Dans la constellation des licences de Nintendo, il y en a une, née sur la très regrettée GameCube, qui fait partie des plus mésestimée, surtout au regard de sa qualité et de ses améliorations, épisode après épisode. D’ailleurs, en presque vingt ans et (seulement) trois épisodes canoniques, la série des Pikmin n’a jamais vraiment réussi à se faire une place auprès du grand public, plombée probablement par les échecs historiques des deux machines de salon sur lesquelles ses épisodes sont parus (la GameCube et la WiiU). Mais après dix ans de gestation et une sortie sur une Switch toujours aussi populaire, Pikmin 4 pourrait bien inverser ce malheureux état de fait.
Pour accompagner cette sortie estivale, le titre étant disponible depuis le 21 juillet dernier, Nintendo a tout fait pour que son aventure bucolique rencontre le succès. En effet, avec une démo plutôt généreuse, toujours disponible sur l’eshop, la ressortie des deux épisodes fondateurs de la licence dans des versions remasterisées il y a quelques semaines et une belle mise en avant lors de ses conférences et autres moyens de communication, on peut dire que les petits vases ont été mis dans les grands. Mais au-delà de l’importance que semble accorder la firme de Kyoto au bébé de Miyamoto Shigeru, qu’en est-il de son aspect ludique ? Pikmin 4 a-t-il quelque chose de plus à offrir que ses trois (excellents) précédents épisodes ?
(Test de Pikmin 4 sur Switch réalisée à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Une aventure qui a du chien
L’anecdote est bien connue à présent : c’est alors qu’il rêvassait dans son jardin, observant une rangée de fourmis proche de lui, que Miyamoto Shigeru eut l’idée du concept de Pikmin. Une idée qu’il laissera murir durant pas mal d’années avant de le prototyper avec un premier épisode sur GameCube, donc. Et pourtant, l’observation de base, à savoir des petits êtres se regroupant pour transporter divers objets, trop lourds pour une seule unité, dans leur nid, reste peu ou prou la proposition finale du titre.
De fait, et c’est toujours le cas pour Pikmin 4, on se retrouve dans un monde inspiré de notre planète avec une ambiance « Chérie, j’ai rétréci les gosses » dans lequel on doit collecter, à l’aide de nos fourmis travailleuses végétales, les Pikmins, tous les trésors utiles à la réalisation de notre mission. Pour cet épisode, on ne déroge pas à la tradition, c’est encore une fois suite à un crash d’Olimar, héros historique de la licence, que l’aventure va débuter, suivi par le crash de diverses équipes de reconnaissance ou d’assistance envoyées pour l’aider (décidément, les écoles de conduite galactiques, ce n’est plus ce que c’était).
Nous voici donc volontaire pour aller aider l’équipe de secours et ramener tout ce beau monde à bon port. De là à supposer que ce nouvel opus ne serait qu’une simple copie modernisée de ses grands frères, il n’y a qu’un pas que nous serions mal avisés d’effectuer. Au contraire même, et cela nous a sauté aux yeux dès les premières heures, Pikmin 4 fourmille d’idées et est d’une générosité sans borne, un peu comme s’il s’agissait là de l’épisode de la dernière chance pour la licence.
La vie Pikmin 4, c’est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. C’est un peu le sentiment qui nous a accompagnés durant toute notre aventure. Chaque nouvelle exploration, chaque nouveau jour était comme une douceur à déguster, avec, en premier lieu, la présence de notre nouveau compagnon canidé. Un apport simple en apparence, mais qui offre en réalité une couche supplémentaire à un gameplay déjà bien rodé, ajoutant judicieusement de nombreuses possibilités. Et que dire de sa trogne toute mignonne ? On est complètement tombé sous son charme.
Ainsi, notre brave toutou sert à la fois de personnage jouable, un peu comme dans le second épisode qui permettait de permuter entre Louis et Olimar, mais dispose en plus de capacités inédites. Il est notamment capable de sauter ou de se faufiler dans certains espaces inaccessibles à son maître (et vice-versa), permettant alors de résoudre quelques (simples) puzzles environnementaux plutôt ingénieux, notamment dans la seconde moitié de l’aventure. Mais c’est surtout, à l’image de bon nombre d’ajouts à ce Pikmin 4, un formidable outil de confort.
