Outre son sujet, Ancestors: The Humankind Odyssey était très attendu aussi pour la main qui le signe. L’auteur du jeu est en effet Patrice Désilets, le créateur de la saga Assassin’s Creed. Suite à des aventures rocambolesques qui le feront quitter, puis revenir involontairement, et donc quitter encore Ubisoft (et au passage nous priver de ce qui aurait dû être un grand jeu, 1666: Amsterdam), Patrice Désilets crée son propre studio, Panache Digital Game. Ancestors: The Humankind Odyssey est le premier jeu à en sortir. L’enjeu est donc énorme…
“C’est l’histoiiiire de la vie / Le cycle éterneeeeel…”
Bien qu’il soit l’œuvre du père de la licence phare d’Ubisoft (pas les Lapins Crétins, l’autre !), oubliez les Assassins et les Templiers, oubliez l’infiltration, oubliez même l’Histoire, puisque Ancestors: The Humankind Odyssey nous emmène à la préhistoire. C’est le voyage darwinien allant du primate à l’aube de l’homo-sapiens qu’il nous est donné de revivre.
Nous sommes donc quelque part dans ce qui va devenir l’Afrique, dix millions d’années en arrière. Le jeu commence avec un joli plan séquence qui nous présente la vie sauvage et la chaîne alimentaire. Mauvaise nouvelle, l’hominidé ne trône pas encore tout en haut de cette dernière, au contraire. Et la capture puis la mise à mort d’un primate par une espèce d’imposant rapace ne sont pas uniquement là pour servir de cinématique d’introduction au jeu. Il faut y voir un avertissement, voire une sorte de didacticiel : dans Ancestors, il ne va pas falloir jouer les plus malins (rappelez-vous : on joue des primates. Tout sauf malins, donc), et encore moins les bourrins. Il faudra se montrer patient, mesuré, et savoir se contenter de petites victoires.
Une fois la cinématique finie, nous voilà dans la peau du rejeton de l’hominidé qui vient d’être tué. Le petit est perdu au milieu de la jungle, et il faudra l’aider à retrouver les siens. Mission sans réelle difficulté, c’est l’occasion d’appréhender les contrôles. C’est aussi le seul moment dans Ancestors: The Humankind Odyssey où on nous donnera quelque chose à faire !
DIY
En effet, plutôt que de parler de jeu d’aventure, il faudrait parler de simulation. Et tels les primates du jeu, nous sommes lâchés dans la nature sans aucune espèce de guide. Pas d’objectif clair, si ce n’est le mantra “évoluez !”, pas de mini-map, pas de mission principale ou secondaire… Rien ! Cette idée de nous laisser 100% du jeu à découvrir peut-être source de grande satisfaction (on ne doit nos succès qu’à nous-mêmes), mais aussi de grandes frustrations, on en reparle ci-dessous. Livrés à nous-mêmes, il va donc falloir tester, essayer, explorer… Mais pas trop loin ! Souvenez-vous que les dangers de la vie sauvage rôdent. On plutôt, si, allez-y, et apprenez par vous-même que c’était une mauvaise idée !
