Le genre survie a le vent en poupe et l’industrie croule sous une montagne de propositions diverses et variées, dont on peine parfois à faire le tri. Les concepts originaux ne sont pas légion, et beaucoup de titres se ressemblent de près ou de loin. Cependant quelques-uns sortent du lot par des idées qui font mouches, à l’image de Don’t Starve. Et vous serez ravis d’apprendre que l’expérience qui nous intéresse aujourd’hui, Pacific Drive, en fait clairement partie. Car en plus d’être un jeu de survie, c’est aussi un Roguelite mettant à l’honneur non pas un chevalier tentant de survivre dans un univers fantaisiste, mais un conducteur qui n’a d’autre ami que son fidèle break pour l’aider à survivre dans divers environnements hostiles.
Premier jeu d’Ironwood Studios, Pacific Drive est l’une des bonnes surprises de ce début d’année, tant son concept est accrocheur et son exécution plutôt convaincante, même si tout n’est pas parfait, comme nous allons le voir dans les prochaines lignes.
(Test de Pacific Drive sur PlayStation 5 réalisé via un code du jeu fourni par l’éditeur)
La guerre est source d’avancée technologique. C’est probablement avec ce mantra en tête qu’Ironwood Studios s’est lancé dans le développement de Pacific Drive. La toile de fond est simple : en pleine Guerre Froide contre l’Union Soviétique, les États-Unis se sont lancés dans une course à l’armement qui les ont poussés à exploiter une dangereuse, mais intrigante, technologie appelée LIM. Cette dernière permet de contrôler les éléments et la physique, remodeler la réalité à son bon vouloir, et donne à son utilisateur un pouvoir quasi divin.
Seul souci, la surexploitation et le manque d’étique de certains scientifiques et chercheurs ont été source d’un incident qui a poussé le gouvernement américain à mettre une partie du Nord-Ouest Pacifique en quarantaine. Une zone d’exclusion dont nous sommes protégés de l’extérieur par de gigantesques frontières bétonnées et dans laquelle notre héroïne, simple coursière, se retrouve prisonnière et dont elle doit tenter de s’échapper.
Du scénario, de la narration même, il n’y a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas là l’attrait principal du jeu et cela sert surtout de fil conducteur à certaines de nos virées en bagnoles. Comprenez que ce n’est en rien mauvais, c’est même plutôt intéressant, mais le tout se montre étonnamment intra-diégétique, aussi pour ne pas briser l’immersion du joueur dans cet univers impitoyable et terriblement prenant. Notre personnage est, à l’instar de ces stars de l’immersive sim d’antan, muet, et l’histoire se déroule au travers de messages radios, de journaux écrits et audios que l’on déniche ici et là, ainsi que via une narration visuelle bien présente.
Break me up
Alors qu’est exactement Pacific Drive ? Tout simplement un jeu de survie en terrain hostile tout ce qu’il y a de plus classique de prime abord. On part d’un point A pour visiter un point B et y récupérer toutes les resources possibles pour ensuite les ramener à notre point de départ, tout en faisant avec quelques menaces qui peuvent mettre à mal notre expédition à la moindre erreur. Sauf qu’ici, il n’est pas question de gérer la faim, la soif, la condition physique ou encore l’état de fatigue de notre personnage, mais bien de prendre soin de notre voiture, un vieux break, sans lequel on se retrouve démuni.
Tout part d’un garage qui nous sert d’abri et dans lequel on peut faire le plein, fabriquer quelques bricoles, planifier nos itinéraires et réparer, chouchouter, notre cylindrée. Cette dernière est et sera tout du long notre seul compagnon de voyage, et ne vous y trompez pas, elle réserve son lot de surprises, n’étant pas si inanimée que cela. Son comportement se montre parfois totalement erratique : une porte qui ne cesse de s’ouvrir lorsque l’on accélère; le frein à main qui s’enclenche seul; d’où viennent ces phénomènes étranges ? C’est à nous que revient de faire la lumière sur ce qui est appelée « bizarreries » via une console dédiée.
De ce break, il faut tout prendre en main. Réparations, changements de pièces, améliorations diverses et variées, le tout avec la possibilité de customiser visuellement son engin. Et pour ce faire, il nous faut prendre la route dans la zone d’exclusion, qui est d’ailleurs délimitée par plus d’un mur, pour récupérer de précieuses ressources inhérentes à notre progression. Pacific Drive n’est pas un open-world, mais bien plus un open-field, chaque segment de jeu étant entrecoupé de temps de chargement. Mais ce n’est en rien un problème fondamental, puisque cela est justifié par le principe même du jeu, à savoir qu’il est aussi un Roguelite.
