Pour ce troisième épisode de la licence Little Nightmares, Tarsier Studio, son créateur et développeur des deux premiers jeux, cède la place à Supermassive Games pour aller, lui, se consacrer à une nouvelle I.P., Reanimal. Une bonne idée dans le principe, qui devrait permettre à Little Nightmares III de trouver un peu de sang neuf, la série ayant montré qu’elle commençait à se répéter dès le second épisode.
Cela dit, Supermassive Games, qui avait déjà pris le relais de Tarsier pour porter le deuxième épisode sur consoles de dernière génération, était-il le meilleur choix possible ? Le studio est avant tout connu pour ses « films interactifs », tels qu’Until Dawn ou Man of Medan. Et s’il s’est montré plus que compétent en la matière, ce savoir-faire n’était peut-être pas celui qu’il fallait insuffler en priorité dans la série des Little Nightmares, au risque que dans l’appellation du genre « cinematic platformer », le cinematic viennent prendre toute la place et fasse disparaître le platformer. Et c’est hélas un peu ce qu’il se passe…
(Test de Little Nightmares III réalisé sur PC via une copie commerciale du jeu)
Dragon’s Lair 2025
On l’a dit, Supermassive Games a montré plus qu’à son tour de quoi il était capable ; bien entendu avec The Dark Pictures, série inégale, mais pas dénuée d’intérêt, mais aussi et surtout dès 2015 avec Until Dawn, qui était venu poser un nouveau jalon quant au genre cinéma interactif.
La compétence se retrouve dans Little Nightmares III, et transparait dans la direction artistique. Si l’on peut regretter un jeu de temps à autres trop sombre, la mise en scène, les éclairages, le choix des tons, l’utilisation de techniques telles que le bokeh, etc, donnent au jeu une véritable dimension cinématographique. Et ce bien que le jeu soit encore « cross gen ».
Malheureusement, et ainsi qu’on le craignait, le vocable « cinématographique » se confond un peu avec celui, très proche, de « cinématique », au sens des scènes cinématiques d’un jeu vidéo ; celles, souvent jolies, mais pendant lesquelles on ne joue pas. Car on ne joue pas beaucoup dans Little Nightmares III. (Trop) fidèle aux standards mis en place avec le premier épisode, on progresse, à de rares exceptions près, de la gauche vers la droite, régulièrement freinés dans notre parcours par des énigmes ou des ennemis.
Régulièrement, mais pas systématiquement. Au contraire, même. On traverse ainsi un nombre incalculable de pièces où il n’y a absolument rien à faire si ce n’est ouvrir une trappe ou se baisser pour passer dans un couloir, qu’on traversera à nouveau sans avoir rien d’autre à y faire que d’orienter le stick gauche vers la droite. Certains tableaux un peu plus riches en interactions présentent ce qui tient lieu, au niveau du jeu, de combats de boss.
Dans ces séquences, il s’agira d’effectuer les bonnes actions dans le bon ordre et dans le bon timing. Autant de séquences qui feront finalement penser à Dragon’s Lair, passé à la postérité autant pour sa magnifique D.A. que, justement, pour sa jouabilité plus que questionnable. Une autre manière de décrire, finalement, Little Nightmares III.
1 + 1 = 1
La grosse nouveauté de cet opus devait venir de la possibilité de jouer à deux. Les succès critique et public des jeux de Josef Fares ont dû donner des envies à Bandai Namco, qui édite le jeu… Hélas, la comparaison s’arrêtera bien vite. Les énigmes sont bien trop basiques pour provoquer des interactions « fun » entre les joueurs, et les outils de chaque personnage (un arc pour l’un, une grosse clé qui sert de masse pour l’autre) ne sont mis à contribution de façon coordonnée qu’à de trop rares occasions.