On pouvait reprocher aux précédents épisodes certaines lourdeurs et maladresses dans sa maniabilité. Il n’en est aujourd’hui plus rien. Par exemple, il était parfois désagréable de partir en exploration avec beaucoup de Pikmins, ceux-ci pouvant se coincer ici ou là, et il était aussi notamment compliqué d’esquiver certaines attaques ennemies. À présent, il est possible de regrouper l’intégralité de nos unités sur le dos de notre gentil toutou, et, avec cette seule idée, c’est l’ensemble de l’aventure qui gagne extraordinairement en souplesse.
Un Pikmin 4 grand luxe tout confort
Toutes les nouveautés de ce quatrième opus ou presque ont été implémentées pour faciliter la vie aux joueurs. Tel un Sam Porter Bridges de Death Stranding (oui, étonnant parallèle), notre avatar, au fil de nos explorations, gagnera en possibilités et en confort de prise en main. Nous pouvons, par exemple, appeler à distance nos troupes inactives, ou octroyer à notre compagnon à fourrure la force herculéenne de dizaines de Pikmins, lui permettant de ramener à lui seul de lourds objets, et donc d’optimiser nos expéditions.
Mais Pikmin 4 n’est pas qu’une simple amélioration ou optimisation d’une formule éculée. En poussant le curseur « confort » au maximum, c’est aussi le plaisir de jeu, instantané ici, qui est décuplé. Chaque surprise concoctée par les développeurs de Nintendo a été un émerveillement sans cesse renouvelé tant celles-ci sont nombreuses et variées. Au-delà des nouveaux types de créatures, alliées ou ennemies, il y a une autre grande innovation qui a su nous convaincre.
Depuis le tout premier épisode, on nous prévient. La nuit, les monstres locaux deviennent bien plus féroces et il nous faut rester en sécurité dans notre vaisseau, ou ici dans notre camp de base accueillant tous les naufragés sauvés (nous y reviendrons). Sauf que cette fois, accompagnés des nouveaux Pikmins luisants, nous ne pourrons pas couper à ces séquences nocturnes s’apparentent grossièrement à une phase de « tower defense ». Bien plus courtes et axée sur l’action, contrairement aux phases d’exploration faisant la part belle à la découverte, il conviendra ici de défendre sa ou ses bases contre les créatures présentes cherchant à se repaître du nectar de ces nids à Pikmins.
Ainsi, on se retrouve à devoir jongler entre recrutement de troupes, en récoltant des cristaux générateurs de Pikmins, et assauts contre nos assaillant, de plus en plus puissants et robustes. Et, pour faire la passerelle avec les phases diurnes, les développeurs ont eu l’excellente idée de faire en sorte qu’une partie des Pikmins luisants obtenus puissent être employée lors d’une visite dans l’un des très nombreux souterrains présents dans les niveaux. Si, intrinsèquement, on ne peut pas dire que ces phases cassent trois pattes à un poulet, il faut bien admettre qu’elles permettent de faire varier drastiquement nos méthodes d’approche et offrent une véritable bouffée d’oxygène entre deux journées d’exploration.
Pour Pikmin 4, Nintendo prône le plaisir solitaire
Nous l’avons largement répété, mais Pikmin 4 a été conçu pour accentuer au maximum le plaisir que prendra le joueur à parcourir l’aventure, en améliorant ou retirant tout ce qui pouvait ou pourrait être vecteur de frustration. Exit donc, par exemple, la limite de temps globale, imposant un nombre de jours maximum pour remplir ses objectifs. Finie également l’obligation de devoir refaire intégralement une exploration pour réparer une erreur d’un instant T, le jeu proposant différents « checkpoints » au sein d’une même journée.
