Against the Storm est un petit jeu très surprenant pourtant passé sous le radar de bon nombre de joueurs. Avec une esthétique qui rappelle clairement les années Warcraft III et un système de gestion qui flaire toujours les années 2000 avec un certain Anno 1404, le jeu de chez Eremite Games a pourtant fait sensation sur la scène indie pour avoir allié le jeu de gestion et le rogue-like. Bien qu’ils semblent a priori être des genres de jeu incompatibles, le jeu a connu un fort succès critique et un bouche-à-oreille a permis de mettre un coup de projecteur sur le petit studio de six personnes qu’est Eremite Games.
Bienvenue dans un monde dans lequel une pluie sans fin tombe, dans lequel la tempête est votre quotidien. Votre but est d’avancer petit à petit, au fil des années, pour trouver une échappatoire à votre condition qui ne vous permet plus de vivre, mais de survivre. Vous êtes un sujet de la Reine et votre rôle est de diriger une petite troupe de colons pour récolter les Sceaux, objets convoités par cette dernière.
(Test de Against the Storm réalisé sur PC à partir d’une copie commerciale)
Le fameux mélange des genres
Against the Storm est un jeu de gestion, rien n’est moins sûr. Vous aurez à gérer un stock assez conséquent de ressources : pierre, argile, viande, légumes, bois, etc. Avec ces ressources, vous pourrez en obtenir de plus rares, des ressources manufacturées : des planches faites à partir du bois, du tissu avec la fibre extraite de votre récolte à la ferme ; le genre nous aura déjà éduqués à pareilles mécaniques. En plus d’avoir cette gestion de ressources, vous devrez composer avec la résolution et le moral de vos différentes populaces.
En effet, vous aurez sous vos ordres des humains, mais aussi des hommes castors, des lézards, des harpies, et chacune de ces races possède des besoins particuliers et des points forts qui lui sont propres. Les hommes castors seront beaucoup plus efficaces pour aller couper du bois tandis que les harpies seront douées pour la confection de vêtements et seront versées dans l’art de l’alchimie. Jusqu’ici, on voit que l’on a affaire à un jeu de gestion sauce fantasy, mais rien de particulièrement fantasque ni d’original à l’horizon. Vient alors la fameuse question : mais comment gagner une partie dans Against the Storm ?
Et c’est sur ce point que le jeu s’affranchit de son identité de jeu de gestion classique en proposant un système de victoire à la carte : vous définissez vous-même vos objectifs à atteindre. Le jeu vous donnera le choix entre plusieurs objectifs à remplir, totalement aléatoires, et vous devrez vous frayer un chemin à travers votre run pour livrer les ressources demandées, découvrir une nouvelle clairière ou bien encore maintenir une population heureuse pendant suffisamment longtemps.
Comme dans tout rogue-like, toutes les runs sont uniques. Comme on l’a vu, les objectifs sont différents et tout sauf répétitifs, mais les ressources à collecter sont elles aussi aléatoires. Vous n’êtes pas en mesure de savoir si la run en cours contient un gisement de cuivre ou bien si une simple parcelle de terre cultivable sera disponible, car un brouillard vous empêche de visualiser entièrement l’endroit dans lequel vous vous trouvez. Vous devrez attendre que vos bûcherons éclaircissent la voie et révèlent les clairières pour savoir ce qu’elles contiennent en ressources, mais aussi en événements.
Bien qu’il paraisse extrêmement délicat de récolter certaines ressources ou bien même de les fabriquer, le jeu donne toujours l’occasion de retomber sur ses pattes. Vous n’avez pas de scierie pour livrer trente planches ? Vous pourrez toujours en construire via le bâtiment que vous avez rénové dans la dernière clairière. Bien qu’à première vue la situation semble très précaire avec ce système d’objectifs parfois à première vue impossible à réaliser, le jeu donne un fort sentiment de confiance en soi après plusieurs essais.
Tout est affaire de cycle
Si l’on rentre un peu plus en profondeur dans le gameplay d’Against the Storm, la composante majeure du jeu est la temporalité. Pour gagner, il vous faut remplir votre jauge de Réputation, autrement dit certains objectifs donnés par la Reine. Au fur et à mesure que vous remplissez cette jauge, vous débloquez de nouveaux plans de bâtiments qui peuvent répondre à votre détresse ou bien vous faire changer de stratégie.
En plus d’augmenter votre jauge bleue, positive, vous réduirez la jauge rouge, négative, qui symbolise votre mise à mort. Cette jauge se remplit inexorablement avec le temps, l’impatience de la run étant même exponentielle : plus la barre est remplie, plus celle-ci se remplira vite. Avec un code couleur très binaire, le jeu propose un gameplay qui repose sur une mécanique vieille comme le monde : la course contre la montre.
Lorsque vous n’accomplissez pas vos objectifs, l’impatience de la reine grandit. Quand la jauge est totalement remplie, vous avez perdu, votre inefficacité aura raison de la magnanimité de la reine et celle-ci vous congédiera en vous faisant passer par l’échafaud. Mais l’impatience de la reine ne doit pas être la seule composante qui doit attirer votre attention, car le cycle naturel des saisons est tout aussi important.
