Vous savez ce qui est le plus dur quand on a la chance de vivre au Japon ? Voir en boutique un jeu qu’on désire et devoir attendre des mois avant d’enfin pouvoir poser les mains sur une version accessible à son niveau de langue (en gros, en français ou en anglais). Cette « chance », vous pouvez imaginer, fait partie de mon quotidien… Rune Factory 5, Xenoblade Chronicles 2 (il y a quelques années maintenant), Captain Tsubasa: Rise of the New Champions, etc. Tous ces jeux et bien d’autres m’ont permis de revivre ce moment dont je ne peux pas me lasser, attendre patiemment qu’Amazon accueille des versions à importer en évitant le spoil sur les réseaux sociaux, avec le dernier en date : Monark.
Sorti en octobre dernier au Japon, le soft ne peut pas laisser indifférents les fans de Shin Megami Tensei et de Persona. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il puise largement dans les codes utilisés. Cela est sans surprise puisque les mecs qui ont chapeauté ce projet chez Lancarse en viennent (certains d’entre eux ayant notamment de l’expérience sur Shin Megami Tensei: Strange Journey que nous avons testé sur 3DS). Mais s’inspirer d’un grand peintre ne fera pas de vous un artiste et il est temps de vérifier si l’optimisme de nos premiers pas dans la démo subsiste après quelques heures dans les couloirs de Shin Mikado. Persona et Shin Megami Tensei vont-ils se retrouver à genoux devant un nouveau roi ?
(Test de Monark réalisée à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Une approche académique
L’inspiration se fait sentir dès les premières secondes. Monark prend place au sein d’un complexe scolaire, l’académie Shin Mikado, vous forçant donc à endosser, dans la plus grande tradition d’Atlus, le rôle d’un lycéen. Enfin, un lycéen bien embêté puisque, alors que tout le monde semblait vivre une journée normale de cours, un étrange dôme met l’école sous cloche, empêchant quiconque d’y entrer et d’en sortir et permettant à un épais brouillard de s’y installer. Plus gênant encore, cette brume n’est pas là pour cacher la technique désastreuse (blague de joueurs Nintendo 64), mais semble perturber l’esprit des élèves et professeurs, faisant sombrer l’ensemble de l’établissement dans la folie.
Pour lever ce sinistre dôme, vous allez devoir traverser les différents bâtiments de l’académie et éliminer ceux qui se sont associés avec les représentations des sept péchés capitaux (ces derniers étant justement les Monarks). Une tâche d’autant plus difficile que ces derniers sont en possession de pouvoirs leur permettant de corrompre les autres prisonniers du dôme et que les étudiants fous victimes de la brume se dresseront sur votre chemin. Finalement, heureusement que d’autres se joindront à votre personnage pour vous aider à rétablir la situation, notamment Vanitas, avatar de la vanité, qui vous accorde vos propres pouvoirs en renforçant votre ego.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas pour son scénario qu’on se lancera à la conquête du titre. En effet, sans pécher, il reste extrêmement classique dans son fond comme dans sa forme, ce que le gameplay et le game design ne tarderont pas à vous rappeler puisque vous débloquez et parcourez les environnements les uns après les autres. Néanmoins, si on peut excuser à un RPG de faire dans le classique, on aura plus de mal à excuser les personnages : méchants clichés, personnages « fiche fonction », etc. Pour les protagonistes, Monark est le niveau 0 de l’écriture et aucun effort n’a été fait pour les rendre attachants.
Entendons-nous. Si nous pourrions débattre du manque d’inspiration des RPG japonais en commentaires, ici, entre les one-liners niaiseuses, les tentatives désespérées de faire du pied aux joueurs et le fait que tous les antagonistes soient animés par les mêmes motivations, à savoir « pourquoi le monde est méchant ? » et « je veux devenir fort pour me venger », un joueur devrait avoir du mal à trouver dans ce voyage un point d’accroche pour lui donner envie de poursuivre. Et c’est d’autant plus grave puisque l’histoire touche à des sujets mâtures et intéressants comme le harcèlement scolaire ou le suicide. Des thèmes sérieux avec de vrais enjeux qui trouveraient une place dans une histoire ambitieuse. Dommage donc que le storytelling soit resté au collège.
