Le petit jeu favori des fans de Final Fantasy est le même depuis le lancement de la série sur NES en 1987. On ne parle pas de course de chocobos, mais du « c’est quoi ton épisode préféré ? ». Les esthètes de l’ère PS1 iront de leur chiffre de 7 à 9, l’ère post FF10 a ses partisans, et les vieux dont la sagesse n’a d’égal que le nombre des années donneront un nombre allant de 4 à 6. Une roulette russe de la fantaisie finale, concours assez ridicule, avouons-le, puisque la surcouche de nostalgie affecte tellement les souvenirs des joueurs que même le pire des titres peut revêtir le manteau de trésor passéiste rallumant la flamme d’une jeunesse oubliée.
Aussi, à la lumière de la bougie de la nostalgie, il est difficile de porter un jugement éclairé sur un titre tel que ce Final Fantasy V Pixel Remaster, puisque Square Enix joue sur un triptyque mélancolique : un titre sorti sur Super NES en 1992, que seuls les vieux croutons plus sages ont pu connaître via les joies mêlées de souffrances de l’import à l’époque, une bonne couche de pixel-art, arme de séduction du hipster-gamer, et l’hameçon d’une traduction française longtemps réclamée. FFV Pixel Remaster est-il un pur plaisir BDSM vidéoludique ? Verdict avec une cravache à la main.
Tout va de mal en pixels
FFV n’est bien entendu pas la première entrée de la collection Pixel Remaster. Toute la clique FF de 1 à 4 est passée par cette moulinette, et ce bon vieux Numéro 6 (pas Patrick MacGoohan, l’autre) est déjà dans les tuyaux. Mais quid de cette collection ? Les visuels remaniés pour offrir un look 16 bits plus propre que sur son support SNES natif, avec moult petits détails supplémentaires qui rendent le tout plus agréable à l’œil moderne.
Si la métamorphose était flagrante pour FF1 à FF3, puisqu’ils basculaient de l’ère 8 bits à la 16 bits, pour FFV comme pour FFIV, l’amélioration est plus subtile. Quant à la tentative de revisite de ce cinquième opus pour une version mobile, avec des graphismes lissés et une direction artistique volontairement plus moderne, elle a été purement et simplement jetée aux oubliettes. Pourquoi faire du neuf avec du neuf, quand on peut faire de l’ancien avec du encore plus ancien ?
Si renouveau il y a pour FFVPR, il est à aller recherché non pas du côté plastique, mais plutôt de l’habillage sonore et de la qualité de vie globale. Disons-le sans détour : jamais la bande son de Uematsu Nobuo n’aura été aussi belle. Le nouvel arrangement orchestral est tout bonnement sublime, et rend enfin justice au travail du maître. Ses compositions transportent les joueurs, et on se surprend même parfois à arrêter de jouer pour simplement profiter des compositions grandioses, tantôt épiques et tantôt délicatement éthérées (impossible de ne pas avoir des frissons d’émotions à l’écoute de Lenna’s Theme).
Désormais usuelles, voire obligatoires dans le monde des résurrections de classiques du JRPG, les fonctionnalités de sauvegardes rapides, de sauvegardes dans le cloud et de batailles automatiques sont de la partie. L’interface utilisateur a également été repensée, pour offrir une expérience proche de celle de FFIV Pixel Remaster, avec un soupçon de FF7. De quoi faciliter la découverte par des nouveaux venus, et améliorer l’expérience ludique indéniablement.
Au Final, pour cent balles, t’as plus rien
Cependant, une fois l’emballage ouvert, que reste-t-il de ce Final Fantasy V Pixel Remaster ? Jetons de côté le blister post 2020, et décortiquons la carapace de ce énième Lazare de l’écurie Square Enix. Le cœur du jeu n’a pas changé d’un iota, et il accuse fortement le poids des années.
Contrairement à ses illustres cousins IV et VI, FFV n’a pas pour vocation d’emporter les joueurs dans une immense aventure épique, ou dans un voyage introspectif tragique. De plus, son casting n’est pas à la hauteur de celui des jeux précités (même si Lenna reste l’un des personnages les plus touchants de l’intégralité de la saga). Il s’agit d’un Final Fantasy bâti autour d’un système de jeu riche et complexe, extrêmement satisfaisant pour qui aime à construire des builds de personnages toujours plus pointus.
FFV offre en fait des héros presque interchangeables, véritable mise en abyme du système de job qu’il propose. Sans rentrer dans des détails de mécaniques, sachez que chaque personnage peut endosser un « Job » – mage, guerrier, voleur, danseur, etc. – qui lui octroiera certaines capacités particulières. Une fois cette capacité maîtrisée, elle est acquise pour de bon, et on peut alors opter pour un autre métier, pour une nouvelle compétence, et ainsi de suite, jusqu’à élaborer le build parfait.
Un système très versatile dont on retrouve l’héritage dans nombre de licences encore aujourd’hui, dont Yakuza: Like a Dragon ou Octopath Traveler. Petite révolution en 1992, il fait désormais partie du paysage JRPGesque, et difficile de se sentir surpris ou submergé par son inventivité trente ans plus tard. La lame FFV s’est donc émoussée avec le temps.
Et là où un FF6 rive la manette aux mains des joueurs, grâce à un scénario d’une densité et d’un inventivité folle, où un FF4 fascine par son casting de folie (Cecil Harvey, meilleur personnage, change my mind), FFV n’apporte comme motivation aux joueurs qu’une course à l’XP motivée par un scénario certes plaisant, mais convenu, sans surprises et avec un amer goût de déjà-vu. Alors, que reste-t-il à Final Fantasy V Pixel Remaster ? Son principal argument de vente sera sans nul doute sa version française intégrale, qui libérera des contraintes de la traduction les allergiques à Shakespeare. C’est un peu chiche pour un jeu vendu un peu plus de 15€, sachant qu’il était déjà aisé de jouer à FFV en émulation avec une VF aux petits oignons (et oui, l’émulation, c’est le Mal, vous connaissez la chanson). Et en dehors de ça ? Malheureusement, pas grand-chose.
En jouant à Final Fantasy V Pixel Remaster, impossible de ne pas se poser les questions fatidiques : « pourquoi ce remaster ? » et « à qui est-il destiné ? ». Eh bien, malgré nous, force est de constater que les réponses sont bassement terre à terre. Pourquoi ? Pour de l’argent facile, les poches des nostalgiques étant souvent des paniers percés (l’auteur de ces lignes s’inclut dans ce schéma dépensier). Pour qui ? On se le demande encore. Ceux qui connaissent déjà le jeu n’auront aucun intérêt à y retourner juste pour avoir un lifting des menus, ni pour bénéficier de features déjà usuelles dans le monde de l’émulation depuis des années.
Pour sauver ce remaster fainéant et sans surprise, il reste l’argument de la VF, qui peut tout à fait s’entendre, mais pousser à mettre la main à la poche juste pour un travail de traduction reviendrait vraiment à se faire du mal volontairement. Quand on vous parlait de plaisir sadomasochiste… Il ne reste plus qu’à écrire « FFVPR » sur la cravache qui frappe la main qui entre le code de la carte bleue pour que le tableau soit parfait.