Alors qu’il y avait eu une pause d’une demi-décennie entre le cinquième et le décevant sixième épisode, Nippon Ichi Software n’a cette fois-ci attendu que deux petites années pour nous proposer son Disgaea 7: Vows of the Virtueless. Paru en début d’année au pays du Soleil-Levant, cette nouvelle itération de la saga phare de l’éditeur vient de nous parvenir sur consoles PlayStation, Switch et PC.
Une accélération de production qui se constate également par son actualité frénétique ces derniers mois, avec un grand nombre de sorties, tantôt à l’édition, comme pour Monochrome Mobius le mois dernier, tantôt au développement, nous faisant notamment revivre, via les compilations Prinny Presents, les origines d’une saga de T-RPG d’exception. De quoi observer l’évolution et les multiples implémentations à la franchise à travers le temps. Mais n’est-ce pas finalement trop ? Disgaea 7 se conforme-t-il à la maxime voulant que le plus soit l’ennemi du mieux ou est-ce l’opulence de son contenu qui en fait sa force ?
(Test de Disgaea 7: Vows of the Virtueless réalisée sur PS5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Casimir au pays des démons
On se souvient avec nostalgie de nos premiers émois auprès des Disgaea au début des années 2000, et depuis lors nous sommes restés épris de cet univers complètement dingue et de son incroyable galerie de personnages. Etna, Laharl ou Zetta, tant de noms qui évoquent des souvenirs impérissables (et que dire des Prinny, ces pingouins aux expressions désopilantes, dude) et qui n’ont plus vraiment trouvé d’équivalents au fil des épisodes, à l’exception peut-être d’un Valvatorez dans le quatrième opus.
Et malheureusement, cette septième partition ne fera pas exception. Bien sûr, dans la constellation Disgaea, il est compliqué pour un caractère de se faire une véritable place dans le cœur des joueurs et bien que Fuji et Pirilika forment un duo dont les péripéties restent agréables à suivre, ils n’ont pas ce petit truc en plus d’originalité, de charisme ou de folie, qui leur aurait permis d’atteindre un autre sommet.
En effet, leur caractère et surtout leurs évolutions nous sont apparues comme bien trop plats. Il y a de chouettes choses proposées pourtant, entre Fuji, un samouraï ayant rejeté les règles du bushido, allergique aux bons sentiments et obsédé par l’argent, et Pirilika, fille d’un gros bonnet de l’industrie, otaku naïve voulant rétablir les règles du bushido en Hinomoto (l’univers démoniaque du jeu). Mais finalement, l’intrigue de Disgaea 7 tourne sans cesse en rond et ne tient que par son humour.
On pourrait même aller plus loin et dire que c’est le multivers Disgaea qui s’enferme dans une boucle sans fin, où on découvre finalement plus ou moins systématiquement le même genre de personnalité. Des démons pas si démoniaques, des bons sentiments dissimulés sous une fausse méchanceté, nous avons presque globalement affaire à un monde de monstres gentils (oui, c’est un paradis), ce qui démythifie en quelque sorte notre vision des êtres infernaux que nous sommes censés incarner.
Chaque chapitre est le théâtre d’une même problématique enrobée plus ou moins différemment. On arrive dans un endroit pour dépouiller de son arme légendaire (et accessoirement lui faire sa fête) un des généraux du grand méchant à l’origine du déclin du bushido. Nous déjouons alors ses pièges à coups de poings, lui réglons son compte plus ou moins directement et le prochain méchant est introduit avant un nouveau chapitre sur le même modèle.
Ce qui fait surtout l’originalité de l’histoire, et son attrait principal, c’est l’humour qui se dégage de chaque dialogue, de chaque scène de Disgaea 7. Il y a une véritable expertise du côté de chez NiS pour nous proposer des situations complètement absurdes et souvent très drôles. Combien de fois n’avons-nous pas ri devant les saynettes présentant le scénario suivant ou en découvrant des dialogues particulièrement percutants et tellement actuels (quel plaisir d’aller casser les mâchoires de vilains démons scalpeurs par exemple) ? Un excellent titre « feel-good » qui pourra redonner le sourire aux plus renfrognés d’entre nous.
Mention spéciale d’ailleurs à la localisation qui nous est offerte ici, avec de nombreuses expressions bien de chez nous qui arrivent à faire mouche. C’est maintenant devenu une habitude, bon nombre de RPG japonais disposent d’une traduction et c’est un plaisir d’avoir pu découvrir ce Disgaea 7 dans la langue de Ribéry (quelques fautes d’orthographes incluses ici ou là, mais rien de bien méchant).
Bigger, Bader, Better ?
S’il y a bien un mot qui sied parfaitement à Disgaea, c’est la démesure, et ce depuis ses débuts. Imaginez donc, des dizaines de classes de personnages pouvant atteindre le pharamineux niveau 9 999, des milliers d’objets disposant eux aussi d’une centaine de niveaux à accumuler, les réincarnations de personnages et d’objets, leur permettant de retomber au niveau 1 en conservant une partie des statistiques déjà obtenues, des batailles asynchrones en ligne, du contenu post-game à tire-larigot, il n’y a pas de quoi s’ennuyer avec cette saga.
