Avec Process of Elimination, sorti le 11 avril dernier sur PlayStation 4 et Switch, Nippon Ichi Software propose aux joueurs de se placer dans la peau d’un enquêteur désireux de s’élever dans la profession qui est la sienne. Une haute ambition, c’est certain ! Et l’aventure que l’on s’apprête à vivre à ses côtés sera l’occasion tant espérée pour réaliser ce rêve. Course après un criminel, chasse aux indices, et tout ce qui sied au rôle de détective… Voici, dans les grandes lignes, ce qui nous attend.
Il y a donc de quoi faire rêver tout amateur d’Agatha Christie, de Conan Doyle et de bien d’autres spécialistes du genre. Or, le titre tout juste paru arrive-t-il à tenir en haleine son public ? À offrir une enquête digne de satisfaire ?
(Test de Process of Elimination réalisée sur Switch via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Beaucoup de bruit pour rien…
D’emblée, on préfère prévenir : si vous désirez vous plonger dans Process of Elimination pour vivre une aventure dans laquelle vous serez pleinement impliqués, il faudra passer votre chemin. Certes, il existe bien des interactions directes avec le jeu, néanmoins, celles-ci ne dominent pas. Non, cette fonction est plutôt laissée à la narration et à l’histoire. Ce qui est plus que normal pour un titre dont le genre est celui du visual novel.
Seulement, il y a un hic. Et même deux. Le premier, sans aucun doute possible, concerne le manque d’accessibilité vis-à-vis du public français. Car oui, comme bien souvent pour ce type de productions et surtout celles estampillées Nippon Ichi Software, Process of Elimination ne bénéficie nullement de sous-titrage en français. Une absence qui, logiquement, peut être rédhibitoire. C’est simple, sans maîtrise de la langue de Shakespeare, le public intéressé sera condamné à tourner autour du jeu, sans avoir l’occasion de s’y plonger franchement… du moins, dans l’immédiat.
Alors, y a-t-il vraiment matière à regret ? Non, pas vraiment. Pas pour nous en tout cas. Pour cause : à nos yeux, Process of Elimination n’arrive pas à briller dans les domaines dans lequel il lui est impératif de s’imposer, à savoir le récit et la narration. À vrai dire, au lieu de captiver par son intrigue, le jeu est bloqué dans un sempiternel verbiage. Ça parle, ça parle et ça continue sans fin. « Mais, direz-vous, n’est-ce pas là chercher la petite bête où il n’y en a pas ? » La question peut paraître légitime, étant donné le genre auquel il appartient, seulement ce dont l’on parle n’a justement aucune nécessité dans notre cheminement.
En réalité, le problème qui caractérise le jeu n’est pas tant l’inutilité de certaines phrases, dialogues (doublés en japonais), etc. C’est plutôt que ces derniers n’arrivent pas à atteindre totalement leur but : créer de la sympathie pour divers personnages et leur situation, afin de leur donner un certain relief. Prenons, par exemple, le cas de notre protagoniste : le détective timoré et peu sûr de lui, Wato. Certainement, les événements qui l’attendent joueront un grand rôle dans son comportement, dans sa façon d’être. Bref, il évoluera et tendra à acquérir une personnalité plus forte. Cependant, force est de constater que l’effet transmis est différent. Le héros passe malheureusement tellement de temps (dans les premières heures de jeu) à se dévaloriser qu’il en devient difficile à apprécier. Ce qui est paradoxal.
Ce trait de caractère, sans doute pensé à propos, doit certainement être nécessaire pour faire naître de l’empathie et ainsi accompagner le joueur d’une sorte de sentiment d’accomplissement en même temps que le héros s’affranchit de ses propres obstacles. Le fait de le voir évoluer doit donc idéalement créer, en un sens, un sentiment d’immersion. Or, cela ne prend pas du tout : il tourne en rond, ressassant sans cesse qu’il n’est pas à la hauteur du petit groupe de détectives qui l’accompagne.
