Difficile de ne pas saliver à l’annonce d’une nouvelle collaboration entre Suda51 et Swery65, la précédente, un projet PlayStation VR, n’ayant jamais vu le jour. Les deux créateurs japonais sont connus pour leurs déviances esthétiques et leurs audaces en matière de game design. Même face à un premier trailer peu engageant, plombé par une technique datée et des animations raides, on pouvait espérer au minimum une proposition singulière, à la hauteur de deux esprits aussi délirants.
En réalité, Hotel Barcelona est avant tout un projet piloté par Swery et son studio White Owls, fondé après son départ d’Access Games en 2016, là où il avait signé son « chef-d’œuvre », bancal mais culte, Deadly Premonition. Le concept vient bien d’une idée originale de Goichi Suda, mais le résultat ne laisse guère de doute : on y retrouve davantage l’exécution maladroite dont Swery nous a habitués, plutôt que le cocktail punk et grotesque d’un Suda51, malgré son fantôme voletant à chaque instant au-dessus de l’œuvre.
(Test de Hotel Barcelona réalisé sur PC avec une clé fournie par l’éditeur)
Thought you were an angel,
Hotel Barcelona se présente comme un Rogue-like en 2.5D porté sur l’action, et en hommage évident au sous-genre du slasher et de son âge d’or dans les années 80. On y incarne Justine, une marshal fédérale débutante cohabitant avec l’esprit de Dr Carnival, un tueur en série notoire. En quête de vengeance, ils devront explorer un hôtel fantasque, perdu au milieu des États-Unis et peuplé de criminels sanguinaires, afin de retrouver la sorcière qui en est la gérante.
L’hôtel se structure autour d’un HUB central, où l’on peut interagir avec ses habitants et effectuer ses achats, puis de six stages aux thématiques variées, dont deux optionnels. La progression reste celle d’un Rogue-like classique : chaque run correspond à un stage et à son boss, avant de revenir au HUB pour y dépenser ses ressources durement gagnées.
Les premières heures sont vraiment ardues. Les armes manquent cruellement de variété, sans combo ni réelle profondeur, au point de décourager toute envie d’expérimentation. Très vite, on se rabat sur l’arme de base, qui s’améliore automatiquement au fil de la progression, tandis que l’on préfère investir ses ressources dans les statistiques du personnage, nettement plus déterminantes que l’achat de nouveaux types d’armes.
Les commandes, elles, ne suivent pas : trop lentes, trop imprécises, elles transforment chaque affrontement des premières heures en source de crispation. Notons aussi un chronomètre, trop discret et sans feedback, qui écourte brutalement la partie si l’on traîne trop, ajoutant une couche de frustration supplémentaire.
Et pourtant, le système qui fait la singularité de Hotel Barcelona est franchement intéressant. Une jauge de sang se remplit au fur et à mesure des affrontements, comportant plusieurs paliers qui améliorent drastiquement vos statistiques, et se vide si vous utilisez votre attaque ultime. Jusqu’à quatre fantômes de vos précédentes run vous accompagneront, dynamisant les affrontements, mais les rendant aussi beaucoup moins lisibles, surtout face aux boss.
Et c’est alors, après quelques heures de jeu et un farm de ressources bien investi, que la courbe de difficulté s’effondre drastiquement : après trois stages en difficulté normale, les boss tombent presque du premier coup, vidant les affrontements de tout enjeu. Entre deux, quelques pics absurdes viennent briser le rythme : le poison du stage 2 ou, pire, l’eau du stage 3 qui vide la jauge de sang, allant ainsi à l’encontre d’une mécanique centrale du jeu.
Why you tryna clip my wings ?
Hotel Barcelona se veut aussi un récit déviant, entre série B et rêve halluciné. Le mélange d’horreur, de grotesque et de comédie absurde fonctionne sur le papier, et certains dialogues surréalistes rappellent la présence de Swery et de son équipe. Mais tout arrive en vrac, sans progression ni montée en tension. Le délire est bien présent, mais jamais transcendé, et encore moins par sa technique datée et ses modèles 3D sans aucun charme, contrairement aux visuels 2D, resplendissants par moments.
Quelques fulgurances parviennent à arracher un sourire timide : les fausses cinématiques de crédit, le barman qui collectionne des oreilles, ou encore des vidéos FMV parodiques du cinéma d’horreur. Mais tout est balancé en bloc, sans rythme, au lieu d’être distillé pour accompagner la durée de vie. Même constat pour les stages secrets aux idées géniales, parfois un vrai twist de genre, mais introduits bien trop tard, une fois que le joueur est déjà surpuissant. Le reste manque cruellement de folie, et c’est un comble de dire ça au vu des gens à la tête du projet. Quelques cinématiques de boss soignées, un mélange de styles visuels typiquement « Suda51 », mais rien qui ne vienne hanter durablement.
On se retrouve surtout avec une ergonomie poussive, des menus lents, des commandes capricieuses, et des micro-chargements incessants pour un jeu qui ne devrait pas avoir grand-chose à charger. Jusqu’à ce balcon dans la chambre du héros, donnant sur le vide le plus absolu et ne servant strictement à rien, même pas à ravir vos mirettes. Un mot tout de même sur le multijoueur façon Dark Souls : moyennant quelques ressources, vous pourrez rentrer dans la run d’un autre joueur pour lui prêter main-forte, ou choisir l’invasion pour ruiner la vie d’un autre être humain tout en jubilant.
Sacrée déception que voici, malgré les grands noms associés au projet. Hotel Barcelona reste trop domestiqué dans ses folies visuelles et thématiques. Peut-être que les grands fans de Rogue-like et de slasher sauront y trouver leur compte au milieu d’une tonne de références, mais il nous est difficile de lui pardonner sa courbe de difficulté qui s’effondre d’un extrême à l’autre en un instant.
Sa lenteur est également rebutante, tout comme sa 3D triste au possible, ne rendant absolument pas hommage aux quelques visuels 2D qui traversent le jeu. Et même si les combats deviennent plaisants après avoir débloqué des combos et augmenté ses statistiques, il est déjà trop tard, le charme de l’hôtel s’étant dissipé avant même d’avoir pu s’installer.