Legend of Mana est tout bêtement l’une des légendes du J-RPG, et plus particulièrement du A-RPG japonais, qui n’a jamais connu une sortie française et européenne. Il est issu d’une époque durant laquelle les studios et éditeurs nippons faisaient encore parfois l’impasse sur notre belle région occidentale. Ce qui nous a laissé sur le bas côté de la route de pépites telles que Chrono Cross, Chrono Trigger et de ce Legend of Mana.
À sa sortie, il fut à bien des égards considéré à l’époque comme une sorte d’ovni dans l’écosystème du RPG, puisqu’il proposait des mécaniques de jeu et de progression assez atypiques pour l’époque. De plus, il était à contre-courant de ce que l’on avait l’habitude de voir et de jouer. Depuis, son aura n’a cessé de grandir, notamment en Europe, car il faisait partie des pépites sacrifiées sur l’autel de la frilosité de l’ère 32 bits et auxquelles, comme Xenogears, nous n’avons pu goûter en version PAL.
Mais comme il ne faut jamais dire jamais, voilà que Legend of Mana sort sur nos chères consoles actuelles dans une version remasterisée avec en plus une belle traduction française officielle (enfin !). L’occasion de replonger dans ce titre onirique, unique et terriblement novateur même encore aujourd’hui, alors qu’il fête cette année ses 22 ans et qu’il accuse le poids de son âge (et l’accusait déjà avant sur certains points).
(Test de Legend of Mana sur PC réalisée à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Parler de Legend of Mana est un exercice assez difficile, il faut bien l’avouer. Cet A-RPG, développé à l’époque par SquareSoft (eh oui, Square Enix n’était pas encore), prenait grandement ses distances avec ses pairs et le genre du J-RPG en général. Le titre ne proposait pas de vivre une grande aventure épique et linéaire, mais plutôt plusieurs petites histoires qui nous permettaient alors d’arriver à nos fins : reconstruire littéralement le monde de Fa’Diel et ressusciter l’Arbre Mana, symbole de puissance, de désir, d’amour et de vie.
L’Arbre Mana reste toujours au cœur de l’intrigue, bien que beaucoup moins que dans un épisode classique, et s’il ne faut pas ici le protéger contre un vil démon désireux de contrôler le monde, il faut par contre le ressusciter. Après avoir brûlé dans un incroyable incendie des siècles avant notre histoire, il est devenu un mythe et beaucoup ne croient plus en son existence. Notre rôle sera alors d’aider la population du monde de Fa’Diel en accomplissant diverses quêtes pour le ramener à la vie.
Ainsi, la narration se veut non linéaire et si certaines quêtes sont plus importantes que d’autres, il est tout à fait possible de passer à côté sans que cela n’ait un réel impact sur notre but final. Il n’y a théoriquement que deux derniers segments qui sont obligatoires à la complétion du jeu et cela nous offre alors une progression très particulière, assez libre, qui colle parfaitement au postulat du héros devant écrire sa propre histoire et forger sa légende.
Un univers riche et généreux
Mais ne vous y trompez pas, on reste dans un épisode de la saga Mana. Ainsi, on y retrouve tout ce que l’on connaît de cette dernière. Des créatures comme l’iconique Liévro en passant les esprits Mana tels Ondine ou Athanor, jusqu’à la direction artistique chatoyante et quelques personnages récurrents comme les vendeurs ou Niccolo. Tout nous renvoie alors à la licence Mana. Voilà qui ne perdra pas les aficionados qui pourront retrouver un univers qu’ils chérissent, alors que les néophytes y entreront par la grande porte.
Car comme on l’a fait remarquer, ici, le monde ne s’offre pas à nous au travers d’une world map. C’est à nous qu’il revient de le reconstruire. Pour ce faire, il nous faut placer sur une carte les différents lieux dans lesquels nous serons amenés à vivre notre aventure. Cela commence par décider de notre région de départ, pour ensuite construire notre maison et par la suite la ville de Romina. Dans les faits, la carte proposée est divisée en plusieurs cases sur lesquelles on place au fur et à mesure des reliques, que l’on glane de différentes façons, et qui se transformeront alors en un nouvel endroit à explorer.
