Le facteur d’attente, de hype, autour d’une œuvre est sûrement l’un des éléments majeurs et déterminants dans l’appréciation de ladite œuvre. Ainsi, une œuvre dont on attend beaucoup est statistiquement plus susceptible de décevoir, lorsqu’à l’inverse une œuvre dont on n’attend rien le sera nettement moins. Maintenant que ce simple concept a été rappelé à l’esprit de tous, on va pouvoir se remémorer la présentation de Disintegration et à quel niveau se situait l’attente concernant sa sortie.
C’est dans la chaleur de la Gamescom 2019 que Private Division, éditeur du titre, révèle le titre aux yeux de tous. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait su séduire le public. Il est annoncé qu’il sera le premier jeu du fraîchement créé studio V1 Interactive, un studio indépendant fondé par nul autre que le co-créateur de Halo, Marcus Letho. La première salve était tirée et l’attention des joueurs était désormais tournée vers le futur jeu.
Mais ce seront les premières images révélant un FPS agrémenté d’éléments de stratégie, se déroulant dans un univers de science-fiction, qui transformeront une simple curiosité en une attente affirmée. Et si en plus visuellement Disintegration rappelle fortement un certain Destiny, il n’est pas difficile d’imaginer que le jeu a généré une certaine attente. Inconsciemment ou non, on attendait qu’il suive les illustres traces de Halo et de Destiny, tout en apportant de la nouveauté via son côté stratégie. Disintegration est désormais sorti et l’on se demande s’il est à la hauteur de telles attentes. C’est ce que l’on va voir à travers ce test.
(Test de Disintegration réalisé sur PlayStation 4 à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Hormis son gameplay atypique mélangeant jeu de tir à la première personne et jeu de stratégie, c’est aussi son pitch appétissant qui a su séduire lors de sa présentation.
L’histoire prend place sur Terre, 150 ans dans le futur. Un futur bien triste où l’humanité, après avoir fait face à de nombreuses guerres, famines et pandémies, n’a d’autre choix que de se tourner vers une opération révolutionnaire pour espérer survivre, l’intégration. Un procédé permettant de transférer un cerveau humain dans un corps mécanique, répondant aux problématiques liées à la faim, aux maladies et aux affrontements. Une solution supposée être temporaire qui, hélas, s’éternisera avec l’ascension d’une force militante armée qui y voit une opportunité pour l’humanité de s’élever au-delà de son statut naturel d’êtres de chair et de sang.
Rayonne, car tel est son nom, va peu à peu devenir la puissance dominante sur Terre et ne considérera plus nécessaire d’avoir l’autorisation d’une personne pour l’intégrer et la faire rejoindre son armée implacable. Face à ce régime de terreur va se dresser une résistance faite d’intégrés et des derniers humains naturels. Et c’est cette résistance que Romer Soahl, un ancien pilote de gravcycle (une moto/planeur) reconnu, va rejoindre pour faire face à Rayonne et stopper leur prise de contrôle de la Terre.
Un scénario qui, bien que manquant d’originalité dans son concept, permet d’explorer des sujets phares de la science-fiction comme le transhumanisme, et faire s’affronter deux visions sur l’avenir de l’humanité. Mais hélas, le scénario n’est ici qu’une vague toile de fond servant à justifier les missions du jeu. Le transhumanisme n’est absolument pas abordé et l’on se retrouve face à un simple conflit manichéen du type méchant empire contre gentils rebelles. Même le concept de désintégration, qui donne son nom au jeu, est à peine évoqué lors des dialogues.
Une occasion loupée de raconter une histoire de science-fiction aux thèmes profonds et amenant à la réflexion. Au final, une idée de base prometteuse, mais qui n’a pas eu le développement qu’elle mérite, qui aboutit à un résultat sans saveur. Hélas, un leitmotiv qui reviendra sur d’autres aspects du titre.
Après, malgré la tournure très classique que prend le scénario, ce dernier peut rester agréable à suivre, à condition de posséder des personnages forts aux prises avec des situations tout aussi fortes. Disintegration échoue ici aussi. Les personnages, que ce soit Romer Soahl, contrôlé par le joueur, ou les différents hors-la-loi, membres de notre escouade, tous incarnent un archétype de personnage vu et revu.
Quant aux péripéties qu’ils devront endurer, rien de significatif ou d’exaltant ne viendra rythmer les douze missions de la campagne. Néanmoins, la campagne n’est pas pour autant désagréable à parcourir et il est dommage que les personnages n’aient pas bénéficié d’une écriture plus poussée, tant personnellement que dans leur interaction entre eux. Interactions se limitant à des échanges répétitifs in-game et quelques dialogues enregistrés dans le HUB. Au final, il faut avouer que cela fait un peu tache face aux designs très cool créés par le lead-character artist, Scott Sheperd.
Mais alors, si l’histoire et les personnages ne sont qu’un prétexte pour enchaîner les missions et apprécier le gameplay du jeu, c’est sûrement de ce côté-là qu’il faut regarder.