La folie nous guette
Vous l’avez donc compris (puisque l’histoire implique un déroulé linéaire de votre aventure), votre mission consistera à découvrir les bâtiments un à un, étage par étage, afin d’en éliminer la brume et de détruire les Idéaux, manifestation physique de l’Ego de ceux qui ont fait un pacte avec les Monarks. Le jeu n’étant pas un RPG, à la différence des séries d’Atlus, les deux expériences de gameplay ne s’imbriquent pas entre elles. Bien au contraire d’ailleurs. Pas de rencontres aléatoires ici. Monark se construit en alternant les phases d’exploration (avec pour mission de résoudre une énigme), suivies par un combat (contre des mobs ou le boss), puis une scène d’exposition (quasiment systématique), une formule purement scolaire définissant avec simplicité les enjeux des prochaines minutes de jeu.
Si on ne peut pas dire que le déroulé de l’aventure aura été extraordinairement servi, on observe que le gameplay, lui, aura été mieux pensé. L’exploration, déjà, repose sur votre capacité à réunir des indices dans un lieu donné, interroger ceux qui y déambulent et trouver l’option qui vous permettra d’avancer (que ce soit un code, un mot de passe ou une option de conservation). Le combat, lui aussi, à défaut d’être original, fonctionne. Monark inscrit son système de combat dans la tradition du T-RPG au tour par tour avec mouvements libres ici plutôt que « case par case ».
Pour survivre, il faudra donc cogner dur sur vos ennemis, mais aussi maîtriser vos placements, non seulement parce que le jeu ne vous fera pas de cadeau, mais aussi puisque grouper vos personnages vous permettra de créer des combos. À vous donc de prendre soin de privilégier l’union et de profiter avec finesse des diverses options disponibles (notamment celle d’offrir l’action d’un personnage à un autre).
Enfin, place au point fort de ce jeu : la jauge de folie. Tout au long de ce périple, vos personnages seront sujets à la folie. Cette folie se manifestera chaque fois que vous crapahuterez dans la brume, aussi bien durant les phases d’exploration qu’en combat. Lors des premières, la jauge augmentera d’elle-même, que vous bougiez ou non. Si votre jauge monte à 100 %, par la faute d’un élève dément ou à cause des appels mortels (événements désactivables par le biais d’un coup de fil), c’est retour à l’infirmerie. En combat, comme pour un Shin Megami Tensei, vos personnages ont accès à toutes sortes de compétences. Certaines s’activent en dépensant vos PV, d’autres en puisant dans votre santé mentale. Si votre folie grimpe à 100 %, votre personnage y cédera et vous en perdrez le contrôle pendant trois tours avant qu’il ne tombe…
Cool ? Bien plus si vous considérez que le talent du personnage principal consiste à partager bonus et malus entre lui et les autres personnages. Grâce à cette option, tout un panel de possibilités s’ouvrent à vous, incluant notamment la possibilité d’atteindre le statut d’éveil, un statut spécial vous accordant des bonus statistiques et des compétences uniques et dévastatrices. Ceci dit, cette mécanique trouve ses faiblesses rapidement, durant les phases d’exploration d’abord, parce que le voyage rapide retire tout enjeu, que ces phases d’enquête ne durent qu’une poignée de minutes et que, même si vous tombez, Monark ne vous pénalise qu’en vous renvoyant à l’infirmerie, sans avoir perdu quoi que ce soit. Dommage donc de créer de la tension pour finalement la faire retomber comme un soufflé.