Chacun pourra donc jouer au jeu « à la carte », en se facilitant la vie grâce aux nombreux gadgets ou options d’aide et en prenant le temps qu’il lui faut pour flâner dans les différents environnements ou pour se constituer une véritable armée. Cependant, et c’est hélas à mettre au débit du jeu, il y a eu une lourde régression quant à la dimension multijoueur du titre. En effet, les précédents opus de la licence mettaient un point d’honneur à proposer de parcourir ses niveaux en coopération locale et si vous comptiez renouveler l’expérience avec Pikmin 4, vous pouvez vous ôter cette idée de la tête.
À l’instar de titres comme Super Mario Galaxy où le joueur 2 balançait des comètes pour gêner les ennemis, dans Pikmin 4, notre acolyte n’aura qu’un rôle de faire-valoir, uniquement chargé d’envoyer quelques cailloux pour détourner l’attention des créatures. Il y a bien un mode duel, mais que ce soit contre un ami ou la machine, celui-ci nous est apparu comme trop peu lisible et donc peu agréable à éprouver, la faute à un écran partagé obstruant bien trop notre champ de vision, provoquant un certain bordel visuel (peut-être aurait-il été plus intéressant de scinder l’écran horizontalement que verticalement ?).
Et puisqu’on commence à aborder les (rares) points qui nous ont fait grogner, intéressons-nous quelque peu à la narration du titre. Contrairement aux épisodes précédents, basiquement cantonnés à de l’exploration successive de niveaux, Pikmin 4 propose une véritable histoire. Rien d’incroyable, ne nous emballons pas non plus, mais suffisamment travaillée pour offrir bien plus de liant entre chacune de nos missions. Une initiative louable, mais sans doute en voulant en faire trop, l’histoire va vite nous noyer au milieu de dizaines de PNJ pas franchement très utiles nous confiant quelques quêtes annexes pas très intéressantes, ressemblant souvent plus à des étapes du scénario principal qu’autre chose.
Conséquence directe donc, beaucoup pourront reprocher au titre d’être très (trop) bavard et finalement mal rythmé (un sentiment pouvant être exacerbé par des temps de chargement plutôt longuets). Difficile de leur donner complètement tort, Pikmin 4 nous abreuvant régulièrement de lignes de dialogues sans autre intérêt que d’offrir un peu de lore et d’épaisseur à des personnages que l’on ne croise dans le hub que pour réclamer une récompense de quêtes. Et au besoin, il reste toujours l’option permettant de passer les conversations inutiles. Tout confort, on vous a dit.
Pikmin 4 est un titre exceptionnel, l’aboutissement d’une formule incroyablement simple, mais si efficace. Dix années séparent cet épisode de son prédécesseur, de quoi faire fleurir de nombreuses idées de génie. Les nouveaux Pikmins, les expéditions nocturnes, le toutou tout mignon, le Dandori (un mode Contre-la-montre) qui représente un chouette défi pour les joueurs cherchant les médailles de platine, et tant d’autres surprises que l’on vous laissera le plaisir de découvrir et qui ont illuminé nos visages.
Alors fatalement, avec une telle richesse et tant d’ajouts, difficile de rendre une copie parfaite, et on déplore que le mode coopératif notamment en ait fait les frais tandis que le compétitif est à reléguer au rang des fautes de goût. Moins dérangeant, on pourra aussi regretter que l’histoire, si elle a le mérite d’exister et de proposer plus de liant entre les missions que par le passé, soit alourdie par bon nombre de dialogues dispensables.
Mais au final, qu’importe ces petits écueils. On en redemande, encore, toujours plus, à tel point que nous n’avons pas vu passer les (très) nombreuses heures englouties dans cet univers (le jeu étant presque aussi long que les trois précédents épisodes réunis). Pikmin 4 n’est pas qu’un baroud d’honneur, c’est une ode à la détente, au dépaysement et à l’amusement dont on espère des ventes à la hauteur de sa qualité.
Pourrait-il même être élu GOTY aux Game Awards ? Sans doute pas, la récompense étant promise, du moins sur le papier et à date, à un certain The Legend of Zelda. Mais le simple fait que l’on puisse sérieusement se poser cette question veut dire beaucoup. Pikmin 4 est bien plus qu’une parenthèse enchantée, c’est un titre qui va nous marquer des années durant.