Baroud d’honneur des exclusivités de la PlayStation 4 en fin de vie, Ghost of Tsushima arrive à un moment où la génération actuelle a donné tout (ou presque) ce qu’elle avait à offrir. Souvent comparé à de nombreux titres phares de ces dernières années, le dernier-né des studios Sucker Punch (Sly Racoon, inFamous) arrivera-t-il à convaincre en tant qu’œuvre majeure de la console, où se rangera-t-il dans la grande bibliothèque des mondes ouverts facilement oubliables ?
(Test de Ghost of Tsushima réalisé sur PS4 via un code fourni par l’éditeur.)
Dualité décomplexée
Dans un monde vidéoludique où tout est John Wick, il est apaisant d’avoir un peu de Kurosawa. Reposant et intuitif dans son exploration, Ghost of Tsushima se révèle néanmoins féroce et nerveux dans ses combats. Un Yin et un Yang parfaitement équilibré, et qui résume assez bien un jeu qui s’oppose constamment à lui-même, sans pour autant perdre en cohérence. Afin de comprendre au mieux la proposition du jeu, que cela soit en termes d’histoire ou de mécanique de jeu, il est très important d’avoir en tête ce sentiment de remise en question permanente auquel le titre nous oblige à faire face. Des introspections qui vont nourrir petit à petit votre expérience dans la peau de Jin Sakai, l’un des derniers samouraïs de l’île de Tsushima.
Sur sa route pour la reconquête de son île prise par les Mongols à la suite d’une scène d’introduction de grande classe, Jin ainsi que vous-même ferez face à l’une des grandes questions de l’humanité : jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour ce qui vous est cher ? Une question à laquelle il ne nous appartient pas de répondre, mais sur laquelle vous serez amené à réfléchir, tant le jeu n’aura de cesse de remettre en question les convictions « profondes » à chaque nouvelle heure de jeu.
Samouraï pour qui le Bushido (code d’honneur) représente l’intégralité de ses valeurs, Jin sera amené à glisser sans trop de manichéisme à l’opposé de ses certitudes sur ce qu’est le bien et le mal. Un chemin semé d’embûches, de rêves et de beauté que nous allons attaquer immédiatement.
Honneur ou survie
Votre périple commence peu après l’attaque des Mongols et la mise au fer du seigneur de l’île (qui est aussi votre oncle) par le petit-fils de Gengis Khan. Face aux atrocités commises par l’envahisseur, votre Jin fera un choix : faire une croix sur le Bushido afin de bouter l’ennemi hors de l’île.
Néanmoins, le jeu vous offre dès le départ la possibilité de toujours agir avec honneur, ce qui au niveau du gameplay signifie hurler devant un camp ennemi pour que tout le monde sache que vous êtes là. Pas bien malin me direz-vous, mais cela fonctionne plutôt bien grâce à une mini phase de duel en face à face où vous pourrez occire quelques ennemis avant que l’enfer ne se déchaîne sur vous.
Le jeu souffrant d’un tutoriel assez incomplet, vos premiers affrontements pourraient transpirer le die and retry. Toutefois, après un peu d’investissements dans le jeu, vous prendrez un véritable plaisir à pourfendre vos ennemis à l’aide de votre katana familial. En effet, le jeu est somme toute classique de prime abord dans ses échanges armés, avec les classiques contres et esquives pour la défense et les coups rapides/coups puissants pour l’attaque. Une mécanique empruntée à l’excellent Witcher 3, mais que Sucker Punch a su porter à un autre niveau, via l’adjonction d’un système de pose propre à chaque type d’ennemi que vous rencontrerez. De plus, les combats jouissent d’une physique impeccable et réaliste qui renforce le sentiment d’immersion du jeu.
Néanmoins, le jeu risque de surprendre par l’absence de lock ennemi, ce qui, combiné avec une caméra capricieuse en intérieur, pourrait vous être fatal. Toutefois, ces choix sont le résultat d’une volonté du studio de garder une certaine fluidité dans les passes d’armes, ce qui avec un peu d’habitude ne vous gênera absolument pas. Autre mécanique importante, celle de la détermination. Il s’agit en quelque sorte des points de compétences que vous pourrez utiliser pour une attaque spéciale ou simplement pour récupérer de la vie, et que vous pourrez récupérer en frappant vos adversaires. Une mécanique qui pousse à l’offensive, surtout lorsque vous serez proche de la mort.
Evidemment, le jeu vous propose aussi de vous battre tel un ninja, en vous cachant afin d’assassiner ces pauvres Mongols qui n’en demandaient pas tant. Une autre facette du titre qui pourrait se résumer à un plaisir coupable oscillant entre grâce et dénuement. Le titre conjugue d’un côté l’agréable système de discrétion, permettant d’occire rapidement de nombreux ennemis de manière chirurgicale et dans à peu près toutes les positions, et de l’autre l’IA la plus à côté de ses pompes qu’ils nous ait été donné de voir dans un triple A.
Que l’on se comprenne bien, cette dernière n’est pas mauvaise du tout, mais est complètement sourde/aveugle lorsque l’on est en mode discrétion. Une sensation très arcade pour un pan du gameplay qui, loin d’être mauvais, n’est absolument pas exigeant, même en mode difficile. En résulte donc un plaisir de jeu non-dissimulé au milieu duquel on soufflera régulièrement devant cette I.A bien décidée à se laisser trancher la gorge par le premier nippon venu.