Villes, montagnes, plages, déserts et autres jungles et forêts seront alors au rendez-vous, tout comme l’Enfer et un charmant bateau pirate. Ce n’est pas inédit dans la saga et ça ne bouleverse en rien le genre, mais ne pas savoir quel lieu se cache derrière une relique, ne pas les débloquer de manière linéaire et pouvoir les placer à notre bon vouloir, apportent un plus indéniable à la découverte. Ce qui procure par la même occasion un réel sentiment d’excitation. On se sent aussi bien plus impliqué dans l’univers, car il nous revient de le matérialiser et d’y aider les différents personnages que l’on croise.
Le jeu est d’une générosité folle d’un point de vue narratif, puisqu’il fait de la moindre petite histoire une quête pouvant devenir épique et singulière. La galerie de personnages est variée et aucun d’eux ne jure avec l’univers ni ne nous sort du jeu. Certains sont drôles, d’autres solitaires au cœur courageux, tandis que quelques-uns sont attachants de par leur histoire, alors que pour d’autres, des gifles se perdent parfois. L’écriture est clairement l’une des forces de Legend of Mana et si la narration est éparse, ne dépendant que de notre bon vouloir finalement, on a pris un plaisir immense à découvrir chaque intrigue et chaque personnage.
Si bien que la narration « à l’ancienne » ne nous a aucunement dérangés et contrairement à bon nombre de J-RPG de cet époque, le jeu n’est jamais trop bavard. Il prend le temps de raconter ses histoires, certaines étant plus épiques que d’autres, mais on y a trouvé un bel équilibre entre les quêtes importantes et celles plus légères qui permettent de découvrir les à-côtés de l’univers Mana. Nous avons trouvé cela passionnant et très franchement, cela n’a pas pris une ride, même si aimer le genre est un impératif.
Un gameplay riche et redondant
Une conclusion que l’on aurait aimé tirer pour le gameplay aussi. Dans nos souvenirs, Legend of Mana ne brillait pas sur ce point précis et on peut le dire aujourd’hui, on ne s’était pas trompé. Alors, on ne parle pas là de la richesse de la proposition qui est très franchement hallucinante pour l’époque. On peut au hasard forger ses armes et armures, fabriquer des instruments de musique pour utiliser des sorts magiques, s’occuper des familiers qui nous accompagnent durant nos aventures, ou bien même utiliser tous les types d’armes du jeu et en développer au maximum les compétences.
Le souci ici est que nous avons trouvé cela toujours aussi brouillon qu’à l’époque, car en voulant en faire trop, Legend of Mana perd totalement le joueur, d’autant plus que la plupart des options proposées ne sont pas obligatoires. En effet, la forge ou encore l’atelier pour fabriquer les instruments de musique (on peut même créer des Golems) se débloquent une fois certaines quêtes effectuées, quêtes loin d’être obligatoires et cela rend donc la plupart du contenu du jeu dispensable.
Si on peut penser la chose comme pas très grave de prime abord, il faut bien comprendre que l’influence de ce côté dispensable s’étend jusque dans le système de combat même, et la difficulté globale du jeu. Comprenez que comme la forge, l’atelier ou encore les familiers ne sont pas des prérequis à notre avancée dans l’histoire, on peut tout à fait voir le bout de l’aventure tranquillement sans en passer par là. Cela facilite simplement notre évolution, déjà trop aisée de base.
