On l’a répété de nombreuses fois dans le courant de l’année dernière, mais nous n’en revenons pas que la série Pokémon a vingt-cinq ans… C’est presque blessant, en fait ! Oui, douloureux de réaliser que nos premiers émois sur Pokémon Rouge et Bleu (et les vôtres sur la même version ou celles qui ont suivi) remontent déjà à tant d’années, tant d’années qui nous ont vu changer et mûrir… Enfin, tout sauf Pokémon justement… En 2022, il existe trois jeux Pokémon sur Switch (principaux, sans compter ceux partagés avec le mobile). Nous avions un remake, une relecture et un épisode original, trois expériences différentes et pourtant quasiment identiques en fond et en forme… VIngt-cinq ans et on mange toujours la même soupe, il était temps que Légendes Pokémon : Arceus vienne secouer ça.
C’est lors du Pokémon Direct de février 2021 que le spin-off a fait sa première apparition, une apparition remarquée d’ailleurs puisque, dès lors, la communauté des fans s’est scindée, une partie louant les efforts de Game Freak pour renouveler ses mécaniques vieillissantes, l’autre déplorant la technique désastreuse de cette première prise de contact. Les mois se sont écoulés et le titre est enfin entre nos mains avec la ferme intention de mettre tout le monde d’accord. Légendes Pokémon : Arceus est-il le « Breath of the Wild » qu’attendaient les Pokéfans ? Le titre est-il finalement aussi clivant que sa première apparition le fut ? L’avenir de Pokémon doit-il s’inspirer de ce spin-off ?
Hisui, terre sauvage d’opportunités
Bienvenue dans le monde des Pokémon, un monde comme vous ne l’avez jamais vu à ce jour puisque ce voyage, même s’il se déroule en terrain connu (les terres de Sinnoh), se passe bien avant que l’île n’ait été envahie par les hommes, les villes, les routes… Hisui (de son nom d’avant) est un grand terrain vierge et accidenté, sauvage et peuplé de ces bestioles que nous connaissons tous, à une époque où la Pokéball vient tout juste d’être inventée. Bref, un voyage saveur « à l’ancienne » aux couleurs du Japon féodal qui le rappelle à tous les coins de l’écran avec ses couleurs vives et naturelles, et la noirceur des traits à l’encre de Chine.
Et c’est dans ce cadre magique et fabuleux qui capture et restitue nos rêves d’enfant que vous vivrez… une aventure on ne peut plus simple. Pour vous représenter à l’écran, un jeune adolescent (garçon ou fille), venu(e) de notre époque (ou du moins, son équivalent dans le monde de Pikachu). Tombé(e) du ciel, portable à la main (comme tout ado qui se respecte #boomer), vous êtes accueilli par le Prof. Lavande, le premier chercheur officiel du monde de Pokémon à plancher sur le Pokédex sans se donner la peine de se salir les mains. Cependant, un étrange phénomène météorologique met à mal la paix d’Hisui. En effet, les monstres Monarques (Pokémon divinités locales) semblent ne plus être en mesure de se contrôler depuis l’apparition de cette dépression. Donc, quitte à sortir du village, entre deux pages de Pokédex, vous allez bien vous occuper de ça, hein ?
Vous aurez compris, derrière ce scénario prétexte (qui justifie au moins de la présence d’un smartphone dans ce monde « isekai-isé »), on retrouvera une quête linéaire vous poussant à parcourir les différentes régions dans le but d’apaiser les Monarques qui y séjournent, l’occasion également de capturer les différents monstres habitant Hisui. Ceci dit, malgré une originalité absente, on notera que Légendes Pokémon : Arceus s’essaie à des sujets plus adultes comme les conflits de clans ou la foi, des sujets qui restent néanmoins abordés avec beaucoup de légèreté pour éviter de tomber en terrain dangereux.