Et sur ce point, Disgaea 7 fait honneur à son héritage en proposant une formule toujours aussi efficace et gargantuesquement additive. Un peu comme pour un Diablo ou un Monster Hunter (avec des enjeux différents bien sûr), l’aventure ne débute réellement qu’une fois l’intrigue principale bouclée, avec un épilogue qui se révèle tout aussi massif que pour les précédents titres, et, comme à l’accoutumée, des batailles plus relevées qui nécessitent une optimisation bien plus avancée.
Une sorte de tutoriel géant, donc, indispensable pour nous apprendre les innombrables mécaniques de jeu. Les habituelles sont toujours présentes, évidemment, avec la possibilité de lancer ses personnages pour se déplacer plus rapidement, les attaques combinées ou les fusions d’ennemis par exemple. Ainsi, un habitué de la licence ne sera pas dépaysé par la proposition. Un néophyte, en revanche, se sentira probablement écrasé par le buffet ludique face à lui, ne sachant pas vraiment où donner de la tête.
En effet, et même si les différents tutoriels sont plutôt bien faits, Disgaea 7 dispose de tellement de possibilités à appréhender en une poignée d’heures qu’un joueur moins expérimenté risque de vite passer à autre chose, assommé par tant de complexité en si peu de temps. Surtout que les premiers chapitres ne sont pas si simples à surmonter (et notamment le second) si on ne comprend pas comment le jeu doit être joué. Il y a un vrai effort à faire de ce côté-là pour la licence afin de réussir à proposer une courbe d’apprentissage plus souple, et surtout moins intimidante.
D’autant que, comme pour chaque épisode, Disgaea 7 ajoute ses propres nouvelles fonctionnalités, avec ici la possibilité d’utiliser le mode Megamax. Celui-ci permet, une fois atteint un seuil de dégâts infligés ou reçus, de décupler la taille de l’une de nos unités qui se placera alors sur un côté de l’arène et pourra infliger d’énormes dégâts sur une zone étendue pendant quelques tours. Une technique que pourront aussi employer nos adversaires, offrant littéralement une autre dimension à certains affrontements.
Force est de constater que malheureusement, cette nouveauté ne nous a pas convaincus. Offrant un avantage ou désavantage bien trop décisif pour être vraiment intéressante, elle s’avère finalement ne pas être très amusante à employer ou subir. Ce n’est pas la première fois que les développeurs de NiS tentent d’ajouter un système d’unités géantes à leur titre, mais il faut bien admettre que, pour le moment, ils n’ont pas réussi à trouver la bonne manière de les implémenter efficacement.
Et finalement, Disgaea 7 tombe dans le même travers que ses ainés, même s’il relève un tantinet la barre comparé au dernier épisode, assez raté tant en termes de fond de jeu que de personnages. Il faut toujours en proposer plus, encore plus, toujours plus, et, fatalement, toujours trop. On en a le tournis tant on ne sait plus où donner de la tête.
Alors plutôt que de vouloir en ajouter encore et encore, il aurait peut-être été plus pertinent de se concentrer sur ce qui fonctionne déjà bien, comme l’Item World ou le conseil infernal (une assemblée où des députés PNJ votent l’attribution d’améliorations et d’ajouts, quitte à ce qu’on emploie le 49.3 la force ou la corruption pour obtenir ce que l’on veut) et de les améliorer ou moderniser, et ainsi éventuellement les rendre plus intéressants, manette en main.
Soyons très clairs, Disgaea 7: Vows of the Virtueless est un excellent jeu et probablement le meilleur Disgaea depuis le quatrième opus. Les mécaniques historiques de la saga sont toujours là et demeurent encore efficaces et addictives, à tel point que nous n’avons pas compté les heures en parcourant le monde des objets et en pratiquant la réincarnation de manière presque industrielle. Et pour ne rien gâcher, le titre est esthétiquement et artistiquement très réussi, proposant des illustrations particulièrement fines et soignées.
Pour autant, si nous avons affaire à un très bon cru, c’est hélas un cru que nous avions déjà goûté des années auparavant et qui ne diffère finalement de ses ainés que par sa galerie de personnage et son univers. Le fan invétéré de la saga de NiS y trouvera donc probablement son compte et pourra y engloutir des dizaines voire centaines d’heures à optimiser ses unités jusque dans les moindres détails, quoiqu’il devra compter avec un mode Megamax peu convaincant.
Pour le commun des mortels, il ne restera hélas qu’un T-RPG attirant grâce à son univers extrêmement accrocheur et bigrement drôle. Mais il sera également totalement intimidant voire repoussant pour le nouveau venu qui succombera devant le nombre et la complexité des mécaniques qui lui seront imposées très (trop) rapidement.
Disgaea 7: Vows of the Virtueless est un titre élitiste qui ne s’adresse presque exclusivement qu’à sa niche alors qu’il aurait tellement gagné à mieux s’ouvrir aux autres.