Plusieurs saisons se succèdent et toutes possèdent des effets particuliers : la saison de la Tempête aura raison du moral de vos colons et empêchera toute récolte tandis que les saisons de la Bruine et de l’Accalmie vous permettront de sortir la tête de l’eau pour commencer à reprendre les choses en main.
Dans la même idée, le cœur de votre ville, le foyer, est également régi par cette règle du temps. Véritable feu de joie à la dimension animiste et permettant la survie de vos habitants, le feu a besoin de combustibles pour continuer à vivre : huile, bois, charbon sont autant de ressources qu’il vous faut récolter pour alimenter votre colonie. Vous l’aurez deviné, les ressources simples à trouver comme le bois sont très rapides à brûler, tandis que les ressources plus rares comme le charbon et l’huile vous donneront plus de temps.
Aussi, vous serez forcés d’explorer les environs pour remplir vos objectifs. Délimitées par des arbres, les cases environnantes sont des clairières qui vous permettront d’agrandir votre colonie, mais aussi peut-être de trouver la ressource qui vous faisait défaut.
Certaines clairières, ornées d’un crâne sinistre, sont dangereuses. Lorsque vous découvrirez ces clairières, des événements toujours néfastes se déclencheront. Là encore, une résolution extrêmement punitive sera exécutée après un certain laps de temps si vous ne prenez pas les choses en main. Vous pourrez généralement faire le choix de détruire le lieu ou bien de le restaurer.
Pour finir, vos colonies s’inscrivent dans un cadre beaucoup plus global. En effet, votre but étant de trouver une voie pour vous échapper de la Tempête, vous devrez vous déplacer sur une carte de campagne très vaste. Si vous n’arrivez pas à remplir votre objectif après un certain temps, la Tempête de la Corruption détruira toutes vos colonies et vous serez obligés de recommencer depuis le début. Le jeu se montre tout de même magnanime, car les quelques éléments de rogue-lite seront sauvegardés.
Dans cette affaire de rapport au temps, le joueur est toujours conforté dans cette habitude de la sauvegarde, pouvoir quasi-divin. De manière récurrente, le joueur sera amené à stopper le temps du jeu, l’accélérer ou bien le ralentir. Le jeu donne des armes temporelles aux joueurs pour que celui-ci puisse s’en sortir et celles-ci font sens par rapport au gameplay. Dans un monde régi par de nombreux cycles, le joueur est renvoyé à sa propre perception du temps.
C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures
Le discours écologique d’Against the Storm n’est pas très frais. Dans un monde transformé par une tempête cyclique qui ravage tout sur son passage, Mère Nature prend une place prépondérante. Pourtant, quelques éléments ajoutés ici et là montrent bien que le discours est pensé en profondeur. La monnaie du jeu, qui servira pendant vos échanges avec le marchand, n’est rien de moins que l’ambre, le sang des arbres.
Dans son gameplay, le jeu force le joueur à incarner un colon qui s’approprie les lieux et détruit tout sur son passage. L’exploration se fait par la déforestation des environs et cela mènera souvent à des découvertes de tribus natives qui ne vous voudront jamais du bien.
Ce gameplay schizophrénique se retrouve en plusieurs autres endroits : la reine qui vous donnera la victoire ou bien la défaite, courir après les minutes tout en ayant parfois le besoin de mettre le jeu en avance rapide, détruire un peu plus le monde sous prétexte de le sauver. Le jeu n’est pas avare en matière de contradiction, mais il ne fait que refléter notre propre monde et notre condition humaine si capricieuse.
Les diverses inspirations esthétiques reflètent là encore cet aspect vieillot voulu. Avec des graphismes qui convoquent une forte dimension nostalgique, le style très Warcraft III ou bien encore le design de la reine qui ne peut pas ne pas faire penser à Sauron, Against the Storm utilise le concept de « l’age d’or » (le fameux « c’était mieux avant ») et nous le renvoie en pleine face. Comme si le jeu nous disait : « Non, ce n’était pas mieux avant, regarde plutôt ce que tu es en train de faire maintenant. »
Le jeu d’Eremite Games nous aura agréablement surpris. En prenant des matériaux bien établis, le jeu de gestion et le rogue-like, Against the Storm réussit à créer quelque chose de foncièrement nouveau et de frais. Même s’il ne s’agit pas d’un jeu que nous mettrions entre toutes les mains, les nombreux textes en guise de tutoriel peuvent décourager, tout comme le nombre de ressources, les mordus de jeux de gestion auront quelques belles heures devant eux.
On ne peut que féliciter un studio de la taille d’Eremite Games de proposer cette qualité. Against the Storm aura le mérite d’être un de ces jeux qui nous poussent à nous questionner sur la notion de genre du jeu vidéo. Si Endless Dungeon convoquait déjà le dungeon crawler, le rogue-like et le hack’n slash, Against the Storm n’hésite pas non plus à puiser dans des genres apparemment incompatibles pour prouver le contraire. Bien que l’apposition d’un genre sur un jeu soit un exercice intellectuellement stérile, il s’agit au final d’un acte marketing en étant tout à fait honnête, on ne peut que se réjouir de voir une telle vitalité dans cette industrie qui nous est si chère.