« En faire une montagne », « la montagne a accouché d’une souris », « déplacer des montagnes » … Dans la langue courante, la montagne sert souvent de métaphore (non, « La montagne, ça vous gagne » ne compte pas). En jeu vidéo aussi, escalader une montagne peut revêtir le sens de surmonter ses difficultés. C’est le cas (de façon peut-être un peu insistante) dans Celeste, avec un unique personnage et des décors quasiment vides, et reposant presque sur un unique gimmick de gameplay,
Jusant n’est pas le jeu Don’t Nod (Life is Strange, Vampyr, Gerda…) classique. Peut-être s’échapper du genre narratif qu’il décline depuis le premier Life is Strange était pour le studio français sa montagne à gravir ? Alors, a-t-il atteint le sommet ?
(Test de Jusant sur PC réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Passe Montagne
On démarre seul, après avoir traversé ce qui ressemble à un désert, au pied d’une montagne. Et comme le chantait Yazz en 1988, « the only way is up » ! Il va falloir grimper. Équipé d’une corde qui servira à nous assurer et à nous déplacer en rappel, et de quelques pitons, on cherche donc les prises qui permettent l’ascension.
Avec la main gauche contrôlée par la gâchette gauche, et la main droite par l’autre gâchette, on retrouve des contrôles très préhensiles, qui induisent une certaine immersion. D’ailleurs, on s’est surpris à se balancer d’avant en arrière sur notre fauteuil pour accompagner le mouvement du personnage suspendu à sa corde entre deux cols…!
Ainsi, on s’accroche aux prises accessibles comme on tenait la main de la petite Yorda dans Ico, avec une véritable sensation physique. On vise les prises dans la paroi que l’on souhaite atteindre avec le stick gauche, et avec le temps, on prend le rythme, et la grimpe accélère alors que le rythme entre les deux gâchettes s’intensifie, au fur et à mesure que notre maîtrise des contrôles progresse. Il y a des passages assez grisants où l’on peut prendre pas mal de hauteur en quelques secondes seulement… !
Ain’t no mountain high enough
Le gameplay, assez basique bien qu’efficace, s’enrichira tout au long de l’aventure, ajoutant des créatures en mouvement auxquelles s’agripper, ou un vent déchaîné qui changera notre façon d’escalader. Un petit compagnon fera son apparition, nous offrant de nouvelles compétences. Les routes se complexifieront aussi, certains passages relevant presque du puzzle game, nous laissant réfléchir à la route à prendre ou aux prises à saisir pour atteindre notre objectif.
Un élément qui rappelle probablement (nous ne sommes pas familiers du sport d’escalade !) les problèmes que peut rencontrer un véritable grimpeur : anticiper ses prises, et choisir à la fois les passages le plus accessibles et ceux qui lui permettront d’atteindre son but.
Néanmoins, le jeu n’a rien d’un jeu de simulation. Ce serait le pendant arcade du jeu d’escalade, le Forza Horizon de la varappe, ou le Art of Rallye, plutôt, pour prendre en compte son côté définitivement indé. Et Jusant s’achèvera quand on aura fait le tour de ce que cet élément central de gameplay a à proposer, au bout d’environ cinq heures, ce qui est une qualité ! On ne louera jamais assez les jeux courts, qui savent se passer de phases de redites ou de remplissage, qui provoquent plus l’ennui qu’autre chose…
Don’t look up
Un jeu basé essentiellement sur son gameplay, donc, mais dont la narration n’est pas absente, Don’t Nod oblige. C’est même l’une de ses grandes réussites : une narration environnementale, portée par ses décors. Les lieux, les objets nous racontent d’abord un monde très original, où la vie à la montagne et celle en bord de mer sont liées, avec des bateaux, des filets de pêche, accrochés à flanc de montagne.
Mais c’est aussi l’histoire d’une tragédie, puisque le retrait de cette même mer aura obligé les habitants de La Tour – le nom de la montagne que l’on gravit – à s’enfuir en laissant tout sur place. Eh oui, le parallèle avec les réfugiés climatiques de notre monde à nous est évident.
Jusant nous raconte une histoire où l’eau a quitté le monde (c’est d’ailleurs la définition même du titre, emprunté au vocabulaire maritime), et notre problème à nous serait plutôt un problème de trop d’eau (fonte des glaces, montée du niveau de la mer…), ainsi qu’en témoigne la situation indonésienne, qui pense très sérieusement à élire une nouvelle capitale, l’actuelle, Jakarta, étant de plus en plus souvent touchée par des inondations toujours plus intenses (histoire tristement vraie). Le parallèle nous saute au visage.
On apprend d’ailleurs au détour d’une note qu’on retrouve dans les habitations abandonnées que quand l’eau a commencé à manquer, les citoyens ont été incités à faire ces « petits gestes » que nous aussi ne connaissons que trop bien…
Alors, la montagne que nous devons escalader dans le jeu pourrait aussi être une métaphore de ce qu’il nous reste à faire pour que notre société à nous ne soit pas contrainte d’abandonner sa Tour, à vivre son Jusant. C’est bien un jeu Don’t Nod, finalement ; on ne se refait pas !
Jusant est un jeu parfaitement inscrit dans son scope, dans son ambition. C’est un jeu indé, au budget contenu, qui affiche une D.A. plutôt réussie bien que conditionnée par les moyens qui lui sont alloués. On reconnaît ainsi un peu le style d’autres jeux dits AA (Sea of Solitude, en mieux – tiens, un jeu où le monde est, à l’inverse de Jusant, inondé), un peu cartoon, un peu low-poly, mais qui offre tout de même des panoramas impressionnants.
Le gameplay repose sur une idée qui fonctionne bien, et qui sait se renouveler sur la longueur du jeu. Longueur qui a l’intelligence de ne pas en faire trop. Jusant est un joli « petit » jeu, à la hauteur de ses ambitions, ce qui est rafraîchissant en cette période bouffie de sorties superlatives, et qui porte un discours écologiste complètement dans l’air du temps.