Koei Tecmo profite du calme de ce mois de mars pour déterrer un cadavre qui avait tout pour nous plaire. Project Zero : Le Masque de l’Éclipse Lunaire, dans cette dernière mouture, est un remaster du jeu sorti sur Wii en 2008, uniquement au Japon. Une occasion rêvée pour nous autres, mortels accros à l’adrénaline et aux jump scares, de découvrir le quatrième opus d’une série d’anthologie, qui aura fait briller le jeu d’horreur en lui insufflant une esthétique japonaise, qui n’était pas sans rappeler le film Ring.
Au moment de sa sortie sur PlayStation 2, le premier Project Zero (plus proche du titre japonais « Zero » que de l’anglais « Fatal Frame », qui fait pourtant plus sens à nos yeux) avait impressionné par sa direction artistique et son grain photographique. Son ambiance pesante, la lourdeur palpable de l’air de cette demeure hantée, et le sentiment d’impuissance devant le seul outil que le jeu nous proposait (un appareil photo à soufflet) nous avaient alors marqué à vif vie.
C’est donc avec un plaisir malsain non dissimulé que nous nous apprêtions à regarder à nouveau cette madeleine aux traits nippons droit dans les yeux, pour lui prouver que nous n’avions plus peur, et que nous n’avions jamais cessé de l’aimer, cette Frame Fatale.
(Test de Project Zero : Le Masque de l’Éclipse Lunaire, réalisée sur PlayStation 5 à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Pâleur cadavérique
Pas besoin de mots pour transmettre la peur. Dès les premiers instants, l’atmosphère de Project Zero : Le Masque de l’Éclipse Lunaire s’impose comme sa plus grande réussite. La musique qui se fait oublier au profit des longs moments de silence, la lumière de la lune qui ne perce que par endroits, cette sensation que des esprits rôdent entre les murs, toute l’esthétique du jeu vient souligner la noirceur et l’isolement de l’île de Rogetsu.
Si Ruka Minazuki retourne sur ce lieu maudit, c’est pour essayer de retrouver deux de ses amies qui y ont disparu : Misaki et Madoka. Le fil narratif vous fera découvrir les différents événements derrière la disparition énigmatique de toute la population insulaire, et les raisons derrière le retour de ces jeunes femmes sur ces lieux.
Les points de vue multiples seront d’ailleurs plus intéressants scénaristiquement que vis-à-vis du gameplay, les compétences des différents personnages n’étant finalement pas si différentes les unes des autres. Ces différentes perspectives viendront donner une variété de tons bienvenue pour un jeu d’horreur, et les liens entre les protagonistes (malgré des lacunes d’écritures) ont quelque chose d’authentique.
En dépit son âge, Project Zero : Le Masque de l’Éclipse Lunaire reste donc appréciable de par son identité unique. Les traits du cadavre de Koei Tecmo semblent bien conservés, et pourtant… Dès lors que vous vous en approchez, pour le regarder d’un peu plus près, tous vos sens vous feront comprendre qu’il s’agit bien là d’un jeu d’une autre époque.
Rigor mortis
À l’époque pensés pour le combo Wiimote/Nunchuk, les contrôles du jeu nous auront été tout simplement insupportables. C’est une chose d’avoir des contrôles raides volontairement, pour corser le challenge du joueur, c’en est une autre de proposer des déplacements tenant plus de la rigidité morbide.
Car oui, la maniabilité de ce remaster est incroyablement ratée, au point d’être une frustration de tous les instants. Les associations actions-boutons n’ont rien de logique, la course des personnages tient plutôt de la promenade détente d’un octogénaire, et la sensibilité des contrôles est mal pensée. C’est simple, l’architecture étroite de ces bâtiments semble avoir été plus réfléchie pour les mouvements des esprits (qui peuvent traverser les murs) plutôt que ceux des joueurs qui se retrouveront incapables de prendre des photos à travers des murs dans lesquels peuvent se déplacer les esprits.
Trop d’éléments du jeu sont de la même façon plus horribles qu’horrifiques : la majorité des sons, qui violenteront vos tympans ; l’incapacité à diriger correctement la caméra pour faire apparaître les objets, puis l’animation interminable nécessaire à leur récupération (que vous connaîtrez par cœur au bout d’une demi-heure de jeu) ; la fainéantise de l’histoire, que vous pourrez uniquement découvrir au travers de documents textuels en raison du quasi mutisme des personnages ; des menus qui rappellent le premier Resident Evil, de même que les animations lorsque vous ouvrez une porte…
Aréflexie
Nous voilà donc devant un jeu âgé de plus de quinze ans, dont le lifting aura un peu profité aux personnages, mais pas aux décors ou aux contrôles. Et on en arrive à un autre point qui, à nos yeux, gâche l’aura du jeu : le contenu additionnel. Car oui, après un délai pareil, on pouvait légitimement s’attendre à ce que le jeu soit accompagné de matériaux originaux rendant hommage à la saga.
À défaut de quoi, vous aurez surtout le choix dans les tenues que vous souhaiterez faire porter aux héroïnes, reléguées au statut de simple bimbos. Certes, les costumes exotiques et parfois osés (pour ne pas dire fétichistes) sont une signature désormais assumée du studio Koei Tecmo, aussi derrière la série des Dead or Alive (et ses dérives monétaires).
Que la seule proposition pour enrichir un opus de la saga (ne nous étant jamais parvenu jusque-là) se limite à du cosmétique est d’une tristesse infinie. Plutôt que d’avoir passé du temps à améliorer les mécaniques de jeu, pour faciliter son introduction à un nouveau public, ou de créer du contenu qui serve d’hommage aux précédents opus pour ravir les fans, vous aurez la possibilité de reluquer vos personnages.
Mais les années sont passées, nous avons grandi, et des défauts oubliables lorsque nous étions plus jeunes nous sautent désormais aux yeux. L’hypersexualisation des héroïnes se fait au détriment de la qualité du jeu, ne soutient en rien le récit, et s’inscrit en opposition totale à l’atmosphère horrifique du jeu. La justification derrière cette absence de relecture nous semble évidente : une pin-up a probablement été considérée comme une plus belle vitrine marketing qu’une bâtisse hantée aux murs défraîchis. Une réflexion erronée, qui gâche ce monument de la peur.
Si Project Zero nous avait appris la peur, ce remaster de Project Zero : Le Masque de l’Éclipse Lunaire nous aura enseigné la frustration. Malgré son ambiance pesante toujours aussi réussie, et son esthétique unique, les équipes de Koei Tecmo nous auront livré une pâle copie, à peine retouchée, du jeu original. Plombé par une maniabilité horrible, et affichant des textures inchangées depuis la Wii, la difficulté du jeu tient plus à l’ancienneté non revisitée de ses mécaniques qu’à une réflexion véritable pour insuffler une anxiété malaisante au joueur.
Misant plus sur les tenues aguicheuses de ses protagonistes que sur du contenu scénaristique, ce sont surtout les choix contestables des équipes de développement qui nous auront fait peur. Peut-être devrions-nous nous en satisfaire : leur contrat est ainsi rempli.