Avant de devenir l’éditeur à succès que l’on connaît aujourd’hui, Atlus avait dans sa houlette des titres certes reconnus pour leurs qualités, mais qui passaient totalement inaperçus commercialement, et encore plus en dehors de l’archipel nippon, là où ses sorties étaient encore plus confidentielles. Mais depuis 2017 et la sortie du désormais culte Persona 5, l’entreprise nippone fait aujourd’hui office de porte-étendard du RPG japonais et entreprend à présent de ressortir ses anciens titres majeurs, comme aujourd’hui avec Persona 3 Reload.
Il faut dire qu’avec Atlus, on est habitués à revoir encore et encore les mêmes jeux, qui ressortent sous une forme ou sous une autre. Et Persona 3 ne fait pas exception, loin de là. Il s’agit même là de l’épisode le plus réédité depuis sa sortie initiale sur PlayStation 2 en 2007 (2008 chez nous). Persona 3 FES quelques mois plus tard, Persona 3 Portable sur PSP, et même un portage de cette version (accompagnée du quatrième opus) sur nos machines modernes il y a un peu plus d’un an.
Autant dire que pour celui qui a un peu roulé sa bosse dans le jeu vidéo, et a fortiori dans le RPG, revoir ce Persona pour la quatrième fois s’apparente presque à un running gag. Pour autant, on parle cette fois de véritable remake pour Persona 3 Reload, une refonte profonde du titre original. Mais cette refonte justifie-t-elle que l’on s’engage pour une année scolaire supplémentaire ou la copie est-elle à revoir ?
(Test de Persona 3 Reload réalisé sur PlayStation 5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Quand on arrive en ville
Aujourd’hui licence principale d’Atlus, Persona était autrefois considéré comme un spin-off de la série des Shin Megami Tensei. Ainsi, à sa sortie initiale, Persona 3 restait encore dans l’ombre des SMT (comme on les appelle couramment), et, de fait, l’ambiance générale de l’intrigue reprenait son esprit glauque et malaisant. Persona 3 Reload nous dépeint donc une histoire beaucoup plus mature et loin de l’atmosphère bon enfant du cinquième épisode.
Alors évidemment, on y retrouve l’humour typique de la série, avec des conversations tournant parfois à l’absurde, notamment lors de discussions animées avec nos compagnons d’armes, mais quand les choses doivent devenir plus sérieuses, ce n’est plus le moment de rire. Pendant l’heure sombre, les rues se nimbent d’un voile sombre, les flaques de sang se matérialisent dans les rues et les habitants de la ville, inconscients de la situation, sont transformés en cercueil, à la merci de monstres aspirant leurs âmes. Bref, dire qu’il n’augure rien de bon tient de l’euphémisme.
Notre objectif est donc d’annihiler cette heure sombre, ce moment caché entre deux journées et durant lequel se dresse, en lieu et place de notre école (le hasard fait bien les choses) le Tartare, lieu d’où proviennent les ombres menaçant le monde. Car si les habitants de la ville n’ont pas conscience de l’existence de ces ombres, ils en ressentent néanmoins leurs effets, le syndrome d’apathie les plongeant dans un état végétatif se propageant de manière alarmante.
C’est dans ce contexte que, comme à l’accoutumée dans un Persona, nous, un héros anonyme, arrivons dans cette ville et dans la vie de futurs compagnons d’infortune et relations diverses. En effet, l’esprit a beau être radicalement différent, Persona 3 posait déjà toutes les bases de la licence telle qu’on la connaît dorénavant avec pour principal atout son écriture, ce qu’évidemment Persona 3 Reload conserve. Son histoire donc, particulièrement intense quand les enjeux se font plus sérieux, met en scène toute une galerie de personnages, alliés ou ennemis, et leurs relations complexes. Tous sont plaisants à découvrir, de cette petite fille attristée par le divorce de ses parents en passant par le camarade de club gravement blessé ou par notre camarade de classe rêvant de sortir avec sa professeure.
On suit et partage les déboires de tous nos amis. Chaque dialogue n’est pas uniquement un prétexte à une montée de niveau dans nos relations. On a véritablement envie d’en savoir plus, de connaître la finalité de leurs problématiques qu’on fait nôtres et on finit par s’attacher à chacun d’eux, même les plus antipathiques en apparence. Alors, il faut bien rendre hommage à la qualité de l’écriture des différentes scènes du jeu, mais n’oublions surtout pas sa localisation française d’excellente qualité (à quelques rares coquilles près).
