Nous sommes aujourd’hui dans une époque où les superlatifs sont de plus en plus utilisés à tort et à travers. Exceptionnel, incroyable, à couper le souffle, « banger », etc., autant de mots (passablement vidés de leurs sens) qu’on peut lire et entendre à chaque sortie d’un titre populaire. Mais combien d’entre eux marquent vraiment l’industrie de leur empreinte ? desquels parle-t-on encore des années après ? Final Fantasy Tactics est de ceux-là. Sorti à la fin des années 90 sur PlayStation, le titre est encore aujourd’hui considéré comme la référence du genre et l’un des meilleur tactical-RPG de l’histoire.
Est-il si surprenant de voir un Square Enix toujours prompt à dépoussiérer ses anciennes gloires, nous le reproposer aujourd’hui dans une version remise au goût du jour. Sorti le 30 septembre dernier sur consoles et PC, Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles semble donc être le meilleur moyen de le découvrir dans des conditions optimales. Et à moins que nos souvenirs nostalgiques nous aient encore joué de vilains tours, il pourrait bien être notre doudou vidéoludique de cette rentrée particulièrement chargée en sorties.
(Test de Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles sur PS5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Ça fait le job
Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles est une expérience complexe à prendre en main. Le titre propose une richesse dans ses mécaniques impressionnante et, fatalement, les assimiler demande un certain temps d’adaptation. Quand on pense au jeu, on se souvient généralement du système de job, lequel permet d’assigner une classe librement à ses aventuriers afin d’en débloquer les compétences idoines. Ainsi, un mage blanc apprendra des sors de soin, un moine aura les techniques du bourrin de service ou l’apothicaire sera spécialisé dans l’utilisation d’objets (et oui, utiliser un objet est une compétence à débloquer).
Un principe simple, en apparence, mais qui cache une réelle profondeur et offre une personnalisation poussée de nos alliés. Car si les attaques de base de la classe choisie seront toujours disponibles en combat (pour peu qu’elles aient été débloquées), il est possible d’ajouter celles d’une autre classe de notre choix (qu’elles soient actives ou passives). Vous voulez créer un chevalier avec des sort de soin capable de capturer les monstres ? C’est possible. Un ninja hyper mobile et usant de magie ? C’est également possible. De quoi donner libre court aux stratégies les plus originales, tout en se créant notre équilibre d’équipe idéal. Ne dit-on pas qu’une bataille est gagnée avant même d’être lancée ?
Reste qu’avant d’en arriver à ce niveau de choix, il faudra passer par la case bagarre, et glaner les points d’expérience et de compétence requis pour évoluer. Et c’est là qu’une partie du génie de Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles entre en jeu. Chaque action réussie permet à notre personnage de gagner en expérience. Utiliser un objet, lancer un sort, attaquer, y compris ses alliés, etc., rendant ainsi la montée en puissance de nos personnages, du moins au début, très rapide. Mais au-delà d’être rapide, c’est surtout très plaisant de se voir progresser aussi efficacement en se tapant nous même pendant que le dernier survivant ennemi d’une bataille fuis la queue entre les jambes à l’autre bout de la carte, sans doute choqué par la vision de compagnons en train de se jeter des caillasse dans la trogne pour devenir plus forts.
Mais tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car outre les capacités actives et passives à débloquer et assigner, le titre propose beaucoup d’autres éléments à prendre en considération. Et peu à peu, on se rend compte que c’est là que le bât commence à blesser. Non pas que les mécaniques soient mauvaises, bien au contraire, mais elles sont particulièrement mal expliquées (quand elles le sont). Typiquement, il faut être attentif aussi au sexe de nos mercenaires (lesquels peuvent être recrutés dans la taverne), puisque les hommes ont un bonus caché de puissance, tandis que les femmes sont prédisposées aux arts magiques.
