Imaginée par un Shigeru Miyamoto alors au sommet, la licence des Pikmin fait partie de ces titres n’ayant pas particulièrement connu le succès qu’ils auraient mérité. Née sur la très regrettée GameCube en 2001, la saga en est aujourd’hui à son troisième épisode canonique, même si Nintendo a essayé d’étendre l’univers via un Hey! Pikmin, sur 3DS, qui s’éloignait un tantinet de la formule initiale, et un Pikmin Bloom qui tente de se faufiler dans le sillon creusé par Pokémon GO.
Alors quand, dix années après un troisième opus sorti lui aussi sur une console boudée par le grand public, et huit ans après son annonce officielle par le papa de Mario, un quatrième volet est sur le point de sortir sur une Switch au succès toujours aussi insolent, on peut se dire que c’est, peut-être, enfin l’heure de gloire de cette saga bucolique.
Quoi de mieux alors, pour préparer le public à son arrivée, que de leur proposer de retourner aux origines de la saga avec les deux premiers épisodes dans des versions remises au goût du jour, dans un premier temps uniquement en dématérialisé, puis, en septembre, dans une version physique ? Vingt années après leurs sorties initiales, Pikmin 1 et 2, même policés pour nos écrans modernes, ont-ils encore les arguments pour cueillir le cœur des joueurs ?
(Test de Pikmin 1+2 Remaster sur Switch réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Quand y’en a marre, y’a Olimar (et Louie aussi)
Ce n’est pas un scoop de dire que Nintendo ne s’embarrasse pas de scénarios alambiqués aux enjeux dramatiques forts. C’est vrai aujourd’hui et ça l’était autant déjà à l’époque. Mais en a-t-on vraiment besoin ? Que l’on soit amené à explorer cette planète dans le but de réparer notre vaisseau, endommagé par une météorite (Pikmin 1), ou pour y dénicher des trésors à même de solder la dette de notre patron (Pikmin 2), cela n’a pas grande importance. Si nous sommes là, c’est avant tout pour explorer de nouveaux espaces et y récolter ce qu’il y a à récolter.
C’est ainsi que nous ferons connaissance avec un Pikmin, un petit monstre végétal tout mignon qui répondra, lui et ses semblables, au garde-à-vous au moindre de nos coups de sifflet, obéissant comme de bons petits soldats à nos différents commandements. Une sorte de symbiose entre ces êtres et les humains que nous incarnons (en les personnes du capitaine Olimar et de son assistant Louie). Chacun bénéficie à l’autre. En effet, grâce aux pikmins, nous sommes à même, en utilisant le nombre, de soulever et ramener au vaisseau d’énormes objets indispensables à la réussite de notre mission et de nous défendre face à la faune locale. Faune locale qui, une fois occise, servira de ressource à la création de nouveaux Pikmins, leur permettant alors de prospérer.
Point amusant d’ailleurs, cette symbiose, que nous semblons maîtriser du fait de notre supériorité intellectuelle, reste fragile et les apparences sont parfois trompeuses. Les proies ne seraient-elles pas finalement les prédateurs sur cette planète inconnue (ou peut-être pas) ? Et, tout stratège que nous sommes, ne prenons nous pas des risques inconsidérés en permettant aux pikmins de prospérer et d’évoluer ? Comme souvent avec Nintendo, les niveaux de lecture sont multiples et le sous-texte présent offre une autre dimension à l’aventure pour qui veut bien tendre l’œil et l’oreille.
Alors évidemment, sur cette planète, tout nous est hostile, que ce soit les créatures, qui n’hésiteront pas à nous attaquer à vue et capables en quelques secondes de dévorer des dizaines de nos soldats, ou que ce soit l’environnement en lui-même. Feu, eau, électricité, poison… voici quelques-uns des dangers qui nous attendent et qu’il convient de surmonter en utilisant astucieusement les capacités de nos compagnons. Car si, bien sûr, côté originalité, on repassera (les rouges résistent au feu, les bleus à l’eau…), il n’empêche que le système de jeu de Pikmin reste particulièrement efficace et addictif aujourd’hui encore.
Une formule déjà efficace dès Pikmin 1 qui, en plus, implémentait une limite de temps quotidienne (reprise dans les épisodes suivants) nous obligeant à faire des choix en permanence. Chaque journée, représentant environ quinze minutes de jeu, doit être organisée afin d’optimiser sa rentabilité. Évidemment, certaines tâches nécessitent plus de temps que d’autres et il conviendra alors de bien répartir ses troupes (100 au maximum) pour en réaliser plusieurs à la fois. Quel plaisir alors quand, au bout de ce fatidique quart d’heure, nous avons pu ramener au vaisseau les objets convoités tout en libérant les passages avec une seconde équipe (barrières, ponts, créatures sauvages…) pour faciliter l’atteinte des objectifs du lendemain.