Break warrior
Vous avez bien lu. Pacific Drive n’est pas ce que l’on pourrait penser au départ et c’est d’ailleurs l’un de ses gros points forts, ce mélange des genres apporte une expérience assez inédite. Pour résumer simplement, parce que cela se complexifie à mesure que l’on trace notre route, les différentes cartes sont générées de manières procédurales, ceci étant expliqué par le fait que l’incident avec le LIM a provoqué des altérations spatio-temporelles dans la zone d’exclusion. Cela a deux conséquences majeures pour le joueur. La première est qu’il est impossible d’apprendre par cœur la carte d’un lieu, et la seconde qu’il devra s’en échapper en utilisant un portail accessible après avoir récupéré l’une (ou plusieurs) des richesses les plus importantes du jeu : l’ancre.
Si l’on rate notre extraction, on se fait téléporter dans notre garage, avec généralement une voiture en piteux état et la perte de la quasi-totalité des ressources glanées en fouillant maisons, centres de recherche, épaves ou en les récoltant dans la « nature » étrange qui se développe dans la zone d’exclusion. Le jeu ne nous permettant pas de sauvegarder une fois lancé sur la route, autant dire que cela peut être parfois assez frustrant, surtout que certaines sorties dépassent l’heure assez facilement, car pour rejoindre un endroit donné, il nous faut parfois en visiter d’autres auparavant. La phase de préparation avant de prendre le volant est donc un impératif à ne pas négliger, si bien que l’on passe pas mal de temps dans le garage avant notre départ.
Les principales difficultés que nous rencontrons durant nos escapades sont les anomalies présentes, elles peuvent être électriques, radioactives, environnementales et même biomécaniques. Ironwood a mis les petits plats dans les grands pour nous proposer des situations de jeu variées qui ne cessent de se montrer toujours plus menaçantes à mesure que l’on progresse. L’autre composante à prendre en compte est le fait que certains lieux font montre de certaines instabilités auxquelles on ne peut échapper. Ceci peut avoir une incidence sur les anomalies en les rendant plus menaçantes encore, tout comme sur notre voiture, qui verra par exemple sa batterie se vider beaucoup plus rapidement.
Et tout ceci est à faire en évitant des tempêtes de différents types qui peuvent se mettre à notre poursuite, alors que lorsque l’on enclenche notre dispositif ARC pour activer un téléporteur à bonne distance, il nous faut vite nous y rendre, car une très violente tempête remontant toute la carte à la manière de celle d’un Battle Royale nous fond littéralement dessus. Il est possible d’y survivre, mais très peu de temps, alors autant ne pas faire de vieux os. Tout est extrêmement bien pensé, et rend chacune de nos excursions à la fois unique et grisante, même si le système de jeu se montre un chouïa redondant à la longue.
Pimp my Break
Parce que finalement, si l’on retire cette particularité du Roguelite et cet exceptionnel principe de jeu mettant en avant la conduite au travers de territoires vides de vie infestés de dangers divers, Pacific Drive reste un jeu de survie, certes profond, mais à la mécanique assez répétitive. Une sorte de routine s’installe, et très vite l’on se voit contraint de n’effectuer que quelques virées, plus courtes, pour récupérer du caoutchouc ou du plastique, parce qu’il nous en manque pour fabriquer un objet presque obligatoire si l’on veut creuser plus loin. On se retrouve souvent contraint de mettre de côté notre aventure trépidante uniquement pour faire le plein de matériaux et cela hache quelque peu le rythme du jeu, qui sans cela, serait beaucoup plus fluide.
Alors oui, c’est un jeu de survie et le craft est donc très important de ce fait, mais peut-être aurait-il fallu un peu mieux équilibrer les choses, car en l’état, on somnole parfois. Ceci est à coupler avec un autre écueil, puisque le titre se montre extrêmement généreux dans ce que l’on peut fabriquer et faire au garage. Si bien que les premières heures de jeu sont délicates à prendre en main, on débloque nombre de machines, de plans de fabrication et comprendre toute la mécanique de craft et surtout ses subtilités est complexe. Il faut en passer par de la lecture impérative via une sorte de codex pour bien assimiler comment faire ceci ou cela. Cependant, une fois que l’on a le jeu en main, c’est un pur plaisir pour les gestionnaires dans l’âme, Ironwood ne prend pas les joueurs pour des imbéciles et c’est tout à leur honneur.
Break driving school
Parce qu’il faut aller chercher l’information qu’il nous manque, comme lors de nos sorties à pied, durant lesquelles on scanne toutes sortes de choses nous apportant donc souvent l’élément qu’il nous manque à la compréhension d’une problématique. Comment réparer telle pièce ? Un coup de scan. Comment ouvrir cette porte barricadée ? Un coup de scan. Le scanner est aussi une obligation pour débloquer de nouveaux plans de construction dans le garage. Et oui, qui dit scan, dit parfois là encore une certaine nécessité à faire des sorties uniquement pour trouver l’anomalie qu’il nous manquait dans la base de données pour pouvoir enfin acquérir ce schéma pour fabriquer ce porte-bagage. Comme pour le craft, on voit là une certaine redondance.
