Un studio ne se compose pas forcément d’une ou plusieurs grosses équipes et peut parfois même ne l’être que d’un seul individu. Et c’est presque le cas pour Acid Nerve, entité qui ne regroupe que deux développeurs et fondateurs en les personnes de Mark Foster et David Fenn, dont il fallait remonter six ans en arrière pour trouver le premier et seul véritable fait d’armes. En 2015 sortait en effet Titan Souls, un boss rush/Zelda-like réussi et exigeant qui marqua critiques et joueurs de par ses nombreuses qualités, et même s’il n’était pas dénué de menus défauts, c’était de bon augure pour la suite.
Et la suite n’est autre qu’un jeu d’action-aventure aux forts accents de boss rush (une nouvelle fois) nommé Death’s Door. Un titre certes développé par Acid Nerve, mais avec la participation active d’autres pointures externes au studio comme l’artiste Fritz Olsen ou encore Graham Goring pour tout ce qui a trait à la narration. En tout et pour tout, ce ne sont pas moins de sept âmes différentes qui ont œuvré à l’élaboration du jeu (sans compter Justin Chan qui a réalisé les artworks promotionnels) et au vu du résultat, autant dire que c’est un véritable exploit tant il aura su nous convaincre dans quasiment tout ce qu’il propose.
(Test de Death’s Door réalisée sur PC grâce à une version fournie par l’éditeur)
En lançant pour la première fois Death’s Door, on ne s’attendait pas à prendre une telle claque dans la tronche et voir quelques-unes de nos dents voler en éclats. On y incarne un jeune et fougueux corbeau qui débute en tant que faucheur au service de la Mort. Son rôle consiste à guider l’âme des défunts dans l’au-delà pour que le cycle de la vie suive son cours. Mais voilà, alors que nous partions confiants pour notre première mission, cette dernière ne connut pas la finalité espérée et l’âme que nous devions faucher nous a été dérobée sans que nous ne puissions rien y faire.
Direction le Siège de la Commission des Faucheurs qui nous intime l’ordre de la retrouver et de la récupérer par la même occasion, histoire que notre périple ne s’arrête pas en si bon chemin, ce qui serait dommage… Il nous faudra alors venir en aide à un vieux corbeau qui nous apprend que l’âme que nous recherchons se trouve derrière la porte de la Mort, dont la serrure ne s’ouvre qu’après s’être nourrie de trois âmes puissantes qu’il nous faudra faucher.
Maître corbeau, prêt à faucher
Death’s Door tente la carte de l’originalité et s’il n’est pas le Grim Fandango du jeu d’aventure-action, il n’en demeure pas moins une fable vraiment drôle et plus profonde qu’il n’y paraît, brassant au passage quelques thématiques fortes et sérieuses liées à la mort et à l’obsession. L’écriture est sans conteste l’une de ses forces premières, on nous propose ici de découvrir une galerie de personnages hauts en couleur ayant tous des personnalités bien marquées et servant le récit d’une manière ou d’une autre. Jamais le ton décalé ne nous a dérangés, bien au contraire, cette fresque épique et savoureusement mise en scène, à l’humour « so british », nous a totalement conquis et on s’est même pris d’affection pour cet univers si atypique et pourtant si familier.
Familier, parce que la direction artistique n’est pas sans rappeler celle que l’on peut voir dans les animes issus des studios Ghibli. La ressemblance étant parfois même assez troublante, nous avions alors peur que Death’s Door en perde toute identité et originalité. Rassurez-vous, il n’en est rien, le jeu ne fait que s’inspirer ou rendre hommage à nombre d’univers fantastiques et oniriques existants, sans jamais oublier de construire le sien. On pourrait citer aussi Tim Burton ou encore Lewis Caroll dont les auras planent sur l’œuvre, ou encore Dark Souls et surtout The Legend of Zelda pour ce qui est du jeu vidéo, mais nous y reviendrons.
Vous l’aurez compris, Death’s Door est une perle esthétique et artistique dépaysante. L’aventure permet de traverser une forêt mystique, un jardin magnifique, un manoir élégant, une forteresse montagneuse… Ou encore un Siège de la Commission des Faucheurs gris et froid, renvoyant à l’ennui et l’impersonnalité d’un tel lieu de travail. Du design des environnements, à ceux des créatures et personnages, en passant par la maestria de la bande originale, nous avons été pleinement séduits par la proposition d’Acid Nerve plus encore qu’avec Titan Souls. Le plaisir de la découverte et de l’exploration est là, et cela faisait longtemps que cela ne nous avait pas touchés à ce point.