En effet, les combats, même contre les boss, pourtant impressionnants, sont trop faciles. Déjà que le système en lui-même est sommaire, on tape et on tape en utilisant lorsque cela est possible une magie ou un coup spécial, alors si on ajoute à cela des ennemis souvent bien en dessous de notre niveau, on obtient un titre sur lequel on roule littéralement. Et c’est sans prendre en compte les affinités élémentaires du moment…
Finir le jeu une première fois nous permet de débloquer des niveaux de difficultés supplémentaires, nous demandant là par contre d’utiliser tous les moyens en notre possession pour rendre notre personnage plus fort, mais cela arrive tardivement… alors que l’on vient d’y passer déjà plus de trente heures. Et si rejouer certains scénarios a un réel intérêt, le système de combat est encore une fois trop basique pour que l’on ait envie de forcément revivre d’innombrables batailles que l’on ne peut plus éviter, malgré des ennemis visibles.
On est donc face à un paradoxe assez perturbant, car d’un côté, on reconnaît et on loue d’ailleurs la générosité d’un jeu unique en son genre ou pour le genre, et de l’autre, on l’a trouvé un brin bordélique (on n’a fait qu’effleurer ici son contenu) et incroyablement sommaire et bourrin au niveau de son système de combat. Il aurait été judicieux de le retoucher un peu et de le rendre plus dynamique, moins rentre dedans et donc un peu plus ludique.
Pourtant, les idées pullulent, comme par exemple le fait de pouvoir jouer à deux joueurs en local, ce qui permet un peu d’égayer des affrontements qui manquent de punch et de précision. C’étaient là les principaux reproches que l’on faisait à The Legend of Mana à l’époque et ce sont les mêmes que l’on fait ici, car sur le fond, le jeu est inchangé.
Autre exemple, on s’est plusieurs fois demandé ce que l’on devait faire et où aller, notre journal de quêtes étant d’une utilité quasiment nulle, et on s’est de nombreuses fois agacé à tourner en rond pendant de longues minutes. Alors, les défauts cités sont loin d’être rédhibitoires, mais ont forcément un impact sur l’expérience de jeu et autant dire qu’il faut parfois une bonne dose de volonté et de patience pour continuer le périple.
Un remaster à la hauteur ?
Pour finir, il nous faut parler de la qualité du remaster en lui-même, car ne vous y trompez pas, on n’est pas là en présence d’un remake. Graphiquement, Legend of Mana était clairement à l’époque l’un des pontes des J-RPG 2D, probablement l’un, si ce n’est le plus abouti alors. Et vous serez heureux d’apprendre que le jeu n’a pas pris une ride, d’autant plus que Square Enix a retravaillé les arrières-plans, maintenant affichés en haute résolution, et ils sont absolument sublimes.
Il faut dire que l’on est devant une perle artistique qui sait varier les plaisirs et qui en impose de par sa recherche visuelle, notamment lors des cut-scènes, des apparitions de boss, du character design en général, et des effets spéciaux en combat. Et il en va de même pour l’ambiance sonore.
La bande originale, composée par le génial compositeur historique de la franchise Hiroki Kikuta, est une pépite, une coulée de miel auditive qui nous plonge totalement dans l’univers onirique du jeu. Cerise sur le gâteau, le choix nous est laissé de profiter pleinement des musiques dans leurs versions originales ou réarrangées et là, c’est une explosion de beauté qui retentit à nos oreilles. Du grand art !
Dernier petit apport de cette ressortie, la possibilité d’utiliser une sorte d’application interne au jeu appelée Ring Ring Land et qui est une sorte de Tamagotchi-like vous permettant d’entraîner vos familiers au travers de mini-jeux. Puisqu’on vous disait que ce Legend of Mana est blindé de contenu !
Riche, ambitieux, incroyable, féérique, les mots nous manquent pour qualifier Legend of Mana tant il est force de propositions et d’une générosité incroyable. Il est pour nous l’un des grands monuments du J-RPG sur lequel il faut absolument se jeter si on aime le genre.
Ses quelques défauts sont certes gênants et il est très curieux que Square Enix n’ait pas tenté d’en corriger certains, mais la qualité du remaster est à noter et permet en plus de profiter pour la première du jeu dans une traduction officielle française. Quel plaisir de retourner en Fa’Diel ! C’est à se demander pourquoi Square Enix est si frileux à l’idée de nous offrir un nouvel épisode inédit.