Ce n’est un secret pour personne, le plombier moustachu de Nintendo est un touche-à-tout. Le sport, le kart, la danse, la bagarre, les puzzles, les jeux de société et bien d’autres genres encore. Alors pourquoi pas en jeu de rôle ? C’est en tout cas ce que ce sont dit les développeurs de Squaresoft lorsqu’ils ont lancé sur SNES Super Mario RPG. Un tournant dans la carrière de la fratrie Mario qui a donné naissance par la suite à deux licences finalement assez proches, Paper Mario et Mario et Luigi dont le nouvel opus Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle est sorti sur Switch ce 7 novembre dernier.
Ainsi, près de dix ans après leur dernière aventure inédite, Nintendo a entrepris de ressortir du sous-sol poussiéreux du studio AlphaDream fermé en 2018 et d’exhumer donc nos deux valeureux frangins. Mais ces résurrections ludiques ne sont pas toujours heureuses et la dernière tentative du genre, Paper Mario and the Origami King, s’est soldé par un échec. Alors, Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle tiendra-t-il son pari de nous faire vivre une aventure digne de son illustre aïeul ?
(Test de Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle sur Nintendo Switch réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Le rythme a mis les voiles
Comme d’habitude pourrait-on dire avec les jeux Mario, on ne s’embarrasse pas vraiment avec les scénarii. Alors qu’ils passaient leur journée à profiter du Royaume Champignon, nos deux compères en salopette se retrouvent aspirés dans un monde parallèle, Connexia, qui se trouve être en proie à de grands dangers. Et pour une fois, l’infâme Bowser n’en n’est pas la cause. En effet, toutes les îles de ce monde, normalement connectées via l’Unicéa (une sorte d’arbre géant), sont à la dérive.
Nous sommes alors chargés, héros oblige, de réunir toutes ces terres en perdition accompagnés d’une jeune Volticultrice, une sorte de gardienne ayant pour mission de rétablir le lien entre ces îles, et un cochon rose nous servant d’insupportable guide (à la Navi d’un Zelda: Ocarina of Time) et ayant trouvé refuge sous la casquette de Luigi. Bref, un énième hasard qui fait bien les choses et qui lance donc une aventure nous ayant tenu en haleine une bonne trentaine d’heures.
Un périple d’une durée qui parait raisonnable mais qui nous a pourtant semblé s’éterniser plus encore tant le titre souffre d’un manque de rythme pouvant être rédhibitoire pour les moins patients. Une fois encore, il nous faut pointer du doigt les capacités aujourd’hui dépassées d’une Nintendo Switch en bout de course et qui ont, en partie, conduites à ce que Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle nous impose en permanence des temps de chargement.
En partie seulement car il convient aussi de tacler une optimisation du titre totalement aux fraises et qui aurait dû, avec quelques mois de développement supplémentaires, lui permettre de tourner bien mieux. Comment peut-on se satisfaire de telles carences techniques quand la même machine arrive à nous proposer des titres comme Xenoblade Chronicles 3 ou Zelda: Tears of the Kingdom, bien plus gourmands en ressources ?
Un rythme malheureusement aussi plombé par une narration et des dialogues qui mettent systématiquement un coup d’arrêt à nos pérégrinations. Si au moins les innombrables dialogues dont nous gratifient les différents PNJ du jeu étaient intéressants, faisaient avancer l’intrigue ou étoffaient le lore d’un univers pourtant prometteur. Mais n’y comptez pas. Il s’agira la plupart du temps de mots sans intérêts, de lignes de dialogues insipides servant parfois uniquement à enrober les quelques mots utiles à notre quête.
Une boucle qui, si elle reste tout à fait acceptable durant un temps, finit immanquablement par taper sur le système quand on se retrouve à l’enchaîner, soit parce que nous entrons dans un tunnel narratif, soit parce que l’on souhaite effectuer les diverses quêtes annexes se déverrouillant à intervalles réguliers et qui consistent globalement à aller parler à divers PNJ sur les différentes îles déjà explorées.
Ainsi, on se retrouve bien souvent à maintenir une touche censée accélérer la vitesse des scènes (mais pas suffisamment) et à skipper certaines conversations inutiles. Mais même ainsi, on a parfois eu l’impression de perdre notre temps. Alors on pourra évoquer l’humour présent dans moultes scènes et qui arrive souvent à faire mouche (même s’il semble parfois cibler le jeune public) et les clins d’œil plus ou moins appuyés à d’autres jeux du constructeur nippon, nous attendions mieux de Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle.
