de dating sim : vous pourrez améliorer vos relations avec des personnages historiques en leur offrant des cadeaux ou en répondant dans les dialogues de façon positive en fonction du personnage avec vous.
Il sera possible de débloquer parfois des objets uniques et mêmes des compétences actives et passives dans le jeu grâce à ces liaisons. Le jeu à plusieurs était une bonne idée, Dragon’s Dogma 2 ne dira pas le contraire, mais l’idée retombe comme un soufflé. L’équipe ne prend sens que dans les missions instanciées et vous parcourrez le monde ouvert généralement seul(e).
Autre point intéressant, notre attachement à une des deux factions du jeu : les pro-shogunat ou les anti-shogunat. Les uns étant pour l’ouverture du Japon et les autres pour le retour de l’empire et une fermeture définitive aux Occidentaux. Certaines quêtes vous donneront la possibilité de conforter un camp plutôt qu’un autre, mais là encore, le jeu se perd dans des ramifications narratives complexes.
Tout cela peut effectivement sortir les joueurs qui n’ont pas forcément un doctorat en histoire, le jeu cherchant vraiment à retracer très fidèlement le cours des événements (aucun épiphénomène ne vous sera épargné). Même si une encyclopédie est jointe au jeu, les nombreux personnages qui changeront parfois de bord politique y contribueront, il sera parfois difficile de suivre toutes les évolutions, le jeu se déroulant sur plusieurs décennies.
Difficile de comprendre ce qu’il se passe manette en main avec ce Rise of the Ronin. Tout sur le papier réunit les conditions pour déserter ce jeu une fois le scénario terminé. Pourtant, tout n’est pas si simple. Passion pour la période historique ? Fétichisme du démembrement au katana ? Nostalgie de la modélisation de l’eau des années 2000 ? Nous n’avons pas de réponse, mais il est sûr que nous n’avons pas fini d’arpenter le monde ouvert, et ouvertement daté, de la Team Ninja.
En tant qu’exclusivité de la PS5, et sorti conjointement à un autre jeu attendu, à savoir Dragon’s Dogma 2, le jeu bénéficie d’une réception tiède, mais le charme opère sur de nombreux joueurs. Rise of the Ronin est la preuve que des idées novatrices et des concepts originaux ne sont pas indispensables à la création d’un bon jeu, certes, mais il paraît difficile pour le jeu de la Team Ninja de marquer les mémoires tant le jeu peine à se distinguer sur des aspects très (trop ?) attendus.