La balle dans votre camp
Si Légendes Pokémon : Arceus ne se démarque pas des masses de la trame classique d’une aventure Pokémon (les principales ficelles du scénario étant plus ou moins les mêmes), c’est vraiment manette en main que la magie opère. Ce volet a fait l’effort de réduire l’importance des combats et vous offre les clés pour profiter du jeu comme vous l’entendez. Bizarrement, ce point rapproche ce jeu de Pokémon GO. Alors oui, ce n’est peut-être pas vendeur pour tous, mais ça implique que presque tous les monstres puissent être capturés sans combattre et que, mieux encore, si d’aventure vous échouiez une tentative, le monstre assailli pourrait répondre en fuyant ou en sortant les griffes. Un principe qui invite donc le joueur à tenter d’amadouer les créatures plutôt que de les soumettre à la force de leur équipe.
Et comme pour répondre à l’hostilité de cet environnement et à la force des Pokémon sauvages (notamment les barons), toutes ces actions (combat, capture ou même repli) sont fluidifiées comme jamais. Vous souhaitez invoquer un monstre ? Lancez sa balle. On tente une capture ? Lancez une Pokéball plutôt. Et pourquoi pas appâter un monstre dans un coin avec une baie pour le rendre plus vulnérable à une attaque surprise ? Toutes ces décisions, associées aux efforts nécessaires pour compléter votre Pokédex (on y revient) et cette fluidité quasi surnaturelle entre combat et exploration terminent de créer cette boucle de gameplay super efficace et grisante, renforçant votre implication dans cet univers, mais aussi avec vos monstres.
C’est simple, nous jouons depuis 1998 et nous ne nous sommes jamais sentis aussi proche de nos monstres. Les raisons déjà citées y sont pour quelque chose, bien sûr, mais c’est aussi probablement dû au fait qu’ils sont votre moyen d’interagir avec Hisui. Puisque vous avez besoin de vos bêtes pour secouer des arbres ou briser des rochers, vous aurez tôt fait de faire appel à vos chouchous, ne serait-ce que pour la fierté de les voir à l’action. Néanmoins, vu la nature de votre mission au sein du corps de recherche, c’est avec le catalogue complet des monstres présents en Hisui que vous allez tisser des liens (surtout si vous voulez compléter le jeu).
Votre mission, si vous l’acceptez…
Votre mission maintenant. En rejoignant le groupe Galaxie, vous acceptez de facto de consacrer votre temps à la découverte et au catalogage des résidents d’Hisui. Il vous revient donc de remplir un Pokédex qui, à la différence de celui de la formule classique (capturer, évoluer puis laisser pourrir dans une boîte), vous demande de remplir des missions pour compléter la page d’un monstre. Celles-ci consistent le plus souvent à capturer ou affronter une bête en question, mais aussi à la voir utiliser certaines compétences ou manger, le genre d’invitation à crapahuter dans les divers environnements et à passer des heures dans les hautes herbes.
Donc, quitte à devoir passer du temps avec chacune des bestioles pour remplir toutes leurs missions, autant vous laisser en total contrôle du flow du jeu et des progrès du monstre. Pour ce faire, Légendes Pokémon : Arceus fait le choix de ne plus vous imposer les évolutions et l’apprentissage des techniques, mais vous offre de choisir quand ces événements ont lieu. Ainsi, une fois le niveau prérequis atteint, il vous suffit simplement de faire évoluer votre monstre/ajouter sa nouvelle compétence par le biais de l’écran de gestion de vos bêtes. Une idée simple qui vous donne de la flexibilité au moment de former votre équipe et, si vous préférez les Pokémon les plus mignons, de conserver leurs formes juvéniles.