Mais ce ne serait pas rendre justice au gameplay que propose Pacific Drive que de ne retenir que ces petits soucis qui n’entachent finalement pas tant que ça l’expérience de jeu. Parce que c’est bien la conduite qui est au centre de toutes attentions, et de ce point de vue, on est proche de la perfection. Elle n’est ni arcade, ni simulation, mais surfe habilement sur la vague de l’entre deux en devenant de plus en plus souple à mesure que l’on améliore notre break. Car au départ, le bolide est lourd, peu protégé, patine et dérape à tout-va dès que l’on fait du hors piste et se montre capricieux pour ne serait-ce que gravir une petite pente. Puis à mesure que l’on l’améliore, ce qui était une voiture de promenade d’été devient un monstre capable de survivre à un bon Mad Max.
De plus, ce n’est pas seulement au garage qu’il nous faut veiller sur sa condition, mais aussi sur la route. Voilà pourquoi il est impératif de bien préparer son départ, car il faut souvent palier une crevaison, réparer un élément qui a pris un coup ou encore refaire le plein d’essence à l’aide d’un bidon de fortune. Si bien que l’on s’accommode rapidement de certains points cruciaux à gérer, on éteint nos phares lorsque inutiles, on coupe le contact et on met le frein à main lorsque l’on quitte le véhicule, en bref on cherche à minimiser tout risque de panne ou de dégâts liés à de petites erreurs stupides.
Le tableau de bord nous donne d’ailleurs toutes les informations dont l’on a besoin, ceci permettant d’épurer l’interface, même s’il arrive qu’on se prenne un arbre car notre attention se porte sur la jauge d’essence. La carte de l’endroit dans lequel on se trouve et qui est d’une grande importance s’affiche sur le siège passager, ce qui oblige à littéralement tourner la tête de son personnage pour y jeter un œil et cela peut se montrer très dangereux lorsque l’on est dans l’urgence. Il nous faut alors jongler astucieusement, ne pas hésiter à couper le contact et étudier son itinéraire et ce que la map a à nous offrir, c’est tout un écosystème qu’il nous faut gérer pour revenir au garage sans trop de bobos en ayant récupéré le maximum de ressources possibles. L’optimisation est indispensable dans Pacific Drive.
Lightning Break
On ne peut pas conclure cette critique sans parler de la présentation graphique du jeu. Il s’en dégage un côté assez épuré, presque cel-shadé, la direction artistique est simple, sans fioriture, mais suffisamment détaillée pour convaincre. La deuxième partie du jeu vire encore un peu plus dans la SF et les lieux que l’on visite se montrent d’une beauté sidérante.
Techniquement, ce n’est pas le jeu le plus fou que l’on ait vu, loin de là, mais il y a un point sur lequel Pacific Drive est inattaquable : ses jeux de lumière. C’est tout bonnement magistral de ce côté-là, complétement fou parfois, on en prend plein les yeux et dans la trop sombre pénombre dans laquelle on est souvent plongé, ce qui peut se montrer très agaçant, tant, c’est parfois abusif, la lumière agit comme un phare qui nous guide et qui nous informe d’ailleurs sur le danger qui se dresse devant nous.
Tout cela immerge le joueur dans un cadre hypnotisant. À défaut de pouvoir proposer un moteur digne d’un AAA, Ironwood a fait le choix de travailler à l’excès l’ambiance visuelle et sonore. La bande son est bluffante, effrayante occasionnellement lorsque l’on crapahute dans une forêt et que l’on entend un bruit au loin se rapprochant dangereusement. Il s’en dégage un petit côté jeu d’horreur de temps en temps, sans que cela embrasse pleinement ce chemin néanmoins.
Mais si l’on conclut par la qualité sonore du titre, comment ne pas parler de la bande originale très synthétique et des très nombreux morceaux sous licences que l’on peut écouter sur son poste de radio en conduisant et qui proposent une playlist en adéquation totale avec l’expérience.
Pacific Drive est un jeu de survie/Roguelite très étonnant et qui demande un investissement total de la part du joueur qui devra passer de longues heures à apprendre des mécaniques complexes avant de pouvoir enfin respirer et profiter pleinement de l’expérience. Cela pourra être un frein pour beaucoup, mais croyez-nous le jeu en vaut la chandelle. D’ailleurs, le titre est paramétrable à l’envie et on peut se simplifier les choses en passant par la case des options, même si on le déconseille fortement pour qui recherche l’authenticité. Il est certes imparfait, mais ne rate absolument rien.
C’est un objet unique, aussi bien pour son genre, que dans sa proposition et offre un univers captivant dans lequel on augmente le kilométrage de notre break avec un plaisir certain. Une réussite qui prouve encore une fois qu’une idée ambitieuse peut donner de grandes choses.