Lorsque l’on se lance dans la lecture d’un roman de H.P. Lovecraft, on s’attend à découvrir un univers d’horreurs et de ténèbres dans lequel la folie est une norme qui nous est à nous autres pauvres mortels totalement abscons. On espère ainsi ouvrir notre esprit à l’insondable, à l’abstrait, à une dimension unique nous invitant à un voyage spirituel enivrant et dangereux pour notre santé mentale.
Dire que l’on attendait la même chose de Lust From Beyond serait peut-être exagéré, mais une œuvre qui s’inspire ouvertement des écrits du maître de l’horreur, des délires artistiques de Giger et Beksinski, tout en empruntant certaines thématiques fortes à des auteurs comme Clive Barker et son Hellraiser, ne pouvait que créer chez nous une grande curiosité.
Il faut dire que Lust From Beyond intrigue aussi de par sa volonté de mettre en avant le désir de la chair dans son plus simple appareil, reléguant au loin la censure de censeurs s’évertuant à faire de la vertu un absolu qui serait ici inutile. En s’appropriant les créations de quelques artistes géniaux pour les distordre et ainsi créer son propre univers, Movie Games entend proposer avec son jeu une expérience unique et marquante, espérant ainsi nous offrir la première référence de l’horreur érotique du jeu vidéo.
(Test de Lust From Beyond réalisé sur PC via une version commerciale du jeu)
Que nous raconte donc ce Lust From Beyond. Eh bien, une histoire assez classique finalement. On incarne un dénommé Victor Holloway, antiquaire dans un patelin des États-Unis, qui a des problèmes conjugaux d’ordre sexuel et fait de nombreux cauchemars récurrents l’envoyant dans une dimension infernale et lubrique. Conscient de son problème, il prend rendez-vous, sur les conseils de Lilly, sa conjointe, auprès d’un psychiatre, un certain docteur Austerlitz.
Ce dernier exerce et réside dans la ville de Bleakmoor, une petite bourgade qui accueille des festivités pour célébrer le solstice d’été. Pourtant, à son arrivée, Victor ne trouve pas âme qui vive, personne dans les rues ni dans les habitations et le cabinet du psychiatre est fermé. Il faut dire qu’il est tard et il décide alors de passer la nuit à l’hôtel du coin.
Là commence le périple de notre protagoniste. Un périple qui le mènera dans des territoires reclus, inconnus du commun des Hommes.
Dans les méandres de la folie
Le récit qui nous est conté ici est noir, obscur, nous entraîne sur les traces d’un royaume de luxure et de vices, dans lequel seuls sont acceptés le plaisir et la souffrance, dont la frontière entre les deux est indéfinie. Cet autre monde se nomme Lusst-ghaa, un endroit non pas habité par le mal, mais par le désir charnel : tout y est explicitement sexuel, des décors aux monstruosités qui y règnent en passant par sa mythologie. Riche et fascinante, cette terre est régie par ses propres lois et sert ses propres ambitions.
Victor est un voyant, un être humain capable de se rendre dans cette dimension. Pour ce faire, il peut ou passer par un portail ou atteindre l’orgasme et se téléporter spirituellement en ce lieu. Guidé par Amanda, une autre voyante appartenant à un culte dévoué à Lusst-ghaa, il y découvrira son destin et ce pour quoi il a été appelé par Lauv’abrarc, le dieu lubrique.
Face à lui, la Scarlet Lodge. Une secte fanatique qui tente de prendre le contrôle de cet empire de la débauche pour des raisons assez obscures que l’on découvre petit à petit. Adeptes de la souffrance, ses membres sont dangereux et endoctrinés, au point de se sacrifier pour leur cause. Cette cabale se sert des voyants pour pénétrer dans la terre interdite, n’hésitant pas à les torturer pour atteindre leur but.
Tout le long de l’aventure, les références faites aux maîtres de l’horreur nous ont alors sauté aux yeux. Cependant, Lust From Beyond possède sa propre identité. Il reprend par exemple certaines marottes de Lovecraft comme les loges, les rituels, les cultes, les prières dans une langue inconnue et inquiétante, ou encore ces figures idolâtrées qui renvoient directement aux Grands Anciens, tout en écrivant sa propre mythologie.
