Avec certains jeux, on sait dans quoi on met les pieds avant même d’avoir mis les mains dessus. Faut dire que le marketing du jeu vidéo s’est drastiquement accéléré ces dernières années, faisant pleuvoir quotidiennement teasers et autres trailers des prochaines sorties. Cette communication à outrance a le mérite (quand elle est bien faite) de générer une hype fort appréciable galvanisant toute une communauté de joueurs. D’un autre côté, peu de jeux arrivent encore à créer la surprise dans la mesure où tout est montré, détaillé au préalable. C’est le revers de la médaille.
Avec GhostWire: Tokyo, on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Oui, on avait vu quelques images, des vidéos, mais le titre gardait un certain mystère de par son fond pour le moins énigmatique. Des fantômes (des yokais plus exactement) dans les rues désertes de Tokyo ? Une vue à la première personne et des pouvoirs magiques ? La première approche a de quoi étonner.
Créé en 2010, Tango Gameworks en est à son troisième jeu. Après les deux opus de The Evil Within (qu’on vous recommande vivement au passage), Shinki Mikami et ses équipes souhaitent manifestement s’éloigner du traditionnel survival horror pour tendre davantage vers l’exploration et l’action. Attention, le maître japonais reste avec ses premières amours et façonne un Tokyo hanté aux mille dangers. L’horreur ne va jamais bien loin en sa compagnie.
(Test du jeu GhostWire: Tokyo sur PlayStation 5 réalisée à partir d’une copie digitale fournie par l’éditeur)
Street Yokais
Scène iconique du pays du Soleil-Levant, le carrefour de Shibuya a toujours fasciné l’Occident de par son foutoir organisé. Tant de monde et pourtant tout est si fluide, si facile. Mais Shibuya semble aujourd’hui différent. Les passages piétons sont déserts. Toute la vie de la mégalopole japonaise s’est éteinte, plus aucune population n’occupe les lieux. Une mystérieuse brume a envahi la capitale, transformant tous ses habitants en âmes en perdition. Seuls les emblématiques néons et sons de magasins sont encore perceptibles. Le reste n’est que silence. Pas de doute, Shinji Mikami est aux commandes. GhostWire: Tokyo repousse le terrain de jeu de l’horreur pour s’attaquer à l’iconique cité japonaise. En voilà un projet ambitieux ! Le manoir Spencer de Resident Evil nous paraît bien petit à côté.
En un instant, la magie opère. On explore les rues avec des yeux fascinés, du jamais-vu ! La retranscription de Tokyo est une totale réussite. Malgré l’absence de passants, l’ambiance si particulière de la vie urbaine à la japonaise est au rendez-vous. Mais ce moment est de courte durée. En réalité, nous ne sommes pas vraiment seuls. Des yokais hantent ces lieux.
Bref point culture : les yokais sont des sortes d’esprits tout droit venus du folklore japonais. Il en existe plusieurs sortes, chacun correspondant à une situation particulière, souvent lugubre. Ce n’est pas la première fois que le jeu vidéo puise dans ce puits d’imagination sans fin. On peut ainsi citer Project Zero (Fatal Frame) ou encore Nioh dans un tout autre style. Sans surprise, ces fantômes ne nous veulent pas du bien et souhaitent nous attirer de l’autre côté, là où les âmes sont damnées pour l’éternité. Il faudra donc se défendre, et vite. Dans les premières minutes de jeu, GhostWire: Tokyo surprend. Ce dernier installe un cadre assez innovant à l’ambiance réussie, tissant un pont entre tradition et modernité (pardonnez ce cliché).
Doctor Strange de visite à Tokyo
Choix curieux, mais qui force le respect, Tango Gameworks s’est éloigné du survival horror à la troisième personne pour une vue à la première personne au service de l’immersion. Ça fonctionne, du moins pour une poignée d’heures. Déjà, car le gameplay tourne rapidement en rond, installant une redondance. Dans GhostWire: Tokyo, pas d’armes à feu, pas d’arbalète Agonie (vous avez la référence ?), on se bat à coup d’éther, comprenez pouvoirs magiques sous la forme de sceaux d’éléments : l’air, l’eau et le feu. La manière dont les invocations sont affichées fait directement penser à Doctor Strange. Dégât de zone, rapidité d’action, attaque accablante, il faudra jongler entre lesdits éléments pour occire intelligemment ses ennemis. Mais voilà, on s’ennuie rapidement. Alors oui, on peut également citer la présence d’un arc et de plusieurs talismans, mais ces derniers restent anecdotiques tant leur utilisation est rare.
