Microids s’éloigne un peu, pour une fois, de la BD franco-belge. L’éditeur des jeux des Schtroumpfs, de Blacksad et d’Astérix reste cependant dans son cœur de métier, l’adaptation, en s’alliant au studio espagnol Pendulo pour nous proposer sa version de Vertigo, le film culte d’Alfred Hitchcock. Pendulo, on le rappelle, ce sont les studios qu’on a adorés pour les point’n click à la fois classique et modernes The Runaway ou The Next Big Thing. L’association avec le maître du suspense s’annonçait donc explosive… Verdict ?
(Test d’Alfred Hitchcock Vertigo sur PC réalisée à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Dans les épisodes précédents…
Un peu de contexte. Vertigo, plus connu en France sous le titre Sueurs Froides, est un thriller psychologique réalisé par Alfred Hitchcock et sorti en 1958. Dans le film, le personnage, campé par James Stewart, est chargé par un ami de prendre la femme de ce dernier en filature. Sa femme, jouée par Kim Novak, serait persuadée d’être la réincarnation de son arrière-grand-mère, qui s’est suicidée, et le mari a peur que le drame se reproduise…
Le film, qui commence comme un film de possession, comprendra plusieurs twists, emmenant le spectateur à chaque fois dans des situations inattendues, brouillant les pistes quant aux rôles des « gentils » et des « méchants », des victimes et des bourreaux.
Considéré comme un échec à sa sortie, le film s’est depuis rattrapé en intégrant le Panthéon des plus grandes œuvres de l’histoire du cinéma. Il aura aussi laissé en héritage le Vertigo Effect, ou travelling compensé, en français (parfois aussi appelé Dolly zoom), créé par Hitchcock pour le film. Il s’agit de cet effet de caméra qui consiste à faire un travelling tout zoomant ou dézoomant, le personnage au premier plan gardant ainsi la même dimension, tandis que le décor semble s’éloigner ou se rapprocher, selon le sens du travelling. En résulte une sensation de malaise qui venait dans le film retranscrire à l’image le vertige du personnage principal. Un effet repris depuis dans de très nombreux films, l’un des plus connus post-Hitchcock étant celui des Affranchis (M. Scorcese, 1990).
Adapter l’adaptation de l’adaptation d’une adaptation
Le Vertigo Effect, signature visuelle du film, sera bien présent dans le jeu, tout comme le gimmick musical de la B.O. de Bernard Herrmann, très bien intégré à la bande-son du jeu. Mais très étrangement, ce sera à peu près les seuls éléments du film qu’on retrouvera dans le titre de Pendulo, adaptation très, très libre de l’œuvre d’Hitchcock. DES œuvres d’Hitchcock, devrait-on dire, car ce sont plusieurs thématiques chères au Maître du suspense qui se retrouvent dans le jeu, et toutes pas forcément issues de Sueurs Froides.
Le jeu raconte deux enquêtes croisées. Celle d’abord du shériff d’une petite ville qui doit élucider le meurtre d’un fermier et tenter de retrouver la femme de ce dernier, disparue. Mais surtout celle du Docteur Lomas qui va essayer de comprendre le mystérieux mal qui frappe de paralysie Ed Miller, un écrivain qui sort pourtant indemne d’un accident de voiture dans lequel sa compagne et sa petite fille ont péri. Et pour rajouter au mystère, aucun corps n’a été retrouvé, au point que l’entourage de Miller doute même de l’existence des deux victimes…
Bien entendu, les deux enquêtes finiront par se rejoindre, et chacun aura joué, ou jouera, un rôle dans la terrible machination que raconte le jeu. Ce que Vertigo (le jeu) tient en héritage de Vertigo (le film), ce sont surtout des motifs : le faux-semblant, des personnages sur le fil, dont on ne sait s’ils sont fous ou victimes, et la multiplication des twists, rebattant à chaque fois les cartes du scénario.
Mais étonnamment, on ne retrouve rien de l’histoire ou des personnages de Sueurs Froides. On est un peu décontenancé les premières heures de la partie, s’attendant à ce que le scénario du jeu finisse par rattraper d’une manière ou d’une autre celui du film (il ne le fera jamais). Pourtant c’est dans la nature même de Vertigo d’être « remixé » de la sorte : il est lui-même l’adaptation d’un roman de Boileau et Narcejac (« D’entre les morts », 1954) qui adaptait lui aussi librement Bruges-la-Morte, roman symboliste publié en 1892 par l’écrivain belge Georges Rodenbach.
Ce faisant, Alfred Hitchcock Vertigo, le jeu, s’inscrit dans cette lignée d’adaptations d’un même mythe fondateur (Eurydice), et vient se frotter à armes égales à la littérature et au cinéma.
D’accord, mais on joue quand ?
Ce qu’il ne fait pas, par contre, c’est se frotter à armes égales avec les grands noms du jeu narratif, les productions Quantic Dreams en tête. Car c’est bien à ce type de jeux qu’appartient Vertigo, sans être à la hauteur des grands titres du genre. Très narratif, le jeu n’est que trop peu interactif, et, surtout, il ne laisse jamais la main au joueur.
Nos actions et décisions n’auront absolument aucun impact sur le déroulement de l’histoire : on nous laissera par exemple choisir entre plusieurs questions, mais il faudra de toute façon toutes les poser. Ainsi, seul l’ordre dans lequel on les pose dépend du joueur, et cet ordre ne fera aucune différence quant aux réponses qu’on obtiendra.
Pire, on en vient à subir les phases de gameplay, qui freinent notre progression dans le scénario. On devra, par exemple, dans la peau du héros alors petit garçon, ranger les courses. Ou, incarnant une jeune maman, faire le tour de la maison pour récupérer les affaires de son bébé. Passionnant (non).
Quand, dans un jeu vidéo, on est pressé de voir se finir les phases de gameplay pour pouvoir continuer à assister aux cinématiques, c’est qu’il y a un problème, et que les auteurs n’ont peut-être pas choisi le bon média pour s’exprimer. C’est d’autant plus vrai ici que tout ce qui est écriture et mise en scène, tout ce qui est plus cinématographique, donc, est vraiment réussi…
Alfred Hitchcock’s Vertigo saura tenir le spectateur joueur en haleine grâce à un scénario à tiroirs bien construit et plein de rebondissements. En ce sens, il rend un bel hommage à l’œuvre d’Hitchcock dans son ensemble, plus qu’à Vertigo/Sueurs Froides en particulier, dont il ne garde qu’une atmosphère générale. C’est d’ailleurs une bonne idée, et cela permet de conserver surprise et fraîcheur pour les joueurs, qui seront nombreux à déjà connaître le scénario du film.
Là où le jeu pèche, et ce n’est pas rien, c’est qu’il oublie un peu d’être un jeu. Il nous faut aussi souligner rapidement la synchro labiale aux fraises en VF, qui se rapproche plus des films de kung-fu des 70s que d’Hitchcock, ainsi qu’un démarrage parfois un peu lent de certains scripts, cassant le rythme de l’aventure, et installant même parfois un certain malaise. On sera malgré tout allé au bout de la petite dizaine d’heures que constitue cette histoire, curieux d’en connaître le fin mot. Le scénario nous aura bien accrochés, le jeu, beaucoup moins.