Ainsi, Persona 3 Reload nous invite à gérer notre année plus ou moins comme on l’entend, en composant entre notre réussite scolaire, nos relations amicales et notre sauvetage du monde. Enfin, tout cela si on en a le temps entre deux sessions d’examen. Et c’est là qu’intervient l’un des grands plaisirs que l’on éprouve lorsque l’on touche à un Persona, ce goût de l’optimisation et de l’organisation de nos journées, presque maladif, nous faisant remonter à l’esprit nos plus belles heures sur Tetris, pour que toutes les activités que l’on souhaite accomplir tiennent dans cet emploi du temps si serré.
Tout va doucement au début, où seules quelques possibilités nous sont accessibles, mais peu à peu, de manière très progressive, les occasions de tuer le temps pour glaner quelques bonus divers se multiplient. Ainsi, on découvre de manière très fluide et agréable les trésors que renferme le titre, sans se sentir aplati par la quantité d’options disponibles. Un jeu d’équilibriste parfaitement exécuté qui ne génère à aucun moment de la frustration, si on excepte bien sûr la peur de ne pas réussir à tout faire ou tout voir. Alors, on visite un nouvel ami par-ci, d’autres lieux par-là, jusqu’à accepter la possibilité de ne pas pouvoir tout faire (du moins sans tricher) pour finalement trouver le bon équilibre entre vie personnelle et vie héroïque.
Au centième sans ascenseur
C’est donc à la nuit tombée qu’on peut accéder enfin au Tartare, une gigantesque tour aux étages générés aléatoirement jusqu’aux confins du monde, que l’on pourrait comparer au Memento de Persona 5, et qui est à l’origine des maux qui nous entourent. Structurellement et visuellement, cette tour n’a hélas que peu d’intérêt. On est bien loin des donjons thématiques du dernier opus de la saga. Là, il s’agit plutôt d’une bonne excuse pour nous faire combattre des hordes de monstres issus du bestiaire des SMT.
Fort heureusement, les combats se révèlent particulièrement réussis, faisant la part belle à la stratégie lors des affrontements les plus complexes. De manière générale d’ailleurs, et surtout sur le premier tiers du jeu, les erreurs face aux boss seront assez peu pardonnées et il faudra bien faire attention à ne pas se montrer trop agressif dans l’utilisation de ses compétences dans les combats précédents sous peine de se trouver rapidement démuni.
Les combats n’ont d’ailleurs que peu changé au fil des ans et des épisodes. Il s’agit toujours, basiquement, d’attaquer les faiblesses des adversaires que l’on aura préalablement identifiées afin de pouvoir les mettre à terre pour les occire via la fameuse All-out Attack (assaut général). Simple, efficace, addictif. En bref, une formule qui n’a que très peu changé depuis lors, à l’exception de quelques affinages et options de confort, dont certains ont par ailleurs été intégrés à ce remake, mais nous y reviendrons.
Mais là où Persona 3 Reload est, comme les autres opus, brillant, c’est dans sa capacité à rendre interdépendant chaque aspect du jeu. En effet, les relations que nous tissons tout au long de l’aventure permettent de renforcer notre affinité avec la carte du tarot qui lui est associée. Les Personas ensuite créés (dans la classique Velvet Room) bénéficieront alors de bonus substantiels selon le niveau de relation atteint. Relation qui s’épanouira d’autant plus efficacement en étant accompagnée pendant nos discussions d’un Persona du tarot adéquat.
La boucle est bouclée, pourrait-on dire. Un métro – boulot – dodo remanié en école – copains – donjon dont le rythme s’avère redoutablement bien équilibré, avec des moments triviaux où les dialogues s’enchaînent en faisant place à d’autres événements plus intenses. Mention spéciale à la bande originale du titre d’ailleurs, fantastique, qui permet justement d’accompagner tous ces moments de jeu et que l’on se surprend à fredonner dans notre quotidien bien réel.