Tenait en son bec une épée
Nous vous parlions d’inspiration et la plus marquée (et marquante) est sans aucun doute celle totalement assumée renvoyant à The Legend of Zelda. Car si Titan Souls était un pur boss rush, Death’s Door est bien différent. Son level design se divise en plusieurs régions à visiter pour rejoindre un donjon, où réside un boss à abattre pour récupérer son âme. Structure qui renvoie directement à la licence de Shigeru Miyamoto. Sauf qu’ici, on n’est pas véritablement dans un monde ouvert, tout est zoné et le Siège de la Commission des Faucheurs fait office de HUB central duquel on peut rejoindre chaque nouvelle partie du monde à découvrir.
Une différence notable qui s’écarte de l’esprit d’un Zelda, mais faire un copier-coller de tous les fondamentaux de ce dernier n’aurait aucun intérêt. La navigation entre les zones est moins contraignante et c’est tant mieux, car les allers-retours sont monnaie courante dès lors que vous souhaitez percer les très nombreux secrets que recèle chaque lieu.
Et il y en a, des autels pour améliorer sa vie, sa magie ou des objets cachés à trouver, et autres améliorations pour notre équipement et nos sorts, il y a franchement de quoi faire. Le backtracking est une des composantes principales de l’aventure, puisque chaque nouvelle région nous permet de débloquer un nouvel outil pour y évoluer et débloquer de nouveaux chemins dans d’anciennes déjà visitées. Qui a parlé de Metroidvania ?
Forcément pour se frayer une route dans les différents environnements, il va falloir en découdre avec à une ribambelle d’ennemis au cours d’affrontements en temps réel nerveux et exigeants, même si on est très loin de la difficulté d’un Titan Souls. Un large panel d’armes est à notre disposition : de l’épée classique au marteau en passant par le parapluie, les sorts de feu et bombes, ou encore un arc.
On touche peut-être ici le point qui nous a le moins plu. Car si le tout est dynamique et grisant, souvent bordélique, mais fluide, le bestiaire peine à se renouveler, et les surprises se font rares. Si on omet les boss, tous réussis, et la majestuosité du level design des différents lieux, on est resté un chouïa sur notre faim.
D’autant plus qu’interviennent parfois des soucis techniques, comme des collisions aléatoires et un manque de justesse dans le gameplay, car il n’est parfois pas évident d’esquiver lorsque l’on est pris d’assaut par d’innombrables créatures et que l’on ne voit plus grand-chose. Malgré cela, on ressort de l’expérience globale réellement satisfait, nous nous sommes beaucoup amusés, avons aimé résoudre des casse-têtes bien pensés et débloquer enfin le raccourci menant à la porte de respawn. Car quand on meurt, on retourne à la porte la plus proche et il faut tout se retaper… Dark Souls, es-tu là ?
Ceci dit, la difficulté est très bien dosée, le jeu propose un petit challenge qui nous mènera à une mort certaine quelques fois, mais n’est pas non plus un die and retry. Il s’agit d’une expérience qui demande de l’apprentissage, de l’observation et de la jugeote, à l’exemple des boss qui demandent de comprendre leurs patterns pour être vaincus. Tuer des ennemis est d’ailleurs essentiel pour monter nos stats, car il faut en récolter les « âmes » et les échanger auprès de l’intendant de la Direction, le Siège de la Commission des Faucheurs. Une mécanique déjà connue qui a fait ses preuves. Et c’est bien par un cocktail de choses déjà vues et d’autres non que Death’s Door tire son épingle du jeu et crée son propre écosystème.
Mais, car il y a toujours un mais, l’aventure bouclée laisse un léger sentiment d’inachevé, même en prenant en compte le end-game. Il existe, au-delà de la première fin, une vraie fin que l’on doit débloquer après avoir vaincu le boss final. Cet ending optionnel est une très bonne surprise en soi, surtout pour ce qu’il représente, mais le routing pour l’obtenir ne nous a pas passionnés, hormis lorsqu’il était question d’énigmes.
Il n’y a pas de nouveaux boss et ennemis à affronter, pas de nouvelle zone… Pas grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n’est du point de vue de la narration et de l’histoire. Dommage, car il y avait matière à faire mieux de ce côté-là, et on espère voir débarquer un NG+ (non, pas nous !) prochainement.
Death’s Door est la petite surprise de l’été, le parfait petit jeu sur lequel passer vingt heures et s’amuser sans jamais en avoir ras la casquette. C’est un joli hommage à The Legend of Zelda et une franche réussite artistique qui possède une identité forte. Son écriture atypique en fait un titre assez unique en son genre. Il s’inspire certes, mais jamais ne plagie, et peut même se targuer de faire certaines choses bien mieux que d’autres grosses productions du genre action-aventure.
Même s’il y a quelques faiblesses ici et là, quelques facilités prises, notre voyage dans cet univers onirique nous a passionnés du début à la fin. Et ce malgré un end-game assez moyen qui n’ajoute ni boss ou nouvelle zone, sa finalité justifie les quelques heures de notre temps en plus. Death’s Door est d’ores et déjà une nouvelle référence du genre, grisante, dynamique, fun et terriblement drôle. Une réussite.