Est-ce vraiment un scoop que de dire que le jeu vidéo physique a aujourd’hui du plomb dans l’aile ? Nombreuses sont les voix qui se soulèvent à chaque attaque envers nos chères cartouches de jeux, en témoignent les levées de bouclier au moment de l’annonce de l’exclusivité numérique d’Alan Wake 2, ou l’absence de véritable contenu sur le Blu-ray de Star Wars Jedi: Survivor. Hélas, les éditeurs n’en sont pas les seuls bourreaux et les pratiques de certains individus bien mal avisés, comme aujourd’hui avec Pikmin 4, risquent d’accélérer cette tendance au tout numérique.
En effet, le phénomène déjà observé avec The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom s’est reproduit avec le titre estival de Nintendo. Depuis plusieurs heures maintenant, Pikmin 4 est dans la nature, et donc, fatalement, disponible sur la toile. Une pratique qui se répand de plus en plus et dont chaque éditeur est la victime. Rappelez-vous du pataquès engendré par la vente plus d’une semaine avant sa sortie de God of War: Ragnarök par certains magasins trop avides.

On pourrait se dire qu’il s’agit là d’un épiphénomène, d’une parenthèse malheureuse d’un ensemble bien plus positif, tant en termes de vente que de réputation. Pourtant, ces attaques répétées envers les plans marketing et commerciaux des grands acteurs vidéoludiques pourraient les inciter à délaisser le jeu vidéo physique qui leur pose de plus en plus de problèmes. Car outre le manque à gagner évident causé par la présence de versions pirates avant la date de sortie, cela a aussi pour conséquence d’inonder les réseaux sociaux de spoilers en tous genres pouvant eux aussi avoir un impact sur les chiffres de vente.
Mais dans les faits, quelles solutions s’offrent aux éditeurs ? Résumer ce problème uniquement à une lutte contre le piratage serait réducteur. Évidemment, arriver à concevoir une machine impossible à pirater pourrait résoudre bon nombre de soucis, mais cela relève de l’utopie. Reste donc le format numérique, facilement contrôlable, supprimant de nombreux intermédiaires (usines, transporteurs, magasins…) et ayant l’intérêt capitalistique d’être bien plus rémunérateur unitairement.
Ainsi, ce sont finalement les joueurs qui, alors qu’ils s’offusquent à chaque pratique un peu trop véhémente à l’encontre du jeu vidéo physique, confèrent à ces grandes entreprises un excellent argument pour justifier leurs actions. Comment pourrait-on leur reprocher alors de privilégier un format qui leur permet de protéger leurs intérêts sous couvert de préserver l’expérience de leurs fans ? Égoïstes certes, ces groupes n’ayant pas attendu un tel prétexte pour commencer à creuser la fosse des disques et autres cartouches, mais de quoi légitimer l’accélération de leurs pratiques.

Une lame de fond à l’encontre du jeu vidéo physique, déjà bien avancée, qui n’avait pas forcément besoin du concours de ses victimes pour achever son œuvre. Et alors que les observateurs considèrent l’actuelle génération de consoles comme la dernière proposant des lecteurs de supports physiques, on ne peut que finir dépité face aux actions de quelques énergumènes à la recherche d’un profit immédiat, ne voyant pas qu’en supprimant la magie du day one en vendant les jeux, et donc ici Pikmin 4, avec autant d’avance, ils finiront par ne plus en voir la couleur, et ce encore plus rapidement qu’ils ne l’imaginent.
Il semble malheureusement compliqué aujourd’hui de pouvoir inverser ce processus. Demain, c’est toute une partie de notre loisir préféré qui disparaîtra, et au-delà de la question de sa préservation dans le temps, c’est aussi la suppression d’un choix pour chacun et chacune de vivre sa passion comme il l’entend qui nous attriste. Alors oui, c’est encore et toujours la même rengaine, avec à la fois notre tristesse et notre frustration, mais on ne peut se résoudre à regarder le jeu vidéo physique s’effondrer sans rien dire et à simplement se demander d’où proviendra la prochaine estocade.
