L’ascenseur émotionnel désigne un état où une personne passe plus ou moins rapidement d’une joie extrême à une déception/tristesse notable. Presque tous les feux étaient au vert depuis l’annonce de Redfall l’année dernière, à commencer par son studio : Arkane. Même si ce n’est pas le studio original de Lyon, mais bien Arkane Austin (la branche d’Arkane à l’origine de Prey), on s’attendait évidemment à une proposition digne de ce nom.
Sorti le 2 mai dernier sur PC, Xbox et disponible sur le Game Pass, Redfall fait rapidement parler de lui. Ce fut la douche froide pour de nombreux joueurs et joueuses. Entre les performances à la ramasse, le nombre incalculable de bugs non corrigés une semaine après sa sortie, un prix injustifié, tout ça jusqu’aux excuses de Phil Spencer. Pourquoi en est-on arrivé là ? Mais surtout, est-ce que Redfall est si mauvais que ça ? Est-ce que derrière ces nombreux problèmes, il n’y a pas quelque chose à sauver ?
(Test de Redfall réalisée sur PC à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Bienvenue à Redfall
Remettons un peu de contexte. Redfall est le nom de cette petite bourgade américaine dans laquelle se déroulent nos hostilités. Que vous incarniez Layla, Rémi, Jacob ou Devinder, ces personnages savaient déjà que la ville allait sombrer aux mains des vampires, mais une étrange force a fait s’échouer tous les bateaux en créant une stase tout autour de la ville. On est donc obligé d’y rester pour comprendre réellement ce qu’il s’y passe, comment les vampires ont été créés, et sauver les civils alentour en trucidant du vampire à la chaîne.
Quand on la découvre pour la première fois, la ville de Redfall possède une ambiance toute particulière. Cette ambiance de série américaine où une petite ville typique se fait engloutir par une force inconnue à la Dôme ou Stranger Things. La mise en scène du début du jeu renforce grandement ce sentiment assez mystique, avec l’apparition d’un des principaux antagonistes au chara design marquant : Soleil Noir (ou Black Sun pour les intimes).
Le chara design et l’ambiance reflètent d’ailleurs bel et bien dans quel jeu on est : un jeu Arkane. Des membres exacerbés avec de longues mains et des grosses têtes, et des décors qui en mettent plein la vue et qui donnent le ton dès l’introduction… on est tout de suite immergé dans l’ambiance de Redfall. Ajoutez à ça l’ambiance apocalyptique avec l’ellipse qui pointe le bout de son nez petit à petit (les vampires voulant recouvrir le soleil pour pouvoir vivre sans craindre la lumière du jour) et tout nous incite à vouloir découvrir et sauver le monde. La promesse de Redfall dans sa première heure de jeu est alléchante, promesse brisée par de nombreux bugs qui viennent ruiner l’expérience. Avant de s’attaquer au fond de la proposition, nous sommes obligés de nous arrêter sur ces problèmes tant ils nous ont empêchés de jouer dans notre progression.
Très rapidement, après avoir passé cette première section et en arrivant dans le premier hub central, les bugs se sont accumulés. Les PNJ qui s’arrêtent de bouger, les chutes de FPS en dessous des vingt images par seconde, mais surtout la quête pour débloquer le hub qui ne se lance qu’à moitié ou même pas du tout, ce qui nous a obligés à relancer le jeu quatre fois pour pouvoir avancer dans l’histoire… Et ce genre de problème qui nous empêche d’avancer en nous forçant à redémarrer entièrement le jeu fait sincèrement souffler du nez. On sent que le jeu aurait bien eu besoin d’un petit temps de développement supplémentaire. À qui la faute ? Bethesda Softwork ? Microsoft ? On n’en sait rien, mais pour un jeu aussi attendu, on a du mal à passer outre.
L’immersion immergée
Mais au-delà des bugs, l’immersion est rapidement remise en question sur beaucoup d’autres points, et contrairement aux bugs (qui peuvent être corrigés rapidement), ceci est beaucoup plus dommageable. On s’est rapidement rendu compte que la maîtrise du level design et de la mise en scène avait été mise au début du jeu et dans certaines zones clés, et c’est tout. Le reste est beaucoup moins travaillé, faute très claire du monde semi-ouvert qui laisse beaucoup plus de place au remplissage et aux zones similaires. Le nombre de pièces, de maisons, ou simplement de chara design des vampires est très limité. Sur des vampires de base, on peut encore l’accepter, mais sur des Lieutenants vampires avec un nom spécifique, cela devient exaspérant.
Toutes les cinématiques du jeu, que ce soit en début de quête ou pendant celles-ci, sont des images fixes qui défilent à la façon d’un diaporama. En outre, les passages de l’histoire les plus importants, à savoir les passages dans les mondes psychiques pour connaître le passé des dieux vampires (dont l’Homme Creux qui est le premier que vous rencontrerez très rapidement), sont de simples échos immobiles, sans chara design, seulement animés par les comédiens de doublage qui essaient de faire tenir la baraque comme ils le peuvent. Pourtant, le fond de l’histoire est terrible : un docteur qui perd la boule et qui pompe le sang aux propriétés spéciales de sa fille jusqu’à sa mort, le fils aîné d’une famille qui les tue tous pour transcender et devenir dieu vampire (Coucou Griffith). Sur le papier, ça donne envie.