Dans le même ordre d’idée, les statistiques de bravoure ou de foi auront une influence sur les capacités physiques ou magique. Et il y a tellement d’autres subtilités, plus ou moins évidentes, à découvrir par l’expérimentation et l’expérience. Sauf qu’en 2025, avec la pléthore de jeux sortant aujourd’hui, on a beaucoup moins le temps de s’attarder à comprendre les règles cachées du jeu. La sortie de ce remake était l’occasion de mettre les choses à plat, et de mieux expliquer ses mécaniques. Là, il risque plus de faire fuir les nouveaux joueurs n’ayant pas la patience ou le temps de s’investir, surtout sur les premières heures où la défaite est (très) vite arrivée.

Il vaut d’ailleurs mieux ne pas se tromper au début et prendre le temps de regarder les capacités des différentes classes à disposition et s’atteler à viser les compétences les plus essentielles directement. Une quasi obligation qui n’est pas forcément le meilleur choix de design ludique. On n’est pas là pour te laisser profiter de l’aventure, c’est la guerre, et aucun cadeau de nous est fait. Et les missions de début d’aventure risquent de faire beaucoup de victimes parmi les joueurs.
Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles est, comme l’original, assez mal équilibré. Comme nous l’avons évoqué, les débuts ne sont vraiment pas simples, surtout si on ne maîtrise pas les subtilités du gameplay. Le titre dispose bien d’un mode facile (en plus du normal et du difficile pour les plus acharnés), mais les combats ne sont pas simples pour autant. Au fil du jeu, la courbe de difficulté se fait plus souple, mais, à plusieurs reprises, on se heurte quand même à des murs assez violents et particulièrement frustrants. Si l’équipe n’est pas adaptée ou n’a pas les sorts et équipements adéquats, autant dire que c’est la mort assurée, quel que soit le niveau des adversaires.
Alors effectivement, il est préférable de maîtriser ce que le jeu à a proposer, quitte à perdre du temps pour tout comprendre. Une richesse impressionnante qui entre pourtant en contradiction avec la partie la plus concrète du jeu, à savoir ses combats. En effet, alors qu’on pourrait espérer de grandes batailles avec des dizaines de personnages à contrôler ou combattre, il n’en est rien. Nous sommes généralement quatre ou cinq héros, parfois accompagnés d’alliés temporaires, pour se battre sur des cartes qui peuvent se traverser d’un bout à l’autre en quelques déplacements. Il s’agissait, à l’époque de l’original, d’une contrainte technique, afin de tenir les 60 ips, mais on aurait parfois aimé que le champ de bataille soit plus étendu, et donc que les combats durent plus longtemps.
Alors, effectivement, cela rend les séquences de farming (pour débloquer de nouvelles classes par exemple) bien moins indigestes et le jeu est propice aux courtes sessions (un atout pour la version Switch, en nomade), mais in fine, c’est le rythme global du titre qui en pâtit. À tel point que les combats en deviennent presque secondaires. Pour répondre à notre précédente question, oui, les batailles se gagnent ou se perdent avant même de débuter. Et tout le sel de Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles réside dans notre capacité à utiliser harmonieusement tous les outils à notre disposition.
Game of Thrones avant l’heure
Aussi, si Final Fantasy Tactics était aussi marquant en son temps, c’est grâce à la qualité de son écriture, qu’il s’agisse des personnages, Ramza, le héros principal, en tête, mais surtout de son récit. En Ivalice, la guerre gronde. Les deux Lions, prétendant à la couronne, se disputent farouchement ce trône, usant de trahisons, fourberies et autres stratagèmes plus ou moins loyaux pour arriver à leurs fins. Les victimes civiles se comptent par centaines. Ainsi, Ramza et son ami d’enfance Delita font tout pour, à leurs manières diamétralement opposées, faire cesser ce conflit.