Donc, au lieu de compatir, on est plutôt plongé dans un état de lassitude. Et le héros n’est pas un cas unique, même si pour le reste du casting (constitué de treize autres enquêteurs), nos reproches se dirigeront ailleurs. En effet, bien souvent, ce qui nous frappe à l’œil et à l’oreille, ce sont les clichés utilisés dans un grand nombre de productions japonaises tels les visual novels ou les animes. Tous les lieux communs sont réutilisés, rangeant ainsi nos persos dans la fameuse case du « déjà vu »: garçon manqué qui semble avoir une propension pour la bagarre, fille hautaine issue de la bourgeoisie, le couard, et autres archétypes bien usés.
Une réalisation en cause ?
L’écriture des personnages contribue donc beaucoup à véhiculer la lourdeur que l’on subit. Mais il ne s’agit que d’un élément parmi d’autres. Il y a, par exemple, les décors qui sont très peu variés, et la composition musicale – ou la bande-son plus généralement – n’est clairement pas en reste. Elle est répétitive et certains sons ont vraiment du mal à titiller nos esgourdes, bien qu’il existe une ou deux exceptions. De plus, on ne peut pas réellement dire qu’elle s’intègre parfaitement. Parfois lancée pendant qu’un personnage parle, elle couvre en effet en grande partie de la voix, laquelle passe inévitablement en arrière-plan. Mais ce n’est peut-être pas plus mal… Car comme on l’a laissé comprendre plus haut, le doublage est on ne peut plus marqué par l’exagération.
Ensuite, le principal problème réside dans le rythme, qui nous égare clairement. Le récit perd en limpidité et suit un cheminement erratique. Une fois, la situation est tendue, d’autres fois (et bien plus souvent qu’on le souhaite), l’ambiance est totalement marquée par une espèce de légèreté. C’est bien, cela permet de détendre un peu l’atmosphère avant de replonger, mais c’est mal géré. En fait, le résultat obtenu est plutôt le suivant : l’ensemble du titre voit sa cohésion et sa crédibilité atteintes.
On veut en effet nous dépeindre une situation où un maniaque menace de frapper quiconque à tout moment, mais le petit monde visé ne paraît pas tout à fait concerné. C’est très superficiel. La crainte et la défiance qu’il est censé y avoir au sein du groupe – car oui, après tout, qui nous dit que le criminel n’est pas dissimulé parmi eux – disparaissent très vite au profit de bons sentiments et d’une insouciance poussée à l’extrême. Tout cela donne finalement l’impression que ce qui devrait plus que tout être au centre de l’attention (le crime et son auteur) n’est qu’un à-côté.
Ce n’est qu’une impression, mais les premières heures (marquées par un mortel ennui) n’ont absolument pas aidé. Dites-vous qu’il faut un bon bout de temps avant de pouvoir interagir avec le titre en lui-même… Ceci étant, une fois qu’il est permis de devenir joueur – et donc dépasser le stade de spectateur –, on observe quelques éléments intéressants. Premièrement, c’est logique, on pourra faire quelques choix de dialogues, répondre à des questions, etc. Une possibilité exploitée assez tardivement dans le jeu. Ensuite, et c’est sûrement le plus prometteur, le système de tactical-RPG (en 3D isométrique) qui cohabite avec le genre du visual novel, nous donnant clairement l’opportunité d’endosser les habits de détective et d’aller à la recherche de pistes. Dommage que la lassitude l’emporte avant.
Désirant intéresser le joueur/spectateur par son intrigue, Process of Elimination échoue à captiver. Certaines idées sont bonnes, mais force est de constater qu’elles sont mal exécutées. Tout ce qu’il en ressort, c’est donc une œuvre fade qui n’arrive pas se sortir des clichés usuels et finit très rapidement par plonger son public dans l’ennui.