Comme évoqué précédemment, la campagne solo se découpe en douze missions entrecoupées d’un passage dans un HUB. Ce fameux HUB sera d’ailleurs la seule occasion d’y contrôler Romer Soahl à la troisième personne (Destiny ? C’est toi ?). En plus de la possibilité, citée plus haut, de lancer des petits dialogues avec ses compagnons, le HUB octroie la possibilité de lancer les missions, de récupérer des défis annexes à accomplir et surtout d’accéder à l’interface permettant d’améliorer ses personnages. L’on reviendra en temps voulu sur ces aspects du jeu, car il est temps de lancer une mission et d’en découvrir le gameplay manette en mains.
Et c’est bien là le point le plus mis en avant lors de la promotion du jeu, son gameplay. D’abord, car si l’on contrôle Romer Soahl, on ne le contrôle pas à pied, mais au commande d’un gavcycle, un engin volant, enfant bâtard d’une moto et d’un planeur, le tout surarmé. Le joueur, à travers Romer, contrôlera plusieurs gravcycles au cours de la campagne qui, bien que différents, restent sur le même modèle, c’est-à-dire un véhicule possédant une arme principale pour les dégâts, une arme secondaire pour soigner ses compagnons, un boost et basta. La différence viendra des multiples armes alliées aux différents gravcycles.
Entre ensuite la partie STR du gameplay. En effet, Romer ne sera pas seul dans ses missions et pourra compter sur un à quatre acolytes pour l’accompagner. Ceux-ci sont contrôlés majoritairement par l’IA, à quelques exceptions près. Il est possible de leur indiquer un endroit où se rendre, cibler un ennemi en particulier, interagir avec les éléments au sol (il est impossible de descendre du gravcycle) et utiliser l’unique compétence liée à chaque personnage (une zone de ralentissement, un tir de missiles et une grenade incapacitante).
Et il faut avouer qu’une fois tout ça pris en main, c’est assez agréable et fun. Le gravcycle se pilote bien et il est plaisant de gérer son escouade depuis les airs. Escouade assez autonome pour ne pas avoir à être son baby-sitter. Ce qui est nécessaire tant les affrontements sont au final tournés vers l’action. Eh oui, malgré une dimension tactique, l’action prend le dessus lors des rencontres avec les forces de Rayonne. Néanmoins, l’utilisation de son escouade est plus que nécessaire. C’est que les ennemis sont résistants, précis et frappent fort. Et notre gravcycle, lui, n’est pas loin d’être fait en papier mâché. Toutefois, en ciblant les quelques ennemis réellement dangereux et en utilisant à bon escient les compétences de nos compagnons, l’on viendra facilement à bout de toutes les unités terrestres.
Laissant les unités aériennes, comme les gravcycles ennemis, être les seules véritables menaces du jeu. Ces unités aériennes se déplacent de manière extrêmement chaotique et font très mal. Autant dire que lorsqu’elles rentrent en jeu, il devient difficile de gérer à la fois son combat et son escouade. Heureusement, il sera possible de se soigner en activant des caisses de nanites. Caisses que l’on se mettra à chercher tel un junkie en manque tant l’on perd rapidement de la vie (surtout dans les modes de difficulté élevée). En plus des caisses de nanites, l’on enverra notre escouade ouvrir différents containers pour y dénicher les débris et puces nécessaires à la progression des personnages une fois de retour au HUB.
Ainsi donc, chaque mission est un enchaînement en ligne droite d’affrontements avec les troupes de Rayonne et de récolte de débris. Une fois l’objectif, toujours très basique (tenir une zone face à des vagues d’ennemis ou désactiver un machin), effectué, c’est retour au HUB. Là, on améliore ses personnages, on active les prochains défis et nouveaux dialogues insipides, puis on est reparti pour un tour. Et c’est bien là le problème.
Vous vous rappelez, l’on parlait d’un leitmotiv du jeu à faire preuve d’idées intéressantes, mais manquant de développement ? Eh bien, ça y est, on y est (à nouveau). En effet, tous les éléments cités plus haut constituent la quasi entièreté de ce que Disintegration a à offrir en termes de gameplay, entraînant rapidement une répétitivité qui fera en décrocher plus d’un. Certes, le jeu tentera de varier l’expérience de jeu en isolant Romer du reste de son équipe pour mettre en avant le gameplay du gravcycle seul. Malheureusement, l’on se retrouvera face à des ennemis calibrés pour être affrontés en étant accompagné d’une escouade, ce qui rend la tâche juste pénible.
Car rappelons encore une fois que le moindre péon est un véritable Hitman et que l’on pilote ce qui semble être parfois un avion en papier.