On rencontre au fil de notre aventure, laquelle nous a tenu en haleine une bonne quarantaine d’heures, toute une ribambelle de personnages ayant tous bénéficiés d’un soin dans leur écriture assez remarquable. Même le moindre méchant qui mourra deux missions plus tard dispose de sa propre personnalité et n’est pas uniquement des outils servant à faire progresser le récit. On sent la patte de Yasumi Matsuni, à l’œuvre sur les non moins appréciés Vagrant Story ou Final Fantasy XII (tout deux se passant en Ivalice aussi d’ailleurs).
Revers de la médaille, fatalement, on peut peiner à comprendre les aspirations de certains protagonistes. Les dialogues sont souvent assez longs, brouillant parfois les lignes, et il parait presque indispensable de quelquefois prendre le temps de digérer une avancée narrative afin de mieux en comprendre les enjeux.
La bonne nouvelle cependant, c’est que cette nouvelle édition du jeu nous propose une traduction complète et d’excellente qualité, permettant de bien plus facilement comprendre les tenants et aboutissants du titre (en plus d’un doublage en anglais ou en japonais). Un apport d’ailleurs bien plus intéressant que la nouvelle patine graphique (si on excepte les somptueuses scènes cinématiques).
Si le titre semble relativement joli, le filtre apposé à l’écran est quant à lui proprement immonde. C’est assez difficile à décrire mais c’est comme s’il y avait un calque avec des milliers de points, lesquels servant à « restaurer » l’imagerie de l’époque. Seul problème, quand on commence à voir cette ficelle, on ne voit plus que cela, polluant irrémédiablement notre vision du titre. Mais quelle idée d’avoir proposé un tel traitement alors que Square-Enix dispose d’un moteur HD-2D qui aurait été bien plus à propos.
D’ailleurs, de manière incompréhensible, le jeu souffre d’un gros souci de caméra. Il suffit qu’un personnage soit placé derrière un mur, par exemple, pour qu’il soit impossible de le voir. Mais pourquoi ne pas avoir mis ces éléments de décors en transparence lorsqu’il y a quelqu’un derrière ? Dans le même esprit, pourquoi ne pas avoir laissé la possibilité de jouer avec la caméra aérienne, bien plus lisible dans certains niveaux ?
Pire encore, au-delà de la traduction dans la langue de Molière et de quelques améliorations de confort (pouvoir recommencer un combat à la volée notamment), Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles justifie assez peu son existence. Il n’y a aucune réorchestration des musiques et les ajouts de The War of the Lion, remaster du jeu sur PlayStation Portable, n’ont même pas été intégrés à cette édition. Et alors que la version originale du jeu est proposée avec, il n’est même pas possible de commencer une partie sur la version classique pour la poursuivre sur le remake. C’est à n’y rien comprendre.
Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles était et reste une référence du RPG tactique. On nous propose un nombre de possibilités impressionnant, avec des classes à faire progresser pour en débloquer de nouvelles, des synergies à se créer, de nouveaux alliés à recruter et des informations de partout dont il conviendra de maîtriser les impacts, allant même jusqu’aux compatibilités astrologiques. Alors forcément, avec une telle richesse, le titre demande un certain niveau d’investissement et ne pourra pas être joué en dilettante.
D’autant que l’aventure est plutôt difficile, déséquilibrée même, et nécessitera parfois une profonde remise en question de la stratégie mise en place. Mais quand on se prend au jeu, quelle aventure ! Presque quinze ans avant l’adaptation en série des livres de Georges R.R. Martin, nous avions déjà droit à un récit digne de Game of Thrones en jeu vidéo.
Pour autant, Final Fantasy Tactics: The Ivalice Chronicles, malgré toutes ses qualités, peine à convaincre dans la forme. Le titre a beau disposer d’un doublage et d’une traduction en français de qualité, pour le reste, on est proche du zéro pointé. Le rendu graphique, avec ce calque proprement hideux ou l’absence des ajouts du remaster PSP, entre autres, rendent difficilement justifiable le prix de 60 euros réclamé. Et si sur le fond, Final Fantasy Tactics est encore aujourd’hui un monument, The Ivalice Chronicles n’en est pas à la hauteur.