Cette dernière tourne autour des délices du sexe comme vous l’aurez compris. De ce fait, on nous présente un univers terriblement érotique et plus encore pornographique, qui jamais n’en fait trop et s’explique par son propos et ses thématiques. La lubricité, la curiosité, la transcendance spirituelle et physique au travers de ce qui est considéré par les plus puritains comme le péché originel.
En cela, on y voit un parallèle avec Hellraiser. Le Labyrinth s’ouvre en effet à ceux qui sont au plus profond d’eux à la recherche d’une expérience qui dépasse la compréhension commune, cette quête du bonheur luxurieux est une des clés permettant l’ouverture du cube dans l’œuvre de Barker. Tout comme ça l’est pour Lusst-ghaa. Si la ressemblance s’arrête là, ici point de Cénobites ou de Léviathan, on reconnaît aussi une autre différence majeure avec les œuvres citées précédemment.
La narration est, elle, imparfaite, non pas par ses mécaniques au demeurant très classiques, mais par ses personnages parfois un peu caricaturaux. Alors oui, Lovecraft est adepte des personnages fonctions, mais là, il y en a un peu trop de ces PNJ qui ne vivent que pour servir un but précis et rien de plus. Parfois aussi, le récit manque de justesse et passe à côté de ce qu’il veut dire, le plus souvent lorsqu’il met en scène la Scarlet Lodge, dont le vulgaire peine à être contenu convenablement.
Mais ne voyez pas là un défaut rédhibitoire, plutôt une fausse note qui entache un tableau jusqu’alors reluisant et qui ne vire jamais dans le grotesque. En cela, on en ressort satisfait, surtout que c’est aussi véritablement captivant pour qui aime ce genre de récit très lovecraftien sur les bords.
Un labyrinthe de luxure
Pour appuyer le récit, il fallait bien une direction artistique incroyable et recherchée. Pour ce faire, au-delà même de nous présenter une bourgade de Bleakmoor totalement hors du temps par rapport à l’époque moderne dans laquelle se déroule l’aventure, c’est bien de par son autre dimension que le jeu se démarque totalement. Il faut dire qu’en s’appuyant sur les travaux de deux monstres comme H.R Giger et Beksinski, on peut difficilement se tromper.
Pourtant, ce n’est pas qu’en s’inspirant d’autres œuvres que l’on peut créer un univers cohérent et riche visuellement. Lusst-ghaa est un lieu puissant estétiquement, dépaysant et furieusement angoissant. L’ambiance qui y règne n’est pas glaçante, ni même apaisante, elle se situe à la frontière des deux, liant là encore la jouissance à la souffrance. Ainsi, tout ce qui y vit n’est pas hostile, seuls les êtres corrompus le sont et attaquent à vue.
L’architecture est sexuelle. Il n’y a pas d’autres définitions possibles, tout ou presque renvoie aux appareils reproductifs masculin et féminin. Forcément et comme davantage complexe, les attributs féminins sont plus présents, car aussi plus attirants et d’un certain point de vue mystérieux. Les monstruosités y résidant sont comme des déformations de l’humain. Parfois grotesques, d’autres fois plus fines, elles sont le reflet de nos désirs torturés.
Le reste est bien plus classique, sans pour autant être mauvais. On y retrouve le vieux manoir aux quelques secrets et passages insoupçonnés et dans lequel le culte a élu domicile. Quant aux locaux de la Scarlet Lodge, ils sont à leur image et il s’en dégage une folie palpable, imagée par des cadavres nus jonchant le sol, décorant les plafonds ou enfermés dans des vierges de fer.
On y voit un petit côté moyenâgeux reflété aussi par les tenues quelque peu BDSM des occupants de ce vieux théâtre transformé en antre de la lubricité. Chose qui tranche avec l’autre versant plus sage, en apparence du moins, mais qui s’adonne aussi à des orgies masquées lors de cérémonies païennes davantage explicites.
La question du sexe
C’est quelque chose dont il nous faut parler. Le jeu est particulièrement démonstratif sur ce point précis et n’est donc pas à mettre entre toutes les mains. Nous proposant même de participer activement à quelques ébats, le jeu ne se cache derrière aucun artifice et propose même des séquences sexuelles non consenties envers votre personne, si cela peut vous rassurer un peu.
