En mai 2022, un véritable OVNI vidéoludique voyait le jour : Citizen Sleeper. Empruntant autant au jeu de rôle papier qu’aux romans de science-fiction et aux livres dont vous êtes le héros, le jeu avait rapidement su s’attirer les faveurs des critiques et du public, notamment grâce à la qualité de sa narration et son gameplay innovant.
Derrière le titre, un homme, Gareth Damian Martin, fondateur et unique membre du studio Jump Over the Age. Simplement accompagné de l’illustrateur français Guillaume Singelin (DC Comics, Ankama, Rue de Sèvres) et du compositeur Amos Roddy, le trio avait réussi un vrai tour de force: créer un univers original crédible couplé à une expérience vidéoludique unique.
Alors, lorsque la suite directe, Citizen Sleeper 2: Starward Vector a été annoncée il y a quelques mois, nous étions impatients de repartir dans l’espace. Mais quelques interrogations subsistaient. Une suite était-elle réellement nécessaire ? Ne risquions-nous pas un simple copié-collé du premier titre ? Heureusement, nos doutes n’ont pas duré bien longtemps.
(Test de Citizen Sleeper 2: Starward Vector réalisé sur Playstation 5 à partir d’une copie fournie par l’éditeur.)
Réveillez-vous
Comme son prédécesseur, Citizen Sleeper 2: Starward Vector nous plonge dans la peau d’un dormeur, un esprit humain synthétisé dans le corps d’un robot et asservi par la corporation Essen-Arp. Mais cette fois, privé de votre mémoire et traqué par un dénommé Laine, chef de gang responsable d’un reboot loupé de votre système, vous n’avez d’autre choix que de fuir la station spatiale Darkside, à la recherche de votre passé.
Libéré d’une partie de vos chaînes, mais loin d’être libre pour autant, bienvenue dans l’espace et bienvenue dans une aventure qui ne vous laissera certainement pas indemne, pour un peu que vous vous laissiez emporter par le style unique de ce qui vous est proposé. Car autant prévenir tout de suite, le titre embarque le joueur dans des thématiques et des mécaniques qui ne plairont clairement pas à tout le monde, avec des choix encore plus assumés que dans le premier volet.
Dès les premières minutes, le ton est donné. Comme son prédécesseur, Citizen Sleeper 2 est un jeu basé sur l’écrit. Si vous n’êtes pas amateur de lecture, passez votre chemin. Le rythme est lent et à aucun moment vous ne serez pris par la main, à vos risques et périls. Certains en ressortiront frustrés, mais si vous aimez la lecture, les univers SF et les ambiances planantes, mélancoliques, magnifiées par un travail d’orfèvre sur les visuels et la musique, laissez-vous emporter.
Quel plaisir d’arpenter les couloirs des différentes stations spatiales, de rencontrer des personnages secondaires complexes et hauts en couleur, simplement grâce aux pouvoir des mots. La langue de Citizen Sleeper 2 est magnifique. On regrettera simplement que le jeu ne soit pas encore traduit en français, laissant pour l’instant de côté une grande partie du public potentiel. Le premier opus avait mis plus d’un an avant de recevoir une traduction. Souhaitons un peu moins d’attente.
L’ambition est clairement montée d’un cran. Alors qu’on nous proposait dans le premier volet une aventure en huis-clos dans une station spatiale, cette fois-ci, c’est tout un système qu’il vous sera petit à petit donné l’occasion d’arpenter à bord d’un vaisseau en bien piteux état. Si vous êtes superstitieux, un conseil, munissez-vous de tous vos porte-bonheur, vous en aurez besoin pour gérer au mieux votre équipage, le carburant et les rations de nourriture lors de vos différents voyages.
Les dés sont jetés
Armé de cinq dés à six faces aléatoirement lancés au début de chaque unité de temps (appelées cycles), notre dormeur anonyme va vivre une aventure spatiale marquée du sceau des probabilités, mais surtout de celui des choix, les vôtres. Car si le hasard tient une part importante dans l’aventure du dormeur, il n’est rien à côté des hésitations et des émotions que nous a fait ressentir Citizen Sleeper 2.
