Avec Lost Records: Bloom & Rage, Don’t Nod Montréal renoue avec ses racines narratives les plus intimes et les plus humaines. Après une Tape 1 qui posait les bases d’une amitié fusionnelle entre quatre adolescentes dans les années 90, la Tape 2 vient casser la baraque.
Si le ton doux-amer et la nostalgie dominaient jusque-là, la suite révèle une trame bien plus sombre, portée par des drames enfouis, des souvenirs fragmentés, et cette fameuse rage évoquée dès le titre. Il est donc temps de savoir si la relève de Life Is Strange est bien assurée, et si le studio confirme sa position de maître de la narration.
(Test de Lost Records: Bloom & Rage (Tape 2) sur PC réalisé via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Sous la carapace, la sincérité
Maintenant que le décor est posé, il est temps de gratter un peu le vernis « bisounours » du premier volet. Oui, les filles s’entendaient bien, mais la fin du premier volet nous laissait sur une révélation de taille. Une vérité qui allait forcément expliquer bien des énigmes et impacter leurs retrouvailles 27 ans plus tard.
Dans cette seconde partie, Lost Records nous permet de passer beaucoup plus de temps en tête à tête avec chaque personnage, d’explorer leurs nuances, leurs contradictions, et de découvrir ce qu’ils sont devenus.
Si les profils de notre quatuor pouvaient sembler un brin stéréotypés au départ, cette suite les complexifie avec brio. Swann se révèle plus téméraire qu’on ne le pensait, Nora nous touche en plein cœur par sa sensibilité, tandis qu’Autumn nous déstabilise par sa complexité.
Les échanges sont d’une rare intensité, et certaines scènes, profondément authentiques, nous laissent déjà avec les larmes aux yeux.
I’ll be there for you
Et vous, comment réagiriez-vous face à un drame ? Seriez-vous là pour vos proches ? Auriez-vous besoin de vous isoler ? Impossible de le savoir, et le jeu le confirme bien. Il ne propose pas de réponse arrêtée, mais explore avec une grande justesse les réactions humaines face à l’inattendu.
Sur les deux temporalités, Don’t Nod souligne l’imprévisibilité de la vie : les gens partent, changent, pleurent dans nos bras ou nous échappent. Même nos meilleures amies de l’été 95 pourraient ne pas rester jusqu’au bout, qui sait.
Au fond du rêve violet
Dès le trailer d’annonce, ce fameux « Abysse » apparu mystérieusement dans la forêt a été fortement mise en avant. C’était le twist de ce nouveau jeu, ce petit plus aux couleurs violine qui démarque cette nouvelle licence. Cette touche de merveilleux, ce soupçon de magie qui rend l’atmosphère si particulière et sublime le produit fini, semble surtout justifier l’injustifiable.
Le peu de zones floues du scénario sont allègrement expliquées par la présence ce lieu, une facilité scénaristique qui déçoit, au delà du fait qu’elle n’était pas franchement nécessaire.
Car l’histoire de Swann, Autumn, Nora et Kat, c’est avant tout celle du passage à l’âge adulte. C’est la chronique de l’évolution des liens, des blessures d’enfance, des regards qu’on porte sur notre passé et sur notre ville natale. Des questionnements universels, traités avec finesse. Que du vrai donc, du palpable, qui ne nécessite aucune fioriture.
Voir ces adolescentes devenues femmes, avec leurs failles et leur résilience, c’est aussi réconfortant. Changer n’est pas grave. Douter, flancher, demander pardon non plus, c’est tout simplement ce qui fait de nous des êtres humains.
La folle journée de Swann et ses copines
On attendait un tournant plus sombre en passant de Bloom à Rage, et il est là, magistral. La douce nostalgie de la Tape 1 laisse place à une ambiance lourde, électrique, où les secrets remontent à la surface et où les blessures se rouvrent. La direction artistique suit cette transformation : photographie plus sombre, bande-son énigmatique… On sent que la rage monte, brute et sincère. L’injustice criante qui en émerge nous prend aux tripes.
Le gameplay lui n’évolue pas d’une Tape à l’autre, vous interagissez toujours avec les éléments du décor et votre camescope la plupart du temps. Des mécaniques amplement suffisantes, qui offrent une interlude entre deux scènes mais laissent suffisamment de place au scénario.
Y a que la vérité qui compte
Dans cette seconde partie, l’enquête progresse. Si l’on se retrouve à nouveau « autour de cette table », c’est bien pour faire éclater la vérité, pour ouvrir ce fameux colis reçu par Autumn. À travers de nouveaux souvenirs, les pièces du puzzle s’assemblent, les langues se délient et les images nous reviennent. C’est l’heure de la grande révélation, qu’on vous laissera le soin de découvrir par vous-même.
Et puis vient l’une des fins. L’envie de recommencer est immédiate : pas seulement pour « voir ce qui change », mais parce qu’on les aime, ces filles. Parce qu’on veut les protéger, comprendre d’autres facettes, explorer d’autres possibles. Les choix sont nombreux, et mènent à de véritables variations de scénario. Des intrigues amoureuses, des amitiés à renforcer ou à laisser s’éroder… Chaque partie est une nouvelle lecture de l’histoire.
Alors que la licence Life is Strange est désormais entre les mains de Deck Nine depuis un moment, et que les retombées de Double Exposure ont été plutôt tièdes, Don’t Nod montre qu’il n’a pas besoin d’une licence pour briller. Ce n’est pas une question de marque, mais de talent. Celui de raconter des histoires humaines, puissantes, et profondément touchantes.
Lost Records: Bloom & Rage est une réussite narrative et émotionnelle. Et si le jeu recrée une adolescence fantasmée dans une époque qui nous paraît déjà bien loin, nous restons persuadés que les grandes amitiés des 16 ans, elles, sont toujours aussi pures.
Entre mystères paranormaux et drames humains, le jeu nous emporte dans une aventure viscérale. On en sort ému, un peu sonné, avec l’impression de quitter des amies très chères. Mais peut-être qu’on relancera une partie, juste pour rester un peu plus longtemps avec elles.