On peut aussi jouer en solo, et ne contrôler qu’un personnage sur deux, le second étant contrôlé par une intelligence artificielle. Mais là encore, la présence du second personnage, plutôt que de renouveler l’expérience, vient quelque peu la ternir. C’est de cette façon que nous avons parcouru le jeu, et il nous est arrivé de voir le bot aller se positionner pour nous faire la courte échelle avant même qu’on ait pu observer le niveau, ne nous laissant absolument pas le temps de réfléchir à l’énigme (certes, pas bien complexe…) proposée. À d’autres moments (au pluriel, hélas !), nous nous sommes retrouvés coincés quelques minutes à tourner en rond dans un niveau simplement parce que notre acolyte n’avait pas su se positionner au bon endroit (là encore, pour une histoire de courte échelle).
On ne joue donc pas beaucoup dans Little Nightmares III. Mais après tout est-ce grave ? D’autant que le jeu est beau, la mise en scène soignée… Dans les visual novels, ou les jeux Quantic Dream, on ne joue pas tellement non plus, et il n’empêche qu’on trouve d’excellents titres, aussi bien chez Quantic que parmi les VN.
Phare away
Le problème, ici, c’est qu’on ne découvre rien, qu’on n’est jamais surpris. Le titre s’applique tant à rester fidèle au travail de Tarsier, à respecter les fondations de la licence, qu’il finit par tourner en rond, à s’enfermer dans la redite. On est comme face à une jolie photo d’une vue sur la mer : c’est probablement très beau, mais tellement déjà vu qu’on ne s’y attarde pas.
Cette enfilade de pièces et de couloirs s’emploie à être malsaine (ici un corps obèse dans lequel un boucher découpe des morceaux de viande, là un rat pris de tressautements en agonisant dans un piège…), mais ne nous raconte rien. Certaines séquences vaguement narratives nous donnent des éléments de lecture pour essayer de donner un peu de cohérence aux différentes séquences que l’on traverse… sans grand succès.
La cohérence, justement, est elle aussi questionnable : pourquoi, sur un même tableau, on peu grimper le long d’une chaîne, mais pas sur la corde à nœuds juste à côté ? Pourquoi après avoir franchi un précipice sur une fine planche instable ne peut-on pas franchir le suivant sur le rail qui le traverse, nous obligeant à appeler une plateforme mouvante ?
Et pourquoi le parapluie qui peut servir de parachute et qu’on trouve à la moitié du jeu s’ouvre avec R3 dans certains tableaux, mais semble avoir disparu dans d’autres, rendant alors les chutes opportunément mortelles ? La raison est évidemment à aller cherche du côté du gameplay et du level design, et montre bien que ces deux derniers n’ont pas été la priorité des développeurs.
Ces défauts que l’on reproche au jeu sont d’autant plus flagrants qu’il sort en même temps que l’excellent (et clivant !) Keeper, ce jeu exclusif à Xbox (ça existe encore !) dans lequel on contrôle un phare sur pattes. Dans Keeper non plus on ne joue pas tellement (quoi que… Mais chut ! Ne divulgâchons rien !), et l’intérêt d’une majeure partie du jeu sera de partir à la découverte de ses environnements, des tableaux là aussi superbes.
Mais Keeper saura se renouveler (il ira même très loin en la matière), se remettre en question, et nous surprendre. Tout le contraire de Little Nightmares III. Le jeu de Double Fine peut aussi offrir différents niveaux de lecture (sur l’écologie, sur le jeu vidéo lui-même…), il saurait alimenter de chaleureuses conversations là où Little Nightmares III reste tristement premier degré.
Pas dénué de qualités, Little Nightmares III est effroyablement beau. Certes, une beauté particulière, celle d’un petit théâtre des horreurs fait de créatures cauchemardesques et de scènes allant du simple malaise au pur gore. Sa mise en scène, sa photographie, l’animation… Tout est de grande qualité. Il échoue cependant très vite à conserver l’intérêt du joueur, la faute à l’absence à la fois de défi et d’enjeu. Le titre n’a pas grand-chose à nous raconter, et se contente de répondre au cahier des charges mis en place par la licence.
On le conseillerait peut-être néanmoins à un joueur grand débutant (mais qui sera déjà au moins ado) ou très peu habitué au média, qui trouvera ici une aventure dans laquelle les contrôles et la compréhension de ce qu’on attend de lui ne seront absolument pas un problème.