Luigi des idées de génie
Il faut dire que le rythme du titre n’est pas vraiment boosté par l’exploration au sein de Connexia. En effet, pour reconnecter les îles à la dérive, nous parcourons les différents courants marins du monde afin de les débusquer puis de nous y propulser à coup de canon. Sauf que cette navigation, qui s’opère sur une sorte de carte des niveaux, est d’une lenteur sans nom. Même après quelques heures de jeu, lorsqu’il devient enfin possible d’accélérer la vitesse de notre navire (signe que les développeurs avaient identifiés le problème), ce n’est toujours pas fameux.
Et pourtant, lorsqu’enfin nous posons pied à terre et que les personnages nous fichent la paix quelques minutes, l’aventure commence à distiller ses innombrables qualités. Chaque île a ses spécificités et si, fondamentalement, notre mission principale reste identique à chaque fois (atteindre le phare local pour le connecter au Navisthme, notre base flottante), le déroulé de notre quête sera souvent bien différent.
On pourra par exemple évoquer l’île sur laquelle un vol a été commis et où l’on devra mener l’enquête pour trouver et confondre le coupable, ou celle où il faut participer à un festival de danse, façon jeu de rythme, pour débloquer l’accès au fameux phare, ou la ville labyrinthe dans laquelle on doit se frayer un chemin jusqu’à la sortie. Bref, Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle nous propose une variété appréciable de situations et palie finalement efficacement l’impression de mollesse générale instillée par la narration.
Et puis, pour une fois, alors que les deux frangins sont ensemble à l’affiche, la véritable star de l’aventure, c’est bien Luigi. Très souvent mis en avant pour ses gaffes, certes, il est aussi systématiquement le génie qui trouve l’idée juste pour sauver la situation. Malgré tout, c’est bien Mario que l’on contrôlera tout au long de l’aventure, le pauvre Luigi restant relégué, manette en main, à un rôle de soutien. Va casser les blocs, file déterrer les navets, va chercher les collectibles… Quel dommage que contrairement à son rôle dans l’intrigue, Luigi ne soit dans les fait toujours que le faire valoir de son bedonnant frère.
N’aurait-il d’ailleurs pas été envisageable de proposer un mode deux joueurs pour un titre qui s’y prête aussi naturellement ? Tout dans Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle appelle à une aventure en coopération, même son titre. Au lieu de cela, les actions de l’un et l’autre héros ne sont le privilège que d’un seul joueur.
Ainsi, Mario et Luigi ne s’apparentent là qu’à une seule entité ce qui, fatalement, limite aussi le potentiel des énigmes et affrontements. Aussi inséparables soient-ils, nous n’aurions pas dit non à plus de séquences ou les deux compères se retrouvent séparés et doivent éventuellement coopérer à distance pour se retrouver, ou même résoudre des énigmes en pouvant réellement les contrôler indépendamment l’un de l’autre.
Cela ne nous a néanmoins pas empêché de véritablement apprécier la plupart des environnements. Et si les premières îles sont très simples, voire même basiques, lorsqu’arrivent enfin les donjons principaux, les grands phares, l’exploration prend enfin tout son sens et conclut admirablement la complétion d’une région.
Électrisant
Reste que ce qui nous a le plus procuré de plaisir, ce sont bien les affrontements. Depuis les débuts des aventures de la mascotte de Nintendo dans le monde des RPG, les combats ont toujours proposé une approche active du tour par tour. Ainsi, que ce soit dans les Paper Mario ou dans Mario et Luigi, en attaque comme en défense, il convient d’accompagner, via un QTE plus ou moins évident, les actions de nos combattants.
De fait, pour une attaque sautée par exemple, presser le bouton d’action au moment où Mario atteindra sa cible octroiera un bonus de puissance voire ajoutera un assaut supplémentaire. Il en est de même en défense avec la possibilité d’esquiver et même de contrer les offensives ennemies. Bref, on a beau se trouver face à un système au tour par tout classique dans sa forme, dans les faits on n’est jamais inactif quand on combat dans Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle.
