C’est avec une certaine nostalgie que nous avons abordé ce Digimon Survive, annoncé par Bandai Namco en 2018 (déjà !). Là où Pokémon sera devenu la machine à succès que l’on connaît, dont la neuvième génération sera bientôt disponible, Digimon n’a pas à rougir en termes de nombre de jeux sortis. Sans entrer dans une comparaison exhaustive entre les deux sagas, Digimon aura su se distinguer par son ton plus adulte, et son univers conçu autour des « monstres » plutôt qu’autour des humains.
Digimon Survive est sorti cet été, avec un an de retard sur la date initialement prévue, alors pourquoi bouder son plaisir ? Même sans être un fan assidu de la saga, le refrain toxique de la première série animée s’impose dans les esprits à chaque fois que le mot Digimon apparaît. Un souvenir inoubliable, sans que ce soit volontaire, à l’image de l’effet que le jeu aura eu sur nous. Petit monstre… Tu es si loin des champions.
(Test de Digimon Survive sur PS4 réalisée à partir d’une version fournie par l’éditeur)
The Walking Deademon
Le jeu raconte, ô surprise, la disparition d’un groupe d’adolescents dans un monde similaire au leur, tout du moins au premier abord. Lors d’une randonnée scolaire, ils se séparent du reste de leur classe pour aller découvrir un mystérieux sanctuaire abandonné, que les légendes présentent comme un ancien lieu de sacrifices d’enfants.
Avec une pareille introduction, il aurait été tellement original et appréciable de voir la licence s’enfoncer dans de la série B, mais malheureusement, Digimon Survive ne prend pas ce parti. Au contraire, le jeu essaie de rester sérieux, abordant des sujets pertinents pour l’âge des protagonistes (la disparition/mort, la difficulté à trouver sa place dans le monde, l’importance d’apprendre à communiquer malgré nos différences, etc.), mais perd les joueurs dans de longs dialogues creux, redondants, voire stupides par moment.
Avec des personnages tenant du cliché, dont la mort de certains n’émeut en rien tant ils étaient horripilants, le jeu rate aussi la justesse de ses portraits adolescents, une matière si riche, mais bien volatile. Et c’est probablement là le plus grand défaut du jeu : gâcher ses protagonistes, alors qu’ils sont le cœur même du propos.
Digimon Survive pâtit aussi de sa direction artistique. Le jeu est avant tout un visual novel, comme le précisait le producteur Kazumasa Habu en février dernier, entrecoupé de phases de combats tenant du tactical-RPG. Malheureusement, après autant d’années de développements, il est impossible de justifier un style graphique aussi pauvre, et une animation inexistante (en dehors de très rares cinématiques), poussant le vice jusqu’à nous laisser imaginer des actions et des éléments du décor en les décrivant simplement à l’écrit sur un écran noir. À ce moment-là, autant nous proposer un livre/manga dont nous sommes le héros.
Le jeu ne sera pas non plus sauvé par sa musique. Hormis son thème principal, plutôt appréciable, les boucles sonores sont mal conçues et vite agaçantes. Ainsi, à chaque fois que vous passerez d’un endroit à un autre (chose fréquente dans certains moments narratifs), la musique changera sans transition, et reprendra depuis le début. Rien de pire pour casser l’homogénéité d’un récit ne brillant pas par sa narration.
Retour vers le Crétacé narratif vidéoludique
Le choix de faire de Digimon Survive un visual novel aurait été pertinent si le genre avait pu apporter un air frais à la saga, ou si la qualité du récit avait été satisfaisante. Tristement, non seulement le traitement des personnages est raté, comme nous le disions plus tôt, mais le fond l’est tout autant. Le thème de la métamorphose peut être réinterprété de bien des façons, mais avec une histoire qui reste superficielle, le jeu n’y parvient pas. La rengaine des évolutions issues des émotions n’a pas été modifiée depuis les débuts de la série, et on s’en lasse.
L’aspect tactical-RPG est bien trop léger pour enrichir d’une quelconque façon le jeu, avec une difficulté appropriée à son public cible : des enfants de maternelle, bien en deçà de son PEGI 12. Digimon Survive emprunte pourtant ses différentes mécaniques aux cadors du genre : des zones d’attaque différentes en fonction de l’action, un relief variable du terrain impactant les mouvements des personnages, une barre précisant l’ordre des actions du tour, etc. Le problème ne vient pas de celles-ci à proprement parler, mais de leur intérêt. Vous déterminerez rapidement les membres les plus mobiles et puissants de votre équipe, et pourrez vous appuyer uniquement sur eux.
Dès lors, les combats se retrouvent dénués d’intérêt, en dehors de ceux contre les boss, tant le déséquilibre de force devient aberrant.
Heureusement, les développeurs ont pensé à automatiser le jeu, dans ses combats comme dans ses dialogues. Dès lors, il est bien plus agréable de progresser dans l’histoire pour parvenir à l’une de ses quatre fins (selon vos réponses à certains moments du jeu), dont la dernière nécessitera forcément une partie en New Game Plus. Toutefois, on ne peut s’empêcher de se demander qui aura la volonté de se lancer dans une telle entreprise, quand finir le jeu une fois se sera déjà avéré bien trop long.
Digimon Survive était un pari risqué, et malheureusement raté, auquel nous n’aurons pas survécu. La décision d’en faire un visual novel aurait été pertinente si l’esthétique et la qualité de la narration avaient suivi, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Dépeignant des adolescents clichés, frôlant la stupidité par moment, l’histoire s’enlise dans un marasme de lenteur et de stéréotypes rendant le récit ennuyant.
Le jeu lorgne également sur le tactical-RPG, mais le déséquilibre de forces entre les différents membres de votre équipe vous amènera très vite à préférer certains monstres, au détriment de la variété et de l’intérêt des combats. Un constat bien triste, pour une licence ayant pourtant de quoi se renouveler tant sa matière est riche.