Maintenant, on regrette que nos choix en termes d’approche n’aient pas plus d’impact sur le jeu. En effet, les comportements des PNJ semblent écrits d’avance, et si ces derniers sont convaincants sur le sujet, on regrette de ne pas pouvoir jouer sur un versant plutôt qu’un autre (ce qui apporterait en rejouabilité). Le duel entre honneur et survie se fera donc essentiellement dans votre tête, la position de vos acolytes vous trimbalant régulièrement et avec brio d’un point de vue à un autre.
Entre calme et tempête
L’une des principales forces du titre réside dans son monde ouvert. À mi-chemin entre stéréotypes japonais et réalisme, Ghost of Tsushima détonne de par sa manière intuitive de parcourir un Japon féodal de toute beauté. Une fluidité dans le déplacement représentée par la mécanique du vent, activable en caressant avec douceur le pad de votre DualShock. Une sensation de fraîcheur combinée au plaisir de voir enfin le pad de la manette utilisé de manière intelligente qui fait honneur à une promesse d’ATH minimaliste. Un choix intelligent et logique qui nous permet de profiter des décors somptueux du jeu, garants d’un dépaysement des plus délicieux.
Une exploration donc, qui pourrait presque se réaliser sans la map, tant l’horizon nous offre pléthore d’éléments d’intérêt, ou tout au contraire nous laisse simplement profiter de la sérénité que procure une promenade au sein de l’une des forêts insulaires. Le jeu maîtrise totalement son propos avec son monde ouvert, nous amenant à l’exact opposé de la frénésie des combats, et nous propose de nombreuses activités « relaxantes » comme l’écriture des haïkus, sorte de poèmes japonais que l’on crée en observant l’environnement.
De plus, le jeu s’inspirant directement des œuvres du célèbre réalisateur Akira Kurosawa, vous pourrez profiter d’un mode du même nom transformant votre jeu en une expérience du cinéma d’époque en noir et blanc. Une vision intéressante qui vous permet d’apprécier d’une tout autre manière l’environnement qui vous entoure, mais avec la même poésie dans ses détails.
Melting-pot et pot pourri
Avoir un triple A qui arrive en fin de gen’, c’est quand même un sacré prétexte à la comparaison, notamment avec ses illustres aînés. Et ce ne sont pas les influences qui manquent pour Ghost of Tsushima. En effet, on retrouve sans trop de problème un petit côté Breath of the Wild dans l’approche instinctive de l’exploration, ou encore un clin d’œil léger au remaster de Shadow of the Colossus, notamment pour la caméra à cheval qui permet de profiter des décors même au galop. On retrouvera même les sensations de varappe de Uncharted 4 dès lors que vous aurez récupéré le grappin.
Un brassage d’influences qui, mêlé au propos du jeu, offre une expérience sincèrement unique au joueur, le mettant face à ses acquis, mais aussi à ce qui reste à découvrir. Toutefois, rassurez-vous, le jeu possède bien son identité propre, ce qui le hisse ici au pavillon des coups de cœur de la gen’ en dépit de ses quelques défauts. Car oui, si ce test de Ghost of Tsushima nous a définitivement convaincus quant à la qualité du titre, cela n’empêche pas le jeu de souffrir de quelques problèmes qu’il serait malhonnête de cacher sous le tapis.
Tout d’abord, sur le plan technique, et malgré une direction artistique de talent, le jeu fait état de manque de consistance dans ses textures sol (notre personnage « s’enfonçant » de temps à autre dans le sol). Toujours sur l’aspect visuel, le jeu déçoit sur les animations des visages des personnages, très dommageables, surtout pour le vibrant hommage au cinéma nippon que le jeu essaie d’être. Heureusement pour vous, le sound design et l’OST n’auront de cesse de vous flatter les oreilles pour vous faire un peu oublier ces quelques défauts (on recommande vivement le port du casque, d’ailleurs).
D’autre part, la courbe de difficulté, une fois la moitié du jeu terminée, s’amenuise. Loin de devenir ennuyeux, Ghost of Tsushima nous place toutefois en tant que véritable machine de guerre pouvant anéantir une cinquantaine d’hommes sans broncher, même en mode difficile. On perd donc un peu le plaisir et l’utilité de se faufiler, pour tout simplement bourriner du Mongol jusqu’à plus soif.
Chant du cygne de la PlayStation 4, Ghost of Tsushima n’a pas à pâlir devant les autres exclusivités du catalogue de Sony tant sa proposition unique en termes de monde ouvert semi contemplatif/semi bourré d’action vous tiendra scotché à votre manette des heures durant. Une aventure tout en poésie qui n’aura de cesse de vous surprendre par la qualité de ses environnements. Malgré un côté infiltration en demi-teinte, le jeu arrive pleinement à nous mettre dans la peau d’un samouraï au katana filant comme le vent, grâce à un système de combat de qualité.
Véritable melting-pot d’une génération sur sa fin, le titre revisite avec légèreté les différents marqueurs de gameplay des jeux qui l’ont précédé, en y apportant sa propre couleur, faisant de Ghost of Tsushima une œuvre à part.