Ancestors: The Humankind Odyssey se présente comme un open-world. On commence (après la scène avec le petit) dans un “campement” où vit notre clan d’une petite dizaine d’individus. S’il nous a été donné de choisir le sexe de notre avatar avant de lancer la partie, on peut de toute façon à tout moment switcher de n’importe quel membre du clan à n’importe quel autre. Même si autour de nous, on trouvera à portée de main de quoi boire, manger et s’abriter, la tentation sera grande d’aller découvrir le monde. Le jeu ne nous donne certes aucun guide, mais il ne nous impose aucune limite non plus. Libre à chaque joueur de décider s’il vaut mieux apprivoiser son environnement direct, aller découvrir le monde qui l’entoure, seul, ou en groupe…
De toutes façons, les premières heures, tout ce que vous ferez sera source d’expérience et d’apprentissage pour votre clan. Découvrir les ressources naturelles (fruits à cueillir, sources d’eau), découvrir l’environnement et ses dangers, mais aussi découvrir vos propres capacités. On va ainsi ramasser du bois, des pierres, des fruits, les observer, les sentir et essayer de réfléchir à ce qu’on pourrait en faire (pour cette dernière partie, ce sont les compétences du joueur uniquement qui doivent être mobilisées !). On va se déplacer, courir, sauter, escalader… Un système de perception est accessible pour voir, sentir, écouter (respectivement pour identifier des points d’intérêt, des ressources et les menaces). Selon les actions entreprises, votre primate gagnera de l’expérience et pourra maîtriser de nouvelles compétences, qui lui permettront de s’aventurer plus loin, pour découvrir encore de nouvelles choses.
Un arbre de compétences classique est ainsi accessible via le menu pause, représentant un système neuronal. Au fur et à mesure de l’expérience du primate, de nouveaux “nœuds” se débloquent, correspondant à de nouvelles capacités. C’est quand le système neuronal est complètement développé, soit l’arbre de compétences complété, que peut se déclencher une phase d’évolution vers le prochain stade. Un système d’évolution du personnage extrêmement classique en jeu vidéo (qui peut aussi pousser à « farmer » de manière un peu artificielle), mais qui en même temps colle tellement bien au propos du jeu…
“C’est une affaire, une affaire de famille (bis )”
Original et cohérent, le jeu bute toutefois sur le gameplay. Techniquement, c’est plus qu’honnête. On pourrait parler de III (triple I), soit un jeu indé qui réduit grandement les différences qui peuvent exister entre un gros budget et un jeu à la production plus modeste. On n’est pas forcément émerveillé, mais c’est joli. Le bestiaire fait un peu grise mine, avec son manque de diversité (les six ou huit premières heures, on ne rencontrera que trois ou quatre espèces d’animaux différentes). Cela s’étoffera tout doucement (trop doucement) par la suite. De même avec les environnements, même si évidemment, la nature même du jeu empêche un renouvellement trop important des décors. La musique est elle aussi à sa place, rythmant les découvertes ou les situations plus tendues. On regrette peut-être l’emploi des percussions façon “tam-tam”, un peu trop téléphonées pour un jeu se situant dans la préhistoire.
Les enfants sont primordiaux dans Ancestors. C’est bien entendu par eux que passe l’évolution. Prenant acte de ce fait, le jeu ne nous permet d’engranger de l’expérience qu’en présence des enfants, et les nouvelles compétences apprises se transmettront d’une génération à l’autre dans la limite du nombre d’enfants dans le clan. Concrètement, s’il y a quatre enfants dans le clan, ça ne vaut pas la peine d’apprendre plus de quatre compétences. En effet, quatre enfants nous confèrent quatre points permettant de “fixer” une compétence. Une fois ces quatre compétences acquises, on les fixe grâce aux point alloués, et on peut passer à la génération suivante. Les “anciens” vont mourir, les enfants devenir adultes.
Il va falloir refaire des enfants, pour assurer la pérennité de la lignée, et continuer à fixer des compétences pour évoluer. Cependant, en termes de gameplay, cette phase autour des enfants est assez inintéressante et répétitive, tout en étant essentielle au jeu. Ainsi, on va créer un couple via un système qu’on vous laisse le soin de découvrir, puis s’accoupler pour enfin donner naissance à un enfant, et répéter la chose tant qu’on le peut. De plus à chaque naissance se joue une petite scène cinématique, invariablement la même, qu’on ne peut pas passer.
