Quand un jeu se paie le luxe de s’appeler Don’t Forget Me ou « ne m’oublie pas », dans la langue de Larusso, on a envie de lui répondre quelque chose comme : « ça dépend de toi, mon gros ! ». Autant dire que le jeu se met la pression tout seul. Surtout qu’ici, on a affaire à un véritable indé, réalisé par une toute petite équipe basée à Bordeaux.
Proposition minimaliste en termes de gameplay, le jeu a peut-être toutefois un peu plus à dire qu’il n’y paraît aux premiers abords.
(Test de Don’t Forget Me sur PC réalisé via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Souvenirs, Souvenirs
Don’t Forget Me commence alors que Bernard reçoit la visite de Fran, une étrange fille qui ne sait pas trop ce qu’elle fait là, ni pourquoi : elle est complètement amnésique. Diagnostique confirmé par un petit check up de Bernard, crâne en métal (littéralement) et moustache à la Lemmy Kilmister, justement spécialiste de la mémoire.
Ce dernier (Bernard, pas Lemmy) est un copiste, c’est-à-dire qu’il copie les souvenirs pour que ceux-ci puissent être archivés ou transmis par leur propriétaire (bien qu’on ne sache pas encore comment les lire…). C’est un peu absurde, mais surtout illégal. Jouer avec la puce mémorielle désormais implantée à chaque personne est en effet interdit. Rapidement, un groupe de rebelles viendra réclamer ses services. Un projet gouvernemental vise en effet à utiliser les puces mémorielles pour contrôler la population…
Total Recall
Un scénario très K. Dickien, donc, pour un jeu essentiellement narratif. On va passer une grande partie de l’aventure à suivre les dialogues. L’occasion aussi de chasser les multiples clins d’œil et autres références.
Côté gameplay, en accord avec la direction artistique en pixel art, on n’est pas très loin du point’n’click à l’ancienne. À l’écran, comme dans certaines phases de gameplay, on pense évidemment aux classiques de LucasArts (Day of the Tentacle, Monkey Island, entre autres). Le deuxième élément de gameplay va chercher encore plus loin dans la mémoire (justement…) des jeux vidéo, puisqu’il s’agit de taper des mots-clés pour avancer.
Notre mission sera de naviguer au milieu des souvenirs d’une personne, certains mots pouvant déclencher le souvenir et nous permettre d’en apprendre plus, pour trouver le mot-clé suivant, jusqu’à avoir une image très nette du souvenir en question.
On pense alors aux premiers point’n’click, où il fallait taper un verbe plus un nom pour faire interagir le personnage (open door, take rope…). Le jeu fait même écho à plus loin que ça, à la fin des années 70, avant Mystery House, à l’époque où les jeux n’étaient que textuels. D’autant que dans Don’t Forget Me, ces phases où on cherche des mots-clés sont graphiquement très dépouillées, monochromes, sans quasiment d’illustrations.
Mnemonic
La « clinique » de Bernard, où on vient copier ses souvenirs, est, avant la grande conspiration qui constitue le cœur du scénario, prétexte à raconter quelques micro-histoires dans l’histoire. Une femme tient à oublier son enfant tragiquement disparu et nous demande d’effacer son souvenir. Mais son discours, pas très cohérent, nous met la puce à l’oreille, et nous voilà à enquêter dans ses souvenirs…
Un homme paniqué a été témoin d’une exécution par la mafia, et son seul espoir de s’en sortir vivant, c’est que son souvenir soit effacé… Des petites histoires et un principe assez plaisants, mais malheureusement en tout petit nombre dans le jeu. Trois ou quatre nouvelles supplémentaires n’auraient pas été de trop.
D’autant que le jeu est court. L’histoire principale se boucle en deux petites heures à peine. Ce sera les deux reproches qu’on peut lui faire : un gameplay finalement un peu limité, et une durée de vie bien trop courte, surtout au regard du prix demandé.
Ah ! J’allais oublier…
Cependant, une fois l’aventure bouclée, le jeu reste un peu dans la tête (pour un titre qui parle de mémoire, c’est une réussite !), et on se demande à quoi exactement on vient de jouer.
Un jeu qui parle de mémoire et d’oubli, qui cite ouvertement les classiques du patrimoine vidéoludique, et qui met en scène, finalement, le jeu vidéo façon mise en abîme. Car pour aller explorer les souvenirs des patients, l’héroïne s’équipe d’un casque qui évoquera assez directement les casque VR d’aujourd’hui. Ainsi, on « rentre » dans le point’n’click par l’intermédiaire de cet appareil de jeu vidéo…
Et le jeu sort justement à une époque où le débat fait rage autour de la préservation de ce patrimoine. Un débat attisé par les annonces de Sony de fermer ses boutiques numériques PS3, PSP et PS Vita, vouant des dizaines de jeux à la disparition. Sans compter les dernières révélations autour de la pile CMOS de la PlayStation 4, qui empêchera les jeux, y compris en édition physique, de fonctionner sur une console offline une fois cette pile usée. C’est-à-dire que lorsque Sony débranchera, dans cinq ou dix ans, les serveurs PS4, nos jeux, y compris nos disques physiques, seront inutilisables.
Est-ce à cela que Bernard fait implicitement référence, quand il ironise sur le fait qu’on peut, dans le jeu, effectuer des copies de nos souvenirs, mais qu’on n’est pas capable de les relire ? Volontaire ou non, la référence tombe à pic tant les clés USB de souvenirs illisibles dans Don’t Forget Me annoncent ce que seront nos collections de jeux PlayStation dans quelques mois…
Phillip K. Dick aurait tout à fait pu écrire Don’t Forget Me. Ce jeu sur les souvenirs, le flou qui entoure jusqu’à la conclusion Fran, le personnage principal, et le complot mondial qui couve sont autant de thématiques qu’on retrouve chez l’écrivain. Ce qui est déjà un beau compliment ! Alors certes, le gameplay est plutôt limité, et l’aventure beaucoup trop courte. Cependant, on préférera une expérience courte mais réussie à un jeu qui traîne en longueur simplement pour s’ajouter quelques dizaines de minutes de durée de vie, et surtout, le jeu réussit à traiter tout en finesse le thème hyper actuel de la mémoire du jeu vidéo.
Reste à savoir si vous êtes prêt à dépenser le prix réclamé (15€) pour deux heures de jeu. Mais après tout, c’est le prix d’une bande dessinée, qui se lit en bien moins de deux heures…