Attention, on se doit de préciser que le gameplay est loin d’être mauvais, mais celui-ci est bien trop limité pour marquer sur la durée. On aurait apprécié davantage d’attaques pour diversifier les combats. GhostWire: Tokyo emprunte des mécaniques de RPG avec notamment un arbre à compétences (typique) à débloquer à coups de points d’expérience. On ne vous fera pas cet affront de vous expliquer le principe de ce système. Mais il est à noter que la progression est assez maladroite et le sentiment de récompense (après avoir vaincu d’innombrables ennemis et accompli plusieurs quêtes) est malvenu.
Pire encore, cette répétitivité dans les affrontements se ressent davantage avec le bestiaire jugé trop faible. Il n’y avait pourtant qu’à se servir tant les types de yokais sont légion. Mais non, on rencontre quasiment toujours les mêmes démons. Dommage. À côté de ça, le scénario principal ne relève malheureusement pas la barre. Même si le héros principal (à la double personnalité) est plutôt bien écrit et attachant, tout le dénouement est d’un cliché dont seuls les Japonais ont le secret. Plus manichéen, tu meurs.
Un monde ouvert obsolète
OK, les combats sont (trop) redondants, le scénario est guère fascinant. Mais alors, qu’est-ce qui nous reste de ce GhostWire: Tokyo ? Eh bien, il y a Tokyo, vaste zone de jeu à explorer de fond en comble à la recherche de collectibles et de missions secondaires. Une autre déception de taille. Nous avons affaire à un monde ouvert des plus classiques. Et la surprise pourtant si appréciable en début de partie se consume telle une bougie, lentement mais sûrement.
Plus les heures défilent au compteur, plus on serre les dents. C’est clairement un monde ouvert à la Ubisoft, avec des points d’intérêt sans intérêt, des collectibles en veux-tu, en voilà, et diverses améliorations à glaner ici et là. On a même des portails torii (l’entrée des sanctuaires) qui servent à élargir la zone en repoussant la brume, au même titre que les tours de guet d’Assassin’s Creed. Du Ubisoft (au mauvais sens du terme), on vous dit ! Pourquoi cette facilité dans la forme avec un fond pourtant si novateur ? C’est la question qui restera en tête une fois la manette posée.
On notera néanmoins quelques tentatives inespérées de parfaire l’expérience, à commencer par la verticalité des déplacements. Si on est d’abord limité à pied, on pourra rapidement prendre de la hauteur et sauter d’immeuble en immeuble tel un Spider-Man nippon. Mais la lourdeur du gameplay reprend vite ses droits et cette sensation de vol ne convainc qu’à moitié. On galère plus à sauter, à s’accrocher, qu’autre chose. Idem, la manette PlayStation 5 et son pavé tactile sont sollicités pour dessiner des signes à l’aide du doigt. En théorie, c’est amusant et bien pensé. En réalité, c’est approximatif et on passera systématiquement en mode automatique tant les mouvements sont difficiles à reproduire.
GhostWire: Tokyo avait de l’ambition. Passage à la première personne, Tokyo en monde ouvert, verticalité dans le gameplay, éléments de RPG, yokais en toile de fond… le titre se montre très innovant dans sa proposition. On ne peut clairement pas lui reprocher de tenter des choses, des mélanges inédits et prometteurs. Même si la recette prend durant la première partie, force est de constater que le jeu se perd dans de classiques travers, à commencer par un monde ouvert dépassé. Et on ne pointe pas cette faiblesse seulement après avoir joué à Elden Ring, mais la carte proposée est bien trop obsolète.
On avait pourtant bien envie de l’aimer, ce GhostWire: Tokyo. Qu’importe, il servira de base pour élever la prochaine création du studio. Oui, nous ne sommes pas tendres avec lui, mais tout n’est pas à jeter non plus. Ils ont tenté, tout n’a pas fonctionné, mais la démarche est saine et l’apprentissage constant. On attend maintenant leur prochain projet, en espérant éviter les écueils mentionnés et avec une originalité rafraîchissante au sein de cette industrie du jeu vidéo un poil morose dans ses propositions.