Alors oui, le PEGI 18 est amplement justifié et on ne peut que vous prévenir, Lust From Beyond peut choquer de par son imagerie, ses thèmes et son côté décomplexé et sans tabou. Ainsi, la nudité est légion, les appareils de plaisir nombreux, les allusions sexuelles dominantes et les scènes de sexe multiples, même si finalement pas autant qu’on le pensait et c’est tant mieux, car de ce point de vue, le titre est bien équilibré.
Une aventure qui manque de folie
Après tant d’éloges de notre part, vous vous attendez peut-être à ce que l’on continue sur notre lancée, mais il n’en sera rien. Car pour le coup, s’il y a bien un point qui, sans nous avoir déçus, ne nous a pas transportés comme le reste, c’est le gameplay. On est face à un Amnesia-like dirigiste et très linéaire qui abat quasiment les mêmes cartes que son modèle. Santé mentale, progression par de la recherche d’objets et l’exploration, casse-têtes à résoudre et courses-poursuites assez molles rythment notre dangereuse expédition.
On n’y a pas trouvé notre compte et on aurait aussi aimé un jeu moins linéaire, nous laissant profiter un peu plus des environnements que l’on traverse, notamment de Lusst-ghaa qui est enthousiasmante visuellement, mais n’offre pas de séquences de jeu trépidantes, ou en tout cas qu’à de rares moments. On a bien la possibilité d’user de pouvoirs essentiellement pour se créer quelques chemins, mais rien de bien marquant en somme.
L’infiltration et les quelques moments d’action ne sont pas meilleurs, l’IA n’étant pas forcément au top. Il manque un peu de fraîcheur au jeu qui propose certes quelques choix influant sur les événements, ou encore des éléments cachés à découvrir, mais ne va en rien révolutionner le genre. Ce n’est pas désagréable à jouer, ni même ennuyeux, juste déjà vu et revu malheureusement.
S’il fallait en finir par les doléances, on pourrait aussi parler de quelques errances techniques notamment au niveau des modèles des personnages un peu vieillots, surtout en ce qui concerne les faciès, ou encore un moteur Unity qui a une fâcheuse tendance à scintiller, surtout à Lusst-ghaa, et que dire de l’aliasing omniprésent. Aussi, si les doublages et donc le jeu d’acteur sont très corrects, la bande sonore est, elle, assez anecdotique, et on parle là des thèmes musicaux qui manquent de grandiose pour appuyer celui de la direction artistique.
Mais son plus grand défaut est sans aucun doute le fait qu’il ne fasse aucunement peur. Les différentes ambiances qu’il pose sont certes réussies, qu’elles soient inquiétantes ou érotiques, voire les deux, mais dans les faits, le titre ne parvient jamais véritablement à distiller un sentiment de peur. Peut-être justement parce qu’il est trop explicite et en montre donc trop, ne laissant jamais de place à la suggestion et à la montée en pression graduelle.
Lust From Beyond ne nous a pas déçus, nous a même très vite rassurés, pour finir par nous passionner. C’est une œuvre érotique et horrifique qui s’assume et interpelle de par son propos, la qualité de son écriture et ses véhémences artistiques. Il n’est pas non plus dénué de défauts et se perd parfois sur certains points, dont son gameplay qui manque d’ambition.
Mais il est très certainement le premier vrai représentant d’un sous-genre qui peine à exister dans le paysage actuel, car trop subversif et souvent totalement racoleur et à côté de la plaque, ce qui n’est pas le cas du jeu que l’on critique ici. Juste et intéressant, il est d’une richesse thématique insoupçonnée au départ et même s’il a parfois du mal à s’exprimer, le récit se veut bien rythmé et raconté.
Alors, c’est un grand oui pour Lust From beyond qui divisera sûrement, mais qui rencontrera aussi son public. Que les passionnés de Lovecraft se rassurent, cet hommage est réussi et ne trahit en rien les lectures que nous a offertes le maître, même s’il est ici question surtout d’en reprendre certains schémas et de les réinterpréter. On trouve cependant dommage que si elle dérange, l’œuvre ne fait jamais peur, mais on tient là probablement la première référence du genre et c’est déjà ça.