Au final, la partie stratégie, bien que présentée comme le point fort du jeu, reste extrêmement limitée. L’on aurait aimé pouvoir contrôler chaque membre de l’escouade individuellement, et il aurait été agréable de pouvoir choisir entre plusieurs compétences par personnage. Mais la personnalisation dans Disintegration est quasi inexistante. D’abord au niveau de l’amélioration de nos personnages, on se contente de ramasser des débris pendant les missions, qui sont ensuite transformés automatiquement en expérience, débloquant une amélioration à chaque nouveau niveau.
On se contente ensuite de dépenser les puces, également récoltées au cours des missions, pour activer ladite amélioration (plus de vie, plus de force, recharge accélérée de la compétence.., etc.). Peut-être encore plus frustrant, l’on ne choisit ni le gravcycle que Romer pilotera, ni quels seront les membres de l’escouade. Tout cela est imposé, sûrement pour forcer les joueurs à tout tester (ça commence à sentir la campagne tutorielle pour le multi).
Si un semblant de système d’amélioration est mis en place, il n’y a rien du tout concernant la personnalisation esthétique. Les fans de tuning peuvent donc déjà passer leur chemin. Plus sérieusement, c’est vraiment dommage que l’on ne puisse que changer la couleur du gravcycle. Il aurait été génial d’avoir accès à un garage dans le HUB pour passer des heures à pimper ses véhicules et personnages. Hélas, cette idée ne prendra vie que dans l’imaginaire des joueurs déçus.
Cette campagne aurait donc au final un faux air de tutoriel pour le mode multijoueur. Peut-être que le salut du titre de V1 Interactive y réside ? Surtout que c’étaient des phases de multi qui avaient été montrées à la Gamescom 2019 en guise de révélation du titre.
Ce mode multijoueur se découpe donc en trois modes, somme toute classiques, mais néanmoins divertissants : « Contrôle de zone » qui demandera de capturer des points sur la carte, « Collectionneur » où l’on affronte des vagues d’ennemis pour récupérer leur cerveau, et enfin « Récupération » qui est le mode capture de drapeaux, ici remplacés par des cœurs nucléaires. Quel que soit le mode sélectionné, l’on choisit toujours parmi neuf escouades déjà composées possédant chacune leurs forces et faiblesses.
Ces joutes en 5vs5 restent plaisantes sans être transcendantes et ne justifient certainement pas l’achat du jeu pour elles seules. Car s’il propose de choisir son équipe et un chouillat de personnalisation, ce multijoueur apporte également de nouveaux problèmes. Les cartes plus petites et exiguës, dans le but de créer l’affrontement, se prêtent au final très mal au pilotage du gravcycle. Un multijoueur à l’image du solo, sympathique, mais pas transcendant.
Enfin, on peut terminer en évoquant la partie visuelle du titre. Donnant d’entrée de jeu une grosse vibe Destiny, les visuels de Disintegration représentent un point fort de celui-ci, que ce soit le design des personnages, déjà évoqué, ou la variété des environnements (bien que pas très originaux). De la campagne bordée de forêts à la mégalopole abandonnée en passant par des montagnes enneigées et des décharges post-apo, on voyage. Sur le plan technique, surtout si on le compare à Destiny ou Halo, on ressent néanmoins un certain retard.
Alors là, pour le coup, on ne peut ignorer que Disintegration a été développé par V1 Interactive qui, bien que fondé par le papa du Masterchief, n’est pas un studio AAA.
Et c’est peut-être là le nœud du problème autour du jeu tout entier. Une équipe d’une trentaine de personnes ne peut pas effectuer autant qu’une armada de 200 personnes. Mais pourtant, des studios plus petits encore accouchent de véritable chefs-d’œuvre, complets et originaux. Mais ces petits studios ne tentent pas, eux, de proposer un jeu à l’ampleur des plus grosses productions, tout en essayant d’apporter de la nouveauté.
Mais alors, peut-on reprocher à V1 Interactive de s’être lancé sur ce terrain difficile dès leur premier essai ? Ne faudrait-il pas supporter un tel projet malgré ses défauts pour espérer les voir faire mieux la prochaine fois ? Et il est clair que le nom d’une personnalité du milieu comme Marcus Letho, bien qu’il n’assure en rien la réussite du titre, créera des attentes qui risquent à l’arrivée de desservir le jeu.
En résumé, Disintegration a du mal à convaincre sans pour autant être une purge. La prise en main est agréable et l’on prend vite du plaisir à jongler avec ce double gameplay FPS/STR. Malheureusement, ce gameplay hybride engendre peu de développement et reste basique dans chacun de ses deux styles. On ne cessera de se retrouver face à des idées aux bases solides, mais qui auraient mérité d’être plus approfondies.
Souffrant également d’une répétitivité arrivant très tôt, d’un manque absolu de personnalisation comme de temps forts sur le plan scénaristique, la campagne solo se laisse faire puis s’oublie. L’on trouvera un peu de réconfort dans ses modes multijoueurs sans y passer des nuits blanches. Et malgré les efforts indéniables de l’équipe de V1 Interactive, il est difficile de recommander l’achat du jeu au prix fort.