Ceci dit, rien ne vous oblige non plus à remplir toutes les missions du jeu (d’autant que ça consiste en des heures et des heures de grind pour voir chacun des Pokémon utiliser quarante fois telle ou telle compétence…), mais vous aurez tout de même à remplir un certain nombre de missions afin de compléter la page de chaque monstre dans votre Poké-glossaire, un sacerdoce d’assez longue haleine et qui vous permettra de rencontrer le « vrai » boss du jeu, environ une quarantaine d’heures après le commencement de votre aventure. Libre à vous ensuite de voir plus loin en cherchant les différents secrets du jeu, en remplissant les nombreuses quêtes annexes et en fouillant le jeu à la recherche de ses nombreux œufs de Pâques.
Une dernière couche !
Dans l’ensemble, force est de constater que le titre est très bon, mais pas parfait. Premier constat et pas des moindres : techniquement, le jeu est très à la ramasse (voire même « laid » pour ceux qui veulent faire de la critique dure). Bon, on ne vous apprend rien : depuis sa sortie (et même avant), le net relaie photos et vidéos de gameplay pour mettre aux yeux de tous les défauts évidents de Légendes Pokémon : Arceus en matière de visuel… Aliasing et clipping en abondance, modèles pauvrement animés, qualité des textures et de l’eau… À peu de choses près, le dernier Game Freak pourrait tourner sur GameCube ! Mais si vous nous demandez vraiment notre avis, visuellement, ça fait le boulot.
Et non seulement c’est moche, mais en plus c’est vide… Pour donner de la vie aux divers environnements, une poignée de monstres par-ci par-là, un arbre à secouer ou un rocher à péter… Pas grand-chose donc, d’autant que les monstres ne semblent pas avoir autre chose à faire que courir sans but et rugir dans le vent… Alors oui, ils ont bien des réactions différentes quand ils vous aperçoivent (enfin, définies selon l’un des trois patterns disponibles), mais nous aurions aimé aussi les surprendre dans leur routine, les observer en train d’interagir entre eux ou différentes espèces… Bref, donner de la vie à ce qui devrait en fait en avoir un peu, comme dans New Pokémon Snap qui avait alors réussi à iconiser ces moments…
Mais alors, pourquoi pardonner un jeu aussi « moche » et creux ? Pourquoi accepter ces vides, ces défauts techniques, le manque de polish, les choix sans saveurs que nous offre de faire le scénario ? Tout simplement parce que ça fonctionne. Jamais Pokémon n’aura été aussi prenant, jamais il n’aura été aussi fluide et organique… Sous cette forme, Pokémon est une véritable réussite.
Chaque action se déroule en quelques secondes, les combats sont expéditifs et stratégiques (notamment grâce aux modes Rapide ou Puissant que Nintendo a décrits avec un trailer), l’exploration est excitante et gratifiante… Tant et si bien que l’histoire semble limite trop par moment, comme un obstacle dans l’élan de votre aventure. Mais c’est le prix à payer pour avoir plus à découvrir, alors c’est un mal pour un bien !
Avec Légendes Pokémon : Arceus, Game Freak fait le pari « audacieux » que les fans attendaient, celui de secouer la formule qu’il recycle depuis près de vingt-cinq ans, et ça paie. Le monde de Pokémon n’a pas été aussi excitant, divertissant, mais surtout aussi fun depuis bien vingt ans ! Une fois les temps de chargement passés, Hisui vous offre ses grands environnements et ses clins d’œil, une liste conséquente de bestioles (247 tout de même) à capturer ou affronter, et auxquelles s’attacher avec une liberté de manœuvre et une fluidité inédites dans la série.
Leçon de game design (malgré cette sensation de vide), Légendes Pokémon : Arceus est une réussite incontestable et la preuve que le gameplay et les options font bien plus voyager un joueur que les graphismes. Cependant, il faut reconnaître qu’Hisui semble bien à l’étroit sur Switch… S’il est difficile de savoir vers quoi va se diriger la série ensuite (notamment à cause de l’absence de mode en ligne compétitif entre les joueurs), une chose est sûre pour l’heure, le soft est un indispensable pour tout fan de RPG, de monstres mignons et, bien sûr, de Pokémon.