Un remake tellement frustrant
Vous l’aurez compris, Persona 3 posait déjà en son temps tous les jalons qui ont fait la réussite de Persona 5. Tout était déjà là, les combats tactiques, les relations, la gestion de son emploi du temps et la collection façon Pokémon de démons pour nous aider dans notre quête. Et, de fait, Persona 3 Reload dispose encore de toutes ces qualités, sublimées par une mise à jour graphique du plus bel effet.
C’est d’ailleurs là à peu près son seul apport. Bien entendu, le travail accompli pour remettre au goût du jour l’épisode fondateur d’une des licences du J-RPG les plus appréciées est immense. On le constate d’ailleurs dans les traits des portraits, très fins, dans la nouvelle version des différents quartiers de la ville, très agréables à l’œil, ou dans les cinématiques façon animé très réussies. Mais soyons clairs, tout ceci n’est finalement « que » de la forme. Dans le fond, le titre est la copie presque conforme de son original. Presque…
En effet, Persona 3 Reload propose de manière presque transparente pas mal d’options de confort qui permettent d’atténuer certains défauts de l’épisode originel. Rien que le fait de pouvoir courir dans le Tartare permet d’un peu moins en ressentir la répétitivité intrinsèque. Les tirages de cartes pouvant survenir en fin de combat ont aussi été allégés, nous permettant de sélectionner librement notre bonus plutôt que de devoir jouer à un inutile bonneteau.
La théurgie, une sorte d’attaque ultime, étoffe également notre panel en combat, tout comme différents affinages récupérés à d’autres opus, tels que le passage de relais après avoir effectué une attaque critique, ou la possibilité de sélectionner en une pression de touche l’attaque la plus appropriée si la faiblesse de l’ennemi a été découverte. Rien de révolutionnaire, bien sûr, mais ces éléments sont suffisamment pertinents pour rendre l’expérience plus agréable. Et puis, s’il fallait encore de quoi s’occuper, il y a bien les nombreuses quêtes annexes et défis qui se débloqueront au fil de notre ascension de la tour.
Véritablement, Persona 3 Reload est un excellent jeu, mais pour autant, il est un jeu d’une extrême frustration. Frustrant non pas pour ce qu’il est, mais plutôt pour ce qu’il aurait dû être. Car finalement, son plus grand problème, c’est bien son statut de remake. Nous l’avons évoqué précédemment, le titre a eu droit à deux contenus additionnels majeurs au gré de ses itérations avec, pour la version PSP, un nouveau personnage féminin jouable, et surtout, pour Persona 3 FES, un scénario additionnel ajoutant une trentaine d’heures de jeu (une édition à la Persona 5 Royal, en somme).
Quel dommage que l’un ou l’autre, voire ces deux suppléments, n’aient pas été intégrés à ce remake. Quelle déception même ! Alors, on peut imaginer que, comme d’habitude a-t-on envie de dire, l’on aura droit à une nouvelle version (bien que l’éditeur ait précisé n’avoir aucun projet en ce sens) ou un DLC (Atlus étant spécialiste du genre), mais tout de même, nous étions en droit d’en attendre plus.
Persona 3 Reload est tout un paradoxe. D’un côté, il est le remake d’un titre fondateur d’une des séries de J-RPG les plus populaires. En 2007, tout était déjà là : les combats tactiques passionnants, les relations à entretenir et des activités à planifier au sein d’une année scolaire où notre temps libre est une ressource rare. Ainsi, le plaisir éprouvé à la (re)découverte d’une formule addictive couplé à une intrigue bien plus sombre que pour les épisodes récents n’a, lui, pas pris une ride.
Mais de l’autre côté, on ne peut qu’être déçus par le traitement réservé à cette mouture. Alors effectivement, Persona 3 Reload est la version la plus confortable du jeu à ce jour, avec à la fois une mise à jour technique réussie et de nombreux ajustements ludiques rendant l’expérience moins abrupte qu’à l’époque, mais elle est aussi son itération la plus décevante.
Certes, nous avons de nouveau affaire là à un excellent jeu. Il n’y a que peu de doute à son sujet, mais il est regrettable que, alors qu’il y avait tout pour bien faire, Persona 3 Reload ne soit toujours pas la version ultime qu’on était en droit d’espérer. Un bon élève donc, mais dont les résultats sont en deçà de ce dont il est capable, et qui aurait du s’efforcer de fournir un travail plus approfondi.