Godfall, ce n’est pas un simple jeu de lancement pour une nouvelle console, c’est aussi le premier à avoir reçu l’aval de Sony pour afficher le logo PlayStation 5 sur son trailer d’annonce lors des Game Awards de 2019. Une présentation en grande pompe pour le nouveau porte-étendard technologique de la génération à venir et qui promettait beaucoup sur le papier. Seulement, on le sait, les choses sont bien plus complexes qu’il n’y paraît et peut-être que nous autres, journalistes, rédacteurs, joueurs, nous sommes trop emballés pour ce slasher looter.
Car derrière Godfall, il y a Counterplay Games, un petit studio très jeune et vierge de toute sortie vidéoludique jusqu’alors. Cependant, jeune ne veut pas dire amateur, et beaucoup de vétérans du développement composent cette petite structure d’environ soixante-dix développeurs. Des personnes ayant travaillé sur des licences comme God of War, Horizon Zero Dawn, Diablo III, Gears 5 ou encore Battlefield et Guild Wars. De beaux pedigrees qui ont mis à disposition leur savoir-faire pour faire de Godfall la bonne surprise du lancement de la PlayStation 5.
Exclusivité temporaire, sortie aussi sur PC (version qui a servi au test), Godfall se présentait comme un slasher looter, sorte de A-RPG light qui mise tout sur son univers original, son gameplay et son principe de jeu simple : la chasse au loot. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le titre est à la hauteur des attentes et peut être considéré comme un jeu flagship au même titre que le remake de Demon’s Souls ou Spider-Man: Miles Morales. La réponse se trouve dans les lignes qui suivent.
(Test de Godfall sur PC réalisé à partir d’une version commerciale)
Nous y voilà donc. La nouvelle génération est arrivée et avec elle quelques jeux qui lui sont exclusifs. Godfall fait partie de cette sélection rare et entend nous convaincre qu’il nous faut absolument passer le cap et nous payer l’une de ces consoles qui se font bien rares en cette période de lancement. Le jeu nous embarque dans un univers onirique, original, à la mythologie recherchée et s’inspirant d’écrits nombreux et variés.
On y incarne Orin, dieu avisé d’Aperyon, qui après une bataille contre son frère Macros, se retrouve déchu de ses pouvoirs et tombe littéralement du haut de la tour des mondes pour atterrir sur Terre. Enragé et décidé à se venger, aussi parce que son parent compte utiliser ses nouvelles attributions pour faire le mal, il se lance à la reconquête de son trône.
Malheureusement pour lui, cette dure bataille lui a fait perdre une bonne partie de ses pouvoirs et de ses armes, et il lui faudra donc regagner un peu de vigueur et trouver de belles lames affutées avant d’atteindre son but. Pour ce faire, il se fera aider par l’Oracle, sorte d’entité omnisciente qui le guidera, et par un forgeron de renom qui l’aidera à forger des bricoles dévastatrices. Mais avant d’affronter son frère, il lui faudra faire tomber ses lieutenants dans les différents mondes d’Aperyon.
Voilà qui résume le scénario de Godfall, et ne vous attendez pas à plus, vous n’auriez rien de bien trépidant à vous mettre sous la dent. Les dialogues ne mènent nulle part et ont tendance à se répéter, les personnages au nombre incroyable de trois sont tout sauf intéressants et cette quête de reconquête ne semble à aucun moment urgente ou épique.
L’univers mythologique créé est certes incroyablement inspiré visuellement et intrigant, il est par contre sous-exploité et de fait cruellement décevant. Son lore n’étant développé que par des fichiers codex que l’on trouve sur le terrain, ne vous attendez donc pas à rencontrer quelques autochtones et gambader dans des villes ou villages. Non, ici, les lieux visités ne sont que des amoncellements de ruines faisant office de champs de bataille.
Au nombre de trois, la Terre, l’Air et l’Eau, ces mondes s’articulent autour d’une tour dont chaque étage correspond à l’une de ces zones. En haut de l’édifice trône le dieu, celui qui maintient l’équilibre et l’harmonie pour et dans chacune de ces civilisations. Il est bien dommage que tout ceci ne soit finalement que très secondaire, car la direction artistique est ambitieuse et grandiose, et chaque lieu à une patte particulière qui le rend unique.