Je partage ton avis sur le fait de nous couper d’un choix. Je préfère aussi souvent acheter mes jeux en boîte, parce que le format me permet de revendre, prêter, échanger… le jeu en question.
Mais sur la préservation, je ne crois pas que ce soit, à long terme, le bon outil. Pas sûr que mes cassettes de CPC 464, si je les avais gardées, soient encore fonctionnelles aujourd’hui (démagnétisation…) ; les jeux Game Boy font face à des problèmes de piles qui s’usent, et il faut déjà certaines compétences pour les entretenir ; on commence à parler des dates de péremption des cartouches PS Vita… Et au-delà de ça, le matériel qui doit accueillir ces jeux n’est pas non plus immortel : entre la connectique « antenne » des consoles Atari qui a complètement disparue des écrans actuels, les batteries qui gonflent et te foutent en l’air les PSP, ou les récentes erreurs fatales des Wii U, on voit bien le souci.
En vérité, et c’est un peu triste, les gens qui ont mis en ligne un fichier image de Pikmin 4 ont plus œuvré pour sa préservation que ceux qui se le sont payé en double pour en garder un sous blister ! La préservation passera par la numérisation et, justement, la dématérialisation des softs. Elle doit aussi surtout passer par les portages successifs des jeux. Parce qu’à quoi bon conserver si on ne peut plus y jouer…?
il n’y a pas qu’un seul « bon » outil pour participer à la préservation du jeu vidéo. Le numérique en est éventuellement un, mais le physique aussi, de manière très complémentaire. Alors oui, ca peut parfois passer par un travail de restauration, mais au final comme tout objet physique. Ce débat ne se pose pas pour les tableaux ou sculptures, les bobines de film ou les manuscrits de livres, alors pourquoi l’appliquer au jeu vidéo ? Quant au support, c’est la même chose, il sort encore aujourd’hui des machines capables de lire les vieilles cartouches, donc, en plus de la restauration possible des supports d’origine, il est aussi possible de lire les vieux supports sur certaines machines « modernes ».
Laisser entendre que le numérique est un ami de la préservation me paraît hautement exagéré, et encore plus quand on parle de piratage. Il n’y a qu’a voir les milliers de jeux qui auraient complètement disparus sans les versions physiques, et l’argument se prête aussi au dématérialisé.
et pour rebondir sur ton point sur les portages, est-ce qu’on peut vraiment parler de préservation quand on adapte une œuvre à un autre support ? si on se contente purement de l’aspect « produit », oui, mais la préservation, c’est aussi celle de l’expérience globale, le support, avec ses défauts, la manette, la machine, l’écran…, ce que les portages, par définition, ne peuvent offrir
Vaste débat ! Les « raideurs » d’une manette d’époque appartiennent-elles à l’expérience de jeu…? Je n’ai pas la réponse, mais la question est déjà très interessante. Quant aux jeux qui auraient « complètement disparus sans les versions physiques », c’est tout à fait vrai, et il y en a peut-être autant (doigt mouillé dans la place) qui tournent toujours grâce au « piratage », ou au moins aux initiatives privées (ScummVM…).
L’analogie avec les tableaux et les bobines va par contre dans mon sens : les bobines se désagrègent avec le temps, et seule la numérisation permet de sauver les films les plus rares… Quand aux tableaux, si on avait pu la numériser plus tôt, on pourrait voir La Joconde avec ses sourcils !
Cela dit, je ne te donne pas complètement tort, et l’interprétation des pixels sur les écrans cathodiques a un rendu complètement différent, lissé, de nos jeux modernes en pixel art… On n’aura surement pas la clef là, tout de suite, mais une chose est sure, comme pour Bernard, dans Les Bronzés, tout miser sur le physique me semble une mauvaise idée !