Au fil de notre avancée dans l’histoire, nos adversaires deviennent de plus en plus complexes à analyser, au point qu’on pourrait presque parler de « combat-puzzle ». Il convient de comprendre comment esquiver certaines ruées adverses, de voir si et/ou comment il serait possible de les contrer, de trouver leurs faiblesses. Alors bien sûr, une fois ces connaissances acquises, on roule globalement sur tous les ennemis de la zone, mais les environnements étant généralement assez restreints et le bestiaire se renouvelant régulièrement, ce n’est pas vraiment un problème.
Et puis, il ne faut pas oublier l’excellent système de prise de combat qui permet de s’octroyer divers bonus particulièrement utiles. Par exemple, on peut, par ce biais, ajouter une onde de choc à nos attaques, permettant d’aussi toucher les ennemis proches de notre cible, obtenir un soin automatique quand nos HP descendent sous un certain seuil ou obtenir un boost de dégâts contre un certain type d’ennemis.
Mais le génie de ce système réside dans ses combinaisons à exploiter pour l’emporter de manière encore plus spectaculaire. Quelques prises ont une synergie naturelle et permettent d’annihiler certaines troupes en quelques actions. Une combinaison simple consiste à coupler une prise d’onde de choc, précédemment citée, avec une prise faisant tomber une boule à pointe sur un ennemi attaqué. De cette manière, ce ne sera pas le seul ennemi ciblé qui subira les dégâts de la boule mais bien l’ensemble des adversaires pris dans l’onde de choc.
Imaginez alors les combinaisons possibles en ajoutant des bonus liés au statut de l’ennemi ou à notre type d’attaque notamment. Surtout que le menu est d’une grande souplesse, nous permettant d’ajuster les prises équipées à loisir dans et en dehors des combats. Un système qui atteint son plein potentiel durant les formidables combats de boss qui ponctuent l’aventure. Ceux-ci fonctionnent également comme des puzzles qui mettront, eux aussi, en lumière le génie de Luigi. Ajoutons à cela quelques attaques « frères » particulièrement redoutables et une alchimie entre les deux frères omniprésente : Voltfas et ses sbires Dis, Jonc et Terr (les vilains de cet épisode) n’ont qu’à bien se tenir.
Ainsi, lorsque vient le temps de la castagne, Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle est une franche réussite. Si nous aurions pu facilement lâcher l’affaire après les premières heures bien trop bavardes, c’est bien grâce à ses combats que nous nous sommes accrochés jusqu’au bout. Ni trop dur, ni trop simple, l’équilibre de l’ensemble est excellent et nous a permis de prendre un plaisir non dissimulé à apprivoiser toutes les prises à notre disposition pour analyser, comprendre et répondre avec délectation aux assauts ennemis.
Après un Paper Mario and the Origami Kink indigent, on ne vous cache pas que nous avions très peur avant de mettre les mains sur Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle, et il faut bien admettre que les premières heures n’étaient pas vraiment là pour nous rassurer. Elles préfiguraient même d’un rythme tout au long de l’aventure particulièrement mollasson, la faute à d’incessants et inintéressants dialogues et de temps de chargement omniprésents.
Et pourtant, malgré quelques maladresses et un humour plaisant quoique tombant régulièrement à plat, le titre est plein de bonne volonté et arrive à se renouveler suffisamment pour palier, dans une certaine mesure, sont manque de dynamisme. Et voir enfin Luigi prendre le leadership intellectuel de la fratrie, c’est aussi surprenant que plaisant, quoique cela nous fasse d’autant plus regretter qu’un mode deux joueurs n’ait pas été implémenté à l’aventure.
Mais c’est surtout dans ses combats que Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle réalise presque un sans-faute. Alors qu’on était déjà bien rodé sur le tour par tour actif cher à la série, le titre nous a surpris grâce à son système particulièrement malin de prise de combat, ajoutant une bonne dose de stratégie aux affrontements à la frontière entre puzzles et combats.
Alors certes, globalement, Mario et Luigi: L’Épopée Fraternelle n’est pas encore le grand RPG des frères moustachus dont nous rêvions, mais il est un pas dans la bonne direction et si d’aventure le studio Acquire à qui l’on doit cet opus devait récidiver avec plus de moyens, le résultat pourrait être à la hauteur.