On se fait péter la rétine bien souvent et l’immersion est au beau fixe. On se prend à imaginer ce que les lieux ont d’historique, aussi à l’aide des nombreuses notes égarées, plus que l’on ne ressent participer à l’histoire de ces endroits.
Et finalement arrive ce qui doit arriver, on ne se sent pas concerné ni même investi dans l’histoire. La narration est trop pauvre, le lore sous-exploité, le scénario bateau et la direction artistique ou notre propre imagination ne peuvent palier le néant absolu que nous propose l’univers du jeu.
Ici est le néant
On n’est donc franchement pas plus emballé que cela par ce qui nous est offert en termes de scénario et de construction d’univers. C’est bâclé et cela ne propose qu’une recherche artistique élaborée, mais rien de plus finalement. Même le level design des lieux visités est peu inspiré et labyrinthique à souhait ; on se perd énormément et on ne comprend toujours pas pourquoi des cartes des différents mondes ne sont pas disponibles.
On tourne parfois près de dix minutes avant de trouver un seul de nos objectifs, nous aidant d’une vision spéciale mettant en évidence les objets d’intérêt, mais cela ne fonctionne pas. Notre navigation est souvent désagréable et le fait que tout soit vide, sans vie, n’aide pas à prendre du plaisir. Ce ne sont pas les montagnes d’ennemis présentes tous les cinq mètres qui auront réussi à nous convaincre du contraire.
Car trop de combats tuent le combat. Certes, on peut les éviter, mais c’est la seule chose qu’offre Godfall, alors occulter son atout principal devient forcément problématique. Vous l’aurez compris, chaque royaume propose de parcourir une zone semi-ouverte dans laquelle on navigue pour atteindre notre objectif principal du moment, souvent buter du mid-boss ou trouver un nouveau chemin. Autant dire que ce n’est pas là que l’on trouvera de l’originalité et inutile d’espérer trouver des quêtes annexes, il n’y en a pas.
Seulement des objectifs secondaires à effectuer durant nos missions et des quêtes FEDEX nous demandant tout le temps de trouver trois coffres sur la map, d’en résoudre toujours le même casse-tête ou d’y tuer les monstres les protégeant, pour gagner un trésor spécial. L’exploration s’en retrouve par la même occasion très amoindrie. Ouvrir des coffres, péter des « liens » maintenant une porte fermée et buter du mob, voilà ce que propose Godfall dans les grandes lignes.
Du côté RPG, on ne retrouve rien, hormis le fait que l’on puisse gagner en niveau et customiser notre divinité via son équipement ou encore en les améliorant. Il n’y a guère de PNJ, guère d’histoire profonde, guère de choix à effectuer, c’est linéaire, paresseux et sans fond. On a bien un HUB (le Septième Sanctuaire) qui nous sert de pied à terre pour retoucher un peu notre équipement et « discuter » dix secondes avec nos deux seuls compagnons, mais c’est trop peu.
Sommes-nous donc de retour sur la première PlayStation et ces jeux 3D beaux, mais vides de tout intérêt ? Oui, et c’est peu dire, heureusement alors que le système de jeu et le gameplay sauvent le soldat Godfall de sa chute libre.
Une loot box géante
Ce qui sauve le navire Godfall du naufrage est son gameplay grisant et d’un dynamisme rare. C’est intense et vif, nous demandant d’enchaîner esquive, parade, attaque à une vitesse folle, l’IA étant très agressive et faisant très mal arrivée à un certain niveau. Plusieurs types d’ennemis sont présents par monde, avec chacun une façon de se battre et un point faible à exploiter. La réussite réside en une analyse rapide des forces en présence et la capacité à s’y adapter, surtout qu’en plein combat, de nouveaux mobs peuvent arriver et il faut donc là encore se montrer véloce dans ses prises de décisions.
Tout est très simple. On peut attaquer avec notre arme en assenant des coups normaux et d’autres plus lents, mais plus forts et ainsi se faire quelques petits combos, simples d’accès et peu nombreux, en mixant les deux. Différentes combinaisons sont au programme et changent en fonction des armes équipées qui ont toutes des qualités et défauts.