Rien de bien compliqué en soi, tout n’étant finalement qu’une question d’organisation et d’auto-discipline. La plupart des ennemis rencontrés, s’ils peuvent facilement réduire à néant une équipe mal composée, ne seront qu’une formalité une fois la stratégie efficace, souvent simple, comprise et appliquée. Et quand bien même l’exploration d’une journée finit en échec cuisant, les conséquences peuvent facilement être annulées, le jeu proposant simplement de rejouer ladite journée. Bref, avec Pikmin, on est là pour se détendre, s’amuser et s’émerveiller des découvertes que l’on fera. Et clairement, même après vingt années, cela fonctionne encore merveilleusement bien.
Un Pikmin GameCube rempoté sur Switch
Pikmin reste néanmoins loin d’être un jeu exempt de défaut, et au premier rang d’entre eux, nous pourrions pointer du doigt le rythme général de l’aventure, ou tout du moins sa boucle de gameplay globale. En effet, chaque nouvelle zone à explorer se déroulera finalement un peu de la même manière. On découvre rapidement la faune locale, recrutons le nouveau type de Pikmin dont on doit augmenter le nombre en « sacrifiant » presque une journée, consacrée à l’accumulation de ressources (et de cadavres ennemis), avant d’être véritablement en capacité de débloquer les accès que nous ouvre cette variété de Pikmin, et alors en dénicher les trésors.
Une certaine répétitivité structurelle qui, au fil des épisodes de la saga, a été plus ou moins estompée. De fait, ce premier opus, avec simplement trois types de Pikmin différents et pouvant se boucler à 100 % en une poignée d’heures, fait plutôt figure de prototype qu’autre chose. Un prototype très fortement amélioré rien qu’avec le deuxième épisode qui propose donc bien plus de variété avec des souterrains à explorer, en dehors de la limite de temps quotidienne imposée, de nouveaux ennemis et surtout deux nouvelles formes de Pikmin.
D’autant que ce second opus nous permet de contrôler, en plus du capitaine, son assistant Louie, offrant ainsi bien plus de souplesse dans la répartition des tâches et évitant des aller-retours fastidieux. De plus, avec un nouvel acolyte, il devient aussi possible de découvrir l’aventure avec un partenaire de jeu, et on se retrouve alors bien plus en phase avec ce qui représente une partie de l’ADN de Nintendo, a fortiori avec la Switch : le jeu familial. C’est probablement d’ailleurs dans cette optique, pour profiter du jeu à son propre rythme, que la limite de trente jours du premier opus a sauté dans sa suite, et ce même si cette pression n’était pas vraiment bien intense.
On pourra alors regretter que la firme de Kyoto n’ait pas choisi de s’investir véritablement dans cette ressortie. Le traitement accordé à Pikmin 1+2 est de l’ordre du négligeable. Au-delà d’un lissage pour les rendre regardable sur nos grands écrans, les deux titres sont proposés dans leur jus. On est bien loin de ce qui a pu être proposé pour Metroid Prime. On se retrouve ainsi avec des textures bien baveuses et des imprécisions de gameplay, notamment lorsque l’on souhaite viser un élément en particulier, que l’on aurait aimé ne pas revoir.
Mais passons. Aussi ennuyeux que puissent être ces soucis d’un autre temps, Pikmin reste une licence d’un genre assez singulier qui n’a que trop rarement inspiré d’autres titres (mais citons tout de même les excellents Little King’s Story dont on espère une ressortie un jour, et surtout le récent Tinykin, pépite indépendante parue l’an dernier).
Reste qu’un véritable souci se pose : son prix. Si le second épisode, grâce à la richesse de son contenu, pourrait justifier un tarif à 30 €, et ce malgré le fait qu’aucune amélioration notable n’ait été implémentée, proposer le Pikmin 1 à ce même prix nous paraît hautement discutable. Aussi, à moins que vous ne soyez un fan absolu de la saga, nous ne saurions que trop vous conseiller de patienter un peu pour cette ébauche et de plutôt jeter votre dévolu sur sa suite (avant d’enchaîner sur le troisième opus, encore plus riche, paru sur Switch il y a quelques années).
Pikmin est une licence unique imaginée par un génie ayant bercé notre enfance, adolescence et qui continue encore de nous faire rêver aujourd’hui. Oui, nous souhaitons crier notre amour pour une série de jeux qui n’a malheureusement jamais vraiment réussi à atteindre le cœur du grand public, celle-ci ayant joué de malchance en sortant sur deux des plus gros échecs hardware de la firme.
Mais aujourd’hui, son destin pourrait changer et cette ressortie des deux épisodes fondateurs de la saga est une stratégie maline de la part de Nintendo pour faire découvrir Pikmin au plus grand nombre avant la sortie du quatrième épisode le mois prochain (dont une démo est d’ailleurs disponible sur l’eShop).
Mais tout cet amour ne doit pas non plus nous rendre aveugle et, tout aussi merveilleux que puissent être ces jeux « feel-good » aujourd’hui encore, nous regrettons que le service minimum nous soit proposé à ce tarif, et notamment pour le premier épisode qu’on pourrait sans rougir qualifier de brouillon, très chouette certes, mais néanmoins imparfait, d’une saga qui n’a cessé de s’enrichir au fil de ses sorties. Si vous ne connaissez pas les jeux Pikmin, foncez les découvrir, au moins à partir du deuxième. Que ce soit seul ou en famille, cette saga mérite de profiter de la lumière des projecteurs.