Pour chaque action réalisée, il est nécessaire de dépenser un des cinq dés à notre disposition. Un dé de valeur un donne logiquement moins de chances de réussite qu’un dé de valeur six, même si, le jeu avançant, d’autres paramètres entrent en compte pour rendre votre tirage plus efficient ou relancer certains dés. Chaque action entraine des conséquences qui peuvent être positives, neutres ou négatives. Choisissez bien quel dé jouer au bon moment, car une mauvaise décision pourrait avoir des répercussions sur le long terme.
C’est là l’un des partis pris les plus forts du jeu. Ici, pas de retour en arrière et pas de sauvegarde manuelle. Vous écrivez votre histoire à coups de dés, et elle est unique (et souvent frustrante). Plus d’une fois la sensation que tout était perdu, que notre partie allait droit dans le mur nous a effleuré. Mais à chaque fois, le jeu nous a donné l’occasion de repartir, à une condition : accepter d’être toujours poussé dans nos retranchements.
Car dans Citizen Sleeper 2, vos échecs restent tapis dans l’ombre jusqu’au bout et l’aventure s’avère bien plus difficile que ne l’était celle du premier opus. On notera l’ajout de mécaniques de stress et de dés cassés qui apportent une vraie plus-value au gameplay. Mais le monde dépeint pendant plus d’une dizaine d’heures est tellement dur, tellement marqué par la mélancolie et la noirceur qu’un jeu trop simple aurait presque gâché l’expérience. La difficulté du jeu, comme une personnification de la dureté de l’existence de notre dormeur et d’une grande partie de l’univers.
Des mots sur les maux de la société
La force de Citizen Sleeper 2, ce qui en fait une oeuvre unique, c’est sa narration. Gareth Damian Martin est un fan de littérature et de jeux de société, il ne l’a pas caché lors de la sortie du premier opus. Mais la confirmation est encore plus poignante.
Le travail est digne d’un grand roman de science-fiction. Les textes sont magnifiques, poétiques à souhait et arrivent à nous faire imaginer chaque scène comme si nous y étions. Nous sommes dans la peau d’un dormeur, et c’est à travers ses yeux et ses mots que nous avançons.
Citizen Sleeper 2 nous présente un univers vaste, avec un véritable lore. Lors de vos quêtes et autres contrats, vous rencontrerez de nombreux personnages, plus ou moins attachants, mais toujours parfaitement écrits.
Tous ou presque sont comme vous, des âmes errantes dans une société en crise, basée sur le travail et les dilemmes moraux. Choisirez-vous de suivre certains d’entre-eux dans leurs projets pas forcément légaux ? Ou préférerez-vous vivre une aventure basée sur la recherche de vos souvenirs, avec un leitmovtiv, ne faire confiance à personne ? Préparez-vos dés, car vous ne déciderez pas seul.
On pouvait en douter, mais dès les premières lignes du roman jeu, les doutes ont vite été balayés. Il y avait encore bien des choses à raconter dans ce superbe univers, et Citizen Sleeper 2 est bien plus qu’une simple suite, c’est une oeuvre unique et magnifique.
Bien sûr, si vous avez joué au premier opus, l’effet de surprise ne sera pas le même, mais avec quelques nouveautés bien senties, et surtout une narration encore plus passionnante, le titre s’avère déjà un indispensable pour les fans du genre. Cerise sur le gâteau, pas besoin d’avoir joué au premier opus pour s’amuser. Pour ceux qui ne maitriseraient pas la langue de Shakespeare, croisons les doigts pour qu’une traduction arrive rapidement.
Rarement un jeu aussi minimaliste au premier abord (et ça n’a rien de péjoratif) n’aura été aussi magnifique à nos yeux. Magnifique dans les histoires qu’il raconte, aussi intelligentes que belles et tristes, mais surtout magnifique dans les émotions qu’il nous a apportées. Déjà annoncé comme le dernier jeu vidéo dans cet univers, la saga pourrait ensuite prendre la direction des jeux de plateau. On s’y voit déjà.