On avait remarqué Simogo, le studio suédois qui signe Lorelei and the Laser Eyes, avec son excellente production : Sayonara Wild Heart, un bonbon pop qui ne révolutionnait pas le jeu vidéo, mais qui arrivait avec une proposition étonnante « d’album à jouer » (au sens musical du terme). Alors quand on a appris que le studio était derrière ce titre aux visuels intriguants, on a vite voulu savoir ce qui se cachait derrière… Et le moins qu’on puisse dire, c’est que nous n’avons pas été déçus : c’est simplement LA grosse surprise 2024.
(Test de Lorelei and the Laser Eyes sur PC réalisé via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Lorelei et l’étrange village hôtel
Les premières images étaient intrigantes. Ce noir et blanc souligné de rouge, l’inquiétante créature à tête de labyrinthe, et puis ce titre, Laser Eyes, qui rappelle furieusement la fin des 80’s et le début des 90’s, quand le terme « laser » était synonyme de technologie de pointe, du LaserDisc (ces CD de la taille d’un 33 tour sur lesquels on gravait des films) au show laser qui précédait le film dans la grande salle des multiplexes (qui s’en souvient ?).
Alors qu’est-ce que Lorelei and the Laser Eyes ? Il s’agit en fait d’un puzzle game dans lequel, un peu comme dans un jeu Professeur Layton, on va accumuler les énigmes et devoir les résoudre pour avancer. Un Professeur Layton, mais un épisode pour grandes personnes ! Sans être « 18+ » ou particulièrement effrayant, le jeu dégage une drôle d’ambiance, pesante, voire malaisante à certains moments, qui ne conviendrait pas aux moins de 13 ans. Et les énigmes sont aussi loin des allumettes à déplacer du Professeur Layton.
Certaines sont des devinettes mathématiques classiques (finalement proches de ce que peuvent proposer les jeux Level-5), d’autres sont des énigmes environnementales ou d’observation, d’autres encore nécessitent de suivre l’histoire du jeu, ou de fouiller, façon enquête, dans la documentation que l’on trouve tout au long de l’aventure. C’est souvent original, rarement insurmontable (sans être trop évident non plus), et surtout diablement addictif.
Il n’est pas nécessaire de résoudre une énigme au moment où elle nous est présentée. On peut donc la laisser de côté et continuer d’explorer, en la gardant dans un coin de sa tête (un journal nous aide à garder le fil). Chaque progrès, chaque énigme résolue, nous permet d’obtenir de nouveaux éléments, permettant eux-mêmes de résoudre un autre puzzle laissé en attente, qui ouvrira lui aussi des possibilités de résolution pour un autre problème encore, qui, à son tour, nous donnera accès à d’autres pièces de l’hôtel où se trouvent plus d’énigmes encore, etc… On sera rapidement touché par le syndrome du « encore un dernier », qui n’est jamais le dernier !
Où est le je(u) ?
Mais le jeu n’est pas qu’un catalogue de puzzles. Les énigmes sont reliées entre elles par un mystère plus grand. Dès le tout premier tableau, on trouve parmi d’autres documents le mode d’emploi d’un jeu titré Lorelei and the Laser Eyes, annonçant la mise en abyme qui sera l’un des motifs principaux de l’aventure. Un peu comme dans le génial Tunic, le personnage que l’on incarne est donc un personnage de jeu vidéo y compris dans le lore du jeu.
Un autre personnage, le Magicien, tient un rôle important. Rien d’étonnant pour un jeu à triple fond, voire même d’avantage ! Non content de cette première mise en abyme évoquée ci-dessus, le personnage principal interviendra également dans des jeux in-game rendant hommage à l’ère PS1 et aux premiers grands jeux d’horreur en 3D (Resident Evil, Silent Hill…). On trouvera aussi rapidement une console rappelant le Game Boy et sur laquelle il sera possible de jouer à un autre Lorelei and the Laser Eyes, parmi d’autres jeux faussement rétro.
Et outre cette mise en abyme à de multiples niveaux, différents grands mythes littéraires sont convoqués : le miroir, dont on passera « de l’autre côté », pour citer une œuvre culte, mais aussi le faux-semblant, la frontière entre réalité et fiction étant systématiquement brouillée. D’ailleurs, le prénom du titre, Lorelei, ne se prononce-t-il pas « Lore, a lie », soit « la connaissance, un mensonge » en français ?
L’histoire tourne autour d’un fantasque réalisateur de films surréalistes (dont les affiches et résumés sont des œuvres géniales au sein d’une œuvre géniale !) qui souhaitait dynamiter le septième art, et d’une artiste férue d’ordinateurs à l’aube de la révolution vidéoludique. Il est intéressant de voir comme le jeu met ces différentes disciplines, ainsi que les arts plastiques, les installations vidéo… au même niveau. Sans que ce soit la thèse principale du titre, Lorelei and the Laser Eyes glisse ainsi habilement le message que le jeu vidéo et un art comme les autres, aussi puissant que les autres.
Dernière énigme : trouver les défauts cachés
L’ambiance bizarre du titre, dans lequel on ne sait jamais vraiment où l’on est, les références et clins d’œil, nous faisant nous sentir un peu chez nous, même si on est aussi complètement perdu, mais aussi la mécanique nous faisant passer d’un puzzle à l’autre, rendent le jeu absolument passionnant. Une fois qu’on s’y est plongé, on a beaucoup de difficulté à en sortir.
Sans être du tout un open-world, le titre offre une certaine liberté de mouvement, permettant de laisser de côté les énigmes sur lesquelles on sèche pour aller s’essayer à d’autres défis, limitant ainsi les phases de blocage complet. Puzzles dont la géniale conception les fait s’intriquer les uns aux autres, sans pour autant en simplifier les solutions. Tout est cohérent, et on s’en veut parfois de ne pas avoir saisi plus rapidement ce qui nous était demandé, tant, après coup, la solution parait évidente.
Souvent, la découverte de la clé de l’énigme est source d’une très grande satisfaction, et le jeu réussit à nous convaincre nous-même que nous sommes aussi intelligent que lui (alors qu’on est juste très bien guidé par la main invisible du level design).
Avec une certaine maestria, le jeu intègre les puzzles au scénario. Un peu artificiellement, certes, mais évitant ainsi le catalogue de mini-jeux un peu détachés que l’on peut rencontrer dans un titre comme Islands of Insight. Il faut ajouter aussi que bien qu’étant clairement un jeu indé, jouant avec une certaine économie de moyen, Lorelei and the Laser Eyes donne le change avec une D.A. très réussie et une véritable élégance, avec quelques envolées marquantes de sa B.O. (l’équipe de Sayonara Wild Hearts reste à la manoeuvre), et une durée de jeu qui n’a rien à envier à des titres vendus bien plus chers.
Même si l’on était curieux de Lorelei and the Laser Eyes, et même si l’on avait toute confiance en Simogo après l’excellent Sayonara Wild Heart, on n’attendait pas le jeu à un tel niveau, et on n’attendait pas qu’il sache nous passionner à ce point. Les puzzles proposent une difficulté mettant les cerveaux à l’épreuve sans jamais vraiment bloquer le joueur. Et quand bien même deux ou trois énigmes se montreraient plus résistantes, il y en aura un tas d’autres sur lesquelles se pencher le temps que le déclic se fasse (et il se fera).
Il faut bien entendu une petite appétences pour les jeux du genres, mais pour qui avait apprécié Baba Is You ou The Talos Principle, Lorelei and the Laser Eyes a tout du potentiel GOTY !