On peut esquiver ou parer avec notre bouclier, que l’on peut aussi lancer sur la poire des ennemis, ce qui peut les repousser et les mettre à terre un court instant. Moment parfait pour les finir via des exécutions rageuses, mais qui manquent d’intensité. Des coups spéciaux sont au programme, ainsi qu’une sorte de coup ultime qui change en fonction de l’armure que l’on revêt.
Les combats s’apparentent à une danse stupéfiante de fluidité, mais quelque peu imprécise dans l’exécution parfois, il est souvent difficile d’enchaîner esquive et/ou parade et/ou attaque à la vitesse qu’exige le jeu. La caméra n’aide souvent pas, le lock étant en plus un tel calvaire qu’on abandonne vite l’idée de l’utiliser. Pourtant, il en ressort un côté épique que l’on retrouve dans la direction artistique, il s’en dégage une sensation de puissance et l’impact de nos coups, l’acier des lames qui s’entrechoquent ou encore la fureur des attaques spéciales, ont fini par nous happer complètement dans ces batailles grandioses qui rendent des effets bluffants à l’écran.
Un régal qui gagne en force lorsque l’on joue en coopération, option qui apporte d’ailleurs beaucoup et permet de vivre des joutes véritablement magistrales manette en mains. Dommage qu’elle ne soit pas plus mise en avant, il n’y a guère que quelques compétences ou des bannières qui offrent des avantages d’équipe. La coopération servira plus pour l’end game d’ailleurs qui est très décevant et est en fait une sorte d’enchaînement d’affrontements de boss à mener avec certaines particularités certes, mais rien de bien transcendant. D’autant plus dommageable que le jeu n’est pas très long finalement.
Et tout ceci a un sens, car on ne part pas à la guerre que par plaisir, d’autant plus que parfois; on en a plein le fessier, tant les différentes cartes sont remplies de mobs. Alors oui, on est face à une sorte de slasher en vue à la troisième personne, mais même sachant cela, la lassitude guette. Fort heureusement que le grind n’est pas forcé et que l’on monte naturellement de niveau. Non, si on livre autant batailles dans Godfall, c’est avant tout pour le loot, car s’il y a bien une chasse qui justifie notre attachement au jeu, c’est celle-ci.
De plus, les taux de drop sont admirablement bien pensés pour un jeu aussi jeune et on est rarement frustré par ce qui est proposé, surtout qu’on peut tout recycler, c’est ça être écoresponsable. Les boss, qui s’accompagnent eux très souvent des affrontements mémorables se rapprochant alors plus d’un Souls, car il faut pour certains partir à l’apprentissage de leurs paterns, lâchent forcément les objets les plus intéressants.
On retrouve les traditionnels classements de valeurs pour les pièces d’équipement, allant du commun au légendaire. Tout ceci pouvant être amélioré forcément avec des matériaux que l’on trouve un peu partout dans des coffres, en effectuant diverses tâches, certaines se débloquant au fur et à mesure que l’on avance, mais ne rêvez pas, c’est là encore répétitif. Classique, mais efficace, le système est intuitif et notre routine s’installe très vite quant à la gestion de l’équipement.
On parle là de plusieurs sortes d’armes, de l’épée longue, au gros marteau bourrin, en passant par la double lame, mais aussi de pendentifs, de bannières et autres bagues nous apportant protection et renforts d’attaques divers et élémentaires parfois.
Trois axes sont à prendre en compte : la vitalité, la puissance et l’esprit. On peut se tourner vers une de ces options très facilement ou simplement essayer de mixer le tout pour se construire un personnage équilibré. Cela passe de même, outre l’équipement équipé, par un système d’expérience dont les points glanés permettent de débloquer et améliorer des capacités dans une sorte d’arbre de compétences bien fourni. Cela fonctionne à merveille, d’une simplicité enfantine certes, mais parfait pour un jeu comme Godfall. D’autant plus que la particularité des armures, appelées Valorplates, entre en ligne de compte.