Les gars sérieux… On est en 2022…
Vous savez très bien où nous arrivons à présent. C’est le moment où on peut enfin tirer à vue. On va commencer avec le point que vous pouvez voir dès la version de démonstration : le jeu n’est vraiment pas beau. Alors oui, vous pourriez parler de Légendes Pokémon : Arceus et nous sommes d’accord, oui. Ce n’est pas beau, mais lui, il fonctionne. Ici, non seulement les décors se répètent et sont vides (ce qui ne surprendra jamais quelqu’un ayant vu une école japonaise), mais, quitte à recycler des assets d’un bâtiment à l’autre, le rendu pourrait être plus clean ! Mince, même le campus, qui n’est pas bien grand d’ailleurs, est divisé en sections avec des murs invisibles. Oh ! Xenoblade 2 et Witcher 3 sont plus clean sur la même console ! Un petit effort s’il vous plaît (et ne parlons pas des modèles de personnage ou de la gestion de la caméra, on pourrait presque devenir grossier…) ?
Vient à présent le temps du crève-cœur. C’est le point qui nous a le plus intrigués à son annonce : un RPG reprenant les codes d’Atlus, mais les associant aux sept péchés capitaux. Comment ne pas être séduit ? Dans un premier temps, ça fonctionne. Une fois votre personage nommé, vous allez être invité à répondre à une série de questions, ces dernières définissant le caractère de votre avatar. Ça s’arrête ici. Non seulement vos choix n’influencent ni l’histoire ni les dialogues (votre personnage se contentant d’être un personnage sans âme dans des décors dénués de vie ; au moins, visuellement, ça reste raccord), mais ces points ne servent qu’à vous ouvrir des cristaux disséminés sur la map pour des boosts statistiques définitifs.
Alors oui, ça peut être cool, mais quand on parle des sept péchés capitaux, qu’on promet une aventure construite autour d’eux et qu’on se retrouve à faire des tests dignes des « grandes heures » de Facebook du style « quel personnage de Harry Potter êtes-vous ? » (je déteste Toby), il y a de quoi être déçu (il est possible qu’une partie des subtilités ait disparu lors de la localisation, ce qui n’excuse rien, en fait).
Et, pour terminer avec un dernier point gameplay, il y a deux sortes de RPG : ceux qui sont équilibrés et qu’on peut franchir pour le fun (tout en conservant du challenge), et ceux qui forcent au grind. Vous savez déjà où se situe Monark. En effet, comme nous le disions plus tôt, le titre repose sur une boucle avec, au final, très peu de combats.
Cependant, chaque fois qu’une boucle est complétée, les monstres de tous les niveaux prennent deux ou trois niveaux, vous forçant donc à rattraper votre retard, ce qui est d’autant plus vrai à la suite d’un boss où le personnage accompagnateur vous quitte et se voit remplacé par un personnage niveau 1. Si on apprécie le fait que l’expérience ne soit pas distribuée et qu’il vous revient de le partager comme vous l’entendez entre vos personnages (débloquer une compétence dans l’arbre d’un personnage le fait progresser d’un niveau), nous reconnaissons volontiers le fait qu’être contraint de grinder entre chaque phase de scénario est usant puisque cela rend le jeu plus long artificiellement (d’autant plus que les combats peuvent être extrêmement punitifs puisque la mort du personnage principal résulte en un Game Over ; inspiration Atlus ?).
Retour plus que mitigé donc pour ce Monark. Et pourtant, nous aurions tant aimé vous le recommander. En effet, comment ne pas être séduit par l’offre d’un tactical-RPG aux couleurs des sept péchés capitaux, surtout quand on est de culture judéo-chrétienne, fan d’animation nipponne ou du travail d’Atlus ?
Malheureusement, le résultat déçoit bien trop. Personnages auxquels il est impossible de s’attacher, courbe de difficulté qui force bien trop souvent au grinding et bien d’autres points négatifs nuisent aux quelques bonnes idées trouvées par Lancarse. Bien trop souvent poussif, le jeu reste bien dans les mémoires après une séance, mais pas toujours pour les meilleures raisons, et c’est bien dommage. Enfin, vous pouvez toujours céder à la gourmandise si vous le trouvez à bas prix…