C’est le deuxième souci du jeu, plus important celui-là : certains manques évidents au niveau des mécaniques du jeu. Aucune cinématique ne peut être passée. La totale liberté qui est laissée au joueur implique un total plantage au départ, c’est quasiment automatique. Nous avons par exemple commencé à évoluer sérieusement et à comprendre les mécaniques du jeu à partir de la quatrième lignée. C’est-à-dire quatre parties recommencées à zéro, avec à chaque fois l’intro cinématique à revoir, le didacticiel avec le petit perdu en forêt à rejouer, etc…
Paradoxalement, si le joueur est laissé totalement libre, les prises de risques (même involontaires…) sont très sévèrement punies. Et aucun point de sauvegarde pour sécuriser une situation avant de tenter quelque chose. Alors, oui, cela fait aussi partie du jeu et reste cohérent avec son sujet, mais cela peut aussi être extrêmement frustrant de perdre une lignée qu’on a fait évoluer pendant quatre ou six heures simplement sur un voyage mal préparé ou un peu trop téméraire…
“Push me / And then just touch me / Till I can get my… satisfaction / Satisfaction, satisfaction…”
De manière générale, le jeu demande un gros investissement de la part du joueur. Il va falloir peiner, faire des efforts, pour comprendre ce qu’on attend de nous. Apprendre à la dure, aussi. Si nous avons remis notre ouvrage sur le métier à quatre reprises avant d’arriver à quelque chose, c’est aussi parce que nos actions nous avaient menés dans des culs de sacs ! S’investir dans le gameplay, mais aussi donner de son temps. On l’a dit plus haut, il faudra se contenter de petites victoires. L’évolution n’arrivera que par petites touches, et il faudra passer beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps sur le jeu. Ancestors: The Humankind Odyssey est probablement l’un des jeux les plus chronophages auquel il nous ait été donné de jouer ces dernières années. Et tant mieux ! Car à priori, si on accepte de passer tant de temps sur le jeu, c’est qu’il est aussi passionnant.
Car au-delà de ces défauts, le jeu réussit à nous proposer une expérience vraiment neuve et originale. Même si on reconnaîtra quelques gimmicks par-ci par-là, comme ces zones à découvrir, agrandissant une carte (qui n’est jamais affichée) : un concept très FarCry sauce Ubi ! Néanmoins, vous n’avez jamais joué à un jeu comme Ancestors: The Humankind Odyssey. Et on sait, on sent, que même après 15 ou 20 heures de jeu, il y a encore beaucoup à découvrir. S’il est très très exigeant avec le joueur, le jeu est aussi très satisfaisant. Découvrir et maîtriser une nouvelle compétence apporte un vrai sentiment d’accomplissement ; et c’est avec une vraie fierté qu’on passera de personnage craintif et en danger permanent à un chasseur accompli qui va au-devant des créatures sauvages !
Pari réussi pour Panache Digital Games, qui nous propose avec Ancestors: The Humankind Odyssey une expérience originale et ambitieuse. Certes, le jeu possède quelques défauts de game design, mais on imagine que ceux-ci pourraient être très facilement corrigés via une mise à jour : l’ajout de sauvegardes différenciées, la possibilité de passer les cinématiques… Ce qu’il faudra surtout au jeu pour être une réussite, c’est un véritable investissement du joueur. N’abandonnez-pas après les trois ou quatre premières heures qui pourraient se révéler frustrantes. Recommencez, persévérez, c’est à cette condition que vous accéderez au cœur de l’idée du jeu.
Le titre a finalement quelque chose de Populous, le classique de Bullfrog sorti en 1989. Un titre très original à sa sortie (et pendant les années qui ont suivi), qui interloquait souvent ceux qui n’y jouaient pas. Là-aussi, il a fallu passer du temps à aplanir nos terrains de manière un peu rébarbative (surtout quand on y jouait au pad !)… Mais pour qui se donnait l’effort, la récompense de voir nos civilisations se développer et prospérer valait franchement la peine !
Le jeu est disponible sur PlayStation 4, Xbox One et PC via l’Epic Games Store pour une exclusivité temporaire. Il arrivera sur Steam par la suite.