Il faut bien en parler, car comme dans un Anthem, elles font partie intégrante de l’expérience. Tout d’abord, sachez que Orin n’est pas défini par un genre, c’est un dieu, et il/elle peut donc être ce qu’il/elle veut. Aussi, que le Valorplate soit pour une femme ou un homme, on peut le revêtir et se l’approprier, Orin adaptant alors son timbre de voix en conséquence. Marrant, et pertinent. Il existe donc trois types différents de ces armures et chacune offre un avantage dans un domaine précis et une attaque ultime dite Chiron distincte. Cela ne veut pas dire qu’il n’en existe que si peu, des variations visuelles sont disponibles pour chacune.
Godfall surprend de par sa maîtrise au niveau de son système de jeu, alors qu’il déçoit beaucoup sur la maîtrise même de son univers. On prend un réel plaisir à visiter les trois différents mondes, malgré un level design désuet, grâce à la chasse au loot et aux combats qu’il propose. Le gameplay est soigné, travaillé et apporte quelques moments épiques jouissifs, le tout mis en avant par une réalisation technique incroyable et un sound design très réussi, proposant souvent des thèmes musicaux homériques.
L’art de la nouvelle génération
On l’a dit, Godfall brille artistiquement. Du design des royaumes, aux armes et armures, en passant par le character design en général, dont celui des boss et de Orin, on prend une réelle claque artistique qui ferait pâlir bien des jeux se disant créer des mythologies originales. Il fait aussi bien que beaucoup avec moins de moyens, mais ne parvient pas à développer suffisamment son lore pour que l’on s’y attache finalement. C’est beau, oui, mais encore une fois, c’est très vide.
Ce constat fait, il faut reconnaître que Godfall tient bien son statut de vitrine technologique. Techniquement, un cap est franchi et même s’il y a quelques ralentissements ici et là ou encore des bugs, rares, mais présents, il n’y a rien à dire, la fluidité des affrontements aurait tout bonnement été impossible à ce point sur l’ancienne génération.
On est souvent bluffé par l’explosion de différents effets qui jaillissent à l’écran et on ressort de certains combats abasourdis d’informations visuelles. Rassurez-vous, c’est pour le meilleur et très franchement, on espère au moins que beaucoup de jeux « AA » (car ce n’est pas un AAA) nouvelles générations feront aussi bien techniquement. Cela ne justifie pour le moment pas l’achat d’une nouvelle machine, mais c’est encourageant pour la suite.
Par contre, si sur PC le jeu est extrêmement beau, il est par la même occasion très mal optimisé. Beaucoup trop gourmand en ressources pour ce qu’il affiche, de nombreux mini freezes et autres soucis peuvent apparaître avec pourtant une très grosse configuration de base. Il faut alors jouer avec les options graphiques, souvent pour une perte visuelle imperceptible, pour obtenir un bon résultat alliant performances et qualité, car un freeze ou un lag dans un jeu comme celui-ci peut vite mener à une mort certaine, surtout que le titre est tout de même assez exigeant.
Le souci avec Godfall, c’est qu’il a été annoncé en grande pompe, car premier jeu autorisé à apposer le logo PlayStation 5 sur un trailer d’annonce. Ce qui a fait de lui le porte-étendard de la console de Sony, et ce, malgré le fait que Counterplay Games n’ait jamais accouché d’aucun jeu auparavant et que l’on ne savait vraiment pas sur quel pied danser. Pourtant, ce qui fut montré lors des mois qui suivirent était plutôt intéressant, on nous promettait là un jeu à l’action frénétique et grisante, jouable en coopération, avec des graphismes magnifiques et un univers original créé pour l’occasion.
Malheureusement, la marche était sans doute trop haute pour les développeurs, ou les attentes trop grandes, car s’il n’est pas dénué de qualités, le titre nous a vraiment laissé une impression de vide absolu que même un très bon gameplay et une direction artistique incroyable ne peuvent sauver. Pourtant, il y a quelques sursauts ici et là, un système de jeu bien rodé et des combats épiques contre des boss parfois hardcores, mais cela ne reste que du superficiel, une belle vitrine clinquante.
Godfall laisse finalement l’impression d’un atterrissage forcé après une longue chute libre qui laisse parfois entrevoir l’espoir d’un redémarrage des moteurs, mais pour au final s’écraser anonymement dans le flot continu des jeux oubliables.