Voilà maintenant cinq ans que les fans du studio Vanillaware attendent 13 Sentinels: Aegis Rim. Il faut dire qu’on parle là d’un studio qui a fourni trois titres dont tout le monde s’accordera à dire qu’ils figurent tous trois au top 10 des jeux sortis sur PS Vita, et régulièrement cités quand il s’agit d’illustrer ce que la 2D a de meilleur : Muramasa Rebirth, Dragon’s Crown, et Odin Sphere Leifthrasir.
George Kamitani, réalisateur de ces deux derniers jeux et fondateur du studio, se charge de la réalisation, tandis que Yukiko Hirai et Emika Kida, déjà à l’œuvre sur Dragon’s Crown, seront au chara-design, faisant de 13 Sentinels l’héritier de Dragon’s Crown. