Si Broken Mind ne bénéficie ni de la campagne marketing d’un AAA ni même de celle d’un gros jeu indépendant, sachez qu’il n’en reste pas moins une petite perle. Non pas parce qu’il redéfinit un genre ou qu’il se montre à la hauteur des mastodontes sortant de temps à autre, mais bien parce que sa proposition est suffisamment originale pour le rendre unique.
De sa direction artistique à son scénario, en passant par son ambiance, Broken Mind nous invite à un court, mais intense voyage au plus profond des ténèbres qui hantent l’Homme.
(Test de Broken Mind sur Xbox Series X réalisée à partir d’une version commerciale du jeu)
Développé en très grande partie par une seule et même personne, Tony de Lucia, fondateur de 2Bad Games, Broken Mind est un véritable thriller psychologique nous mettant dans la peau de l’agent Frank Morgan, un flic désabusé, tirant un peu trop sur la boisson et au passé trouble et dramatique. Appelé sur les lieux d’un enlèvement, celui d’une adolescente qui était alors en live stream via son smartphone, il décide de tout mettre en œuvre pour retrouver la jeune fille saine et sauve.
Dessine-moi un thriller
Broken Mind étant assez court, on ne va pas en faire ici une description exhaustive ou encore vous en dévoiler les tenants et aboutissants. Néanmoins, quelques points méritent d’être soulevés, comme ceux liés à la narration et à l’ambiance. Est-on en présence d’un jeu horrifique ? Plus ou moins, mais ce n’est pas là la définition que l’on en donnerait. Le jeu est avant tout un thriller nous embarquant dans une enquête certes des plus glauques, mais on n’est pas réellement dans ce que l’on entend en parlant de jeu d’horreur.
Il y a bien un réel travail accompli sur l’ambiance et l’atmosphère qui se dégagent des différents lieux que l’on visite (hôpital désaffecté, forêts plongées dans la pénombre…), ceci rendant l’avancée tendue et plutôt angoissante pour un profane du genre.
Quelques jumpscare, bien exécutés pour le coup, font leur apparition parfois et il arrive même que l’on sursaute ou que l’on appréhende l’ouverture d’une porte, mais dites-le-vous bien, rien ne vous fera éteindre la console pour prendre une pause. Ce n’est d’ailleurs pas le but recherché, car l’atmosphère horrifique fait plus office d’enrobage à un dragée qui a bien d’autres choses à offrir.
Ceci étant dit, Broken Mind est bien un thriller psychologique avec une composante surnaturelle qui renvoie aux bouquins d’un Maxime Chattam par exemple, sans toutefois en égaler les meilleures lignes. On est en présence d’un jeu qui, tel un Silent Hill (ou encore un Layers of Fear), nous propose deux univers bien distincts, celui dit normal et un autre un peu plus ténébreux, peuplé de créatures voulant nous découper sans demander leurs restes.
Ces séquences, dont la première sert d’introduction, interviennent dans quasiment chaque chapitre qui compose l’aventure et comme dans le jeu de Konami, elles ne sont pas uniquement là pour faire joli.
Elles sont le reflet de la psyché empreinte de culpabilité de Frank et sont donc une descente dans son propre enfer. On y combat non pas des démons désireux de dominer le monde, mais ceux qui habitent en chacun de nous. Alors non, les lieux ne deviennent pas aussi marqués que Silent Hill, mais leurs configurations peuvent changer, et ils deviennent plus sombres et angoissants, étant parfois même dérangeants. Pas de gore, pas de sang. Ici il n’en est pas question, et c’est tant mieux.
Quant à notre mission, que l’on rappelle être le sauvetage d’une adolescente des mains de ses ravisseurs, elle se déroule en parallèle à nos plongées dans cet autre monde. Et là encore, l’ambiance est au beau fixe et entraîne une réelle immersion, ceci grâce à différents artifices comme les battements de cœur de notre personnage qui s’emballent lorsqu’un ennemi est à proximité et se faisant de plus en plus assourdissants et pressants lorsque celui-ci se rapproche couteau à la main.
Côté narration, il n’est pas question de se taper des cinématiques longues nous rendant plus spectateurs qu’acteurs, et si certains passages sont purement narratifs, ils ne sont pas bien nombreux. Le gros du récit se fait au travers du personnage de Frank, qui se parle à lui-même régulièrement, mais aussi grâce à différents journaux que l’on déniche. Les habitués du survival-horror des années 1990-2000 ne seront en rien dépaysés.
Dessine-moi un gameplay
Qu’on se le dise, Broken Mind ne brille pas par sa proposition de gameplay. Les ennemis sont au nombre de deux différents, si on omet le big boss de fin de périple, et le système de combat est très largement perfectible, notamment parce que répétitif. On se bat la plupart du temps au corps à corps. On doit alors esquiver, se protéger et taper notre opposant, et parfois, on dispose de quelques munitions nous permettant d’utiliser notre bon vieux flingue. Très clairement, c’est le point noir du jeu, qui ne parvient que trop rarement à varier sa proposition.
Néanmoins, certaines séquences sont plus originales. Celle où l’on incarne Laura par exemple, le soir de son enlèvement, est particulièrement bien vu. Séquence jouable assez longue, on l’accompagne vers son inéluctable enlèvement alors qu’elle fait un live périscope dirons-nous et qu’elle interagit avec son audience, dans laquelle on devine la présence de l’agresseur. Survient alors une montée graduelle en pression très bien gérée alors que l’on essaie de nous sortir de cette situation, nous demandant de nous rendre dans divers endroits de sa maison pour y accomplir quelques actions. Une partie de cache-cache fort bien gérée qui demande pas mal de sang-froid.
Et ce n’est pas la seule séquence originale que propose Broken Mind, même si finalement, sa proposition générale reste un brin classique. On avance en résolvant des énigmes, en nous cachant et en fuyant lorsque l’on incarne Laura, ou en nous battant pour ce qui concerne Frank. Jamais vraiment difficile, sans être une promenade de santé, le titre demande une certaine jugeote dans chacun de ses aspects. Intellectuelle pour les énigmes ou d’anticipation et d’analyse lors des affrontements.
Il est par contre dommage que l’inventaire présent ne soit pas mieux exploité, que le nombre d’armes soit si pauvre et que le peu de diversité côté ennemis rende le périple quelque peu redondant. Néanmoins, il est amusant de repérer les quelques hommages rendus au genre du survival-horror, comme le bruit que fait l’inventaire renvoyant à Silent Hill ou encore la direction artistique lorgnant parfois du côté de Resident Evil par exemple. En parlant de cette dernière, elle est l’une des grandes forces du jeu, le caractérisant même complètement.
Dessine-moi une histoire
On ne l’a pas encore abordé, car il est toujours bon de garder le meilleur pour la fin, mais Broken Mind est réalisé aussi bien à l’aide de la 3D que du dessin fait main. Artistiquement, le jeu s’impose comme une très bonne surprise et son parti pris dessiné nous plonge dans une sorte de BD noire qui ne recèle aucune fausse note. Alors, ce n’est pas un foudre technique, puisque quelques bugs subsistent, mais c’est très beau et sa direction artistique colle parfaitement bien non seulement au récit, mais aussi au genre du thriller.
Il est clair que ce choix graphique est pour beaucoup dans la réussite du titre, nous renvoyant à des œuvres comme Mundaun, qui tirait aussi son épingle du jeu grâce à cela, même si lui était plus long et plus ambitieux par bien des aspects. Reste que Broken Mind est un véritable petit thriller duquel il serait criminel de passer à côté, surtout au vu de son petit prix (9,99€).
Surprise du mois de juin réalisée par une seule et même personne (ou presque), Broken Mind est un exercice réussi. Petit jeu sans prétention, il offre néanmoins de jolis moments de frissons et une histoire réellement emballante et bien écrite.
Si l’on n’évite pas quelques clichés liés au genre, cette histoire de rédemption sur fond de thriller psychologique à l’arrière-goût horrifique fait mouche. Bien évidemment, il faut faire fi des quelques défauts présents et d’un gameplay assez classique, voire simpliste, mais s’arrêter à cela ne serait pas lui rendre justice.