Tout ceci est bâclé. On ne ressent aucune implication, aucune réelle empathie envers les personnages alors que certains sont vraiment déchirés, et les personnages jouables n’aident pas à ce niveau-là. Le problème n’est pas réellement les personnages, ces derniers ayant de bonnes idées de base. Au casting, on a : une ingénieure à l’accent espagnol, un sniper au délire réincarnation d’Odin, un chasseur de vampires et auteur de paranormal, et une punk ayant pour ex-petit copain un vampire (que l’on peut invoquer, ça c’est classe).
Les développeurs d’Arkane Austin ont implémenté un système de confiance entre les personnages pour pousser les joueurs à jouer ensemble. Si on fait des quêtes avec d’autres personnages, notre confiance est renforcée. Mais concrètement, cela veut dire quoi ? Pour être honnête, à l’heure où l’on écrit cette critique, on ne sait pas réellement, à part un bonus d’expérience minime. Une mécanique qui a l’air de vouloir être mise au premier plan, mais qui pourtant tombe complètement à l’eau, tant les interactions et les dialogues entre les différents protagonistes sonnent faux et se répètent en boucle. La petite loupiote ne s’allume pas de ce côté-là non plus, malheureusement.
Dans l’ordre : Jacob, Layla, Rémi, Dev.
La Malédiction du Loot
Outre la malédiction vampirique, il faut s’attarder sur l’aspect looting du titre qui construit toute la boucle de gameplay et le rejouabilité. Redfall emprunte beaucoup à un certain jeu expert en la matière : Borderlands. Des armes classées en plusieurs catégories : commune, peu commune, rare, épique, légendaire, mais là aussi, sans réel impact sur le gameplay. Ne vous réjouissez pas trop vite quand vous découvrez une arme légendaire, même en tout début de jeu. Dès que vous passez d’un niveau à l’autre, une arme commune surpasse déjà une arme légendaire fraîchement lootée, sauf dans de rares cas où l’arme légendaire a certaines capacités spécifiques (et encore).
On fait vite le tour des armes disponibles, et quand on a compris que l’on peut récolter à coup sûr des armes légendaires sur le cataclysme (phase de boss qui s’active à force de tuer des vampires spéciaux), cela n’a plus réellement de sens d’appeler ça « légendaire ». On s’est même retrouvé à force avec trois fois la même arme à trois niveaux différents, une situation des plus absurdes. Le plus triste dans cette histoire, c’est ce que cet aspect course au loot est inutile : Redfall nous donne toutes les meilleures raisons du monde de faire de l’annexe, comme des nids de vampires à détruire et des quartiers à libérer, tout cela pour récupérer de nouvelles armes qui deviennent obsolètes dès le prochain niveau atteint.
En outre, la boucle de gameplay se base essentiellement sur ce farm, car toutes les compétences sont débloquées en à peine une heure de jeu. Mais malheureusement, seulement une dizaine d’armes différentes se battent en duel, et ça s’arrête là. Soyons clairs, l’annexe, avant le endgame, ne sert à rien, et les développeurs en sont conscients : on est obligé d’en faire pour pouvoir atteindre la dernière phase de chaque zone. De plus, l’exploration ne sert à rien non plus, à part à récupérer des armes et des bonus passifs. Vous trouverez bien de nombreux objets, comme des masques à gaz, des bobines de fils ou d’autres objets qui pourraient être super importants en cas d’apocalypse vampirique, pour du craft ou autre. Mais ramasser ces objets ne vous donne que de l’argent, et n’a absolument aucun effet sur le gameplay. Absurde.
Le pire dans toute cette boucle de gameplay, c’est la difficulté complètement aux fraises. Pour tout vous dire, même en difficulté maximum, on s’est retrouvé plusieurs fois à foncer dans le tas sans forcément réfléchir, et le tout sans conséquences. On s’est bien forcé à appréhender les zones à risque de façon intelligente et réfléchie en jouant en équipe, mais foncer dans le tas reste la solution la plus rapide et la plus efficace pour avancer, les différents rôles des personnages ne servant presque à rien. On est donc venu à bout de Redfall sans vraiment sourciller, les boss majeurs n’offrant même pas de vraies cinématiques de fins pour boucler leur histoire.
La proposition, à l’instar d’un Cyberpunk 2077 à l’époque, sonne juste le pas fini, la fainéantise, dans un genre open world ou Left 4 Dead-like peu maîtrisé par Arkane Austin qui sort tout juste de Prey. Et cette comparaison avec Cyberpunk 2077 n’est pas anodine : un studio connu pour un certain genre, qui sort des sentiers battus, en essayant de mêler open world, Left 4 Dead like en équipe et looting à la Borderlands, en n’allant jamais au bout de ces trois inspirations. Ce cocktail marche très bien sur le papier, mais seulement dans un univers utopique qui n’est pas le nôtre à l’heure où l’on écrit ces lignes.
Le potentiel est malheureusement indéniable. Ce serait mentir que de dire que l’on n’a pas apprécié cette vingtaine d’heures passées sur Redfall à trucider encore plus de vampires et en découvrant les nombreux décors qui peuvent parfois rallumer l’envie que l’on perdait petit à petit. Le tout reste très fun, ludique, mais il manque tellement de contenu, de sérieux, d’implication, qu’on en ressort simplement déçu. On émettra tout de même une grosse réserve sur la jouabilité du titre en solo, mais si vous avez deux ou trois amis sous la main, prenez les popcorns, vos meilleurs flingues, et allez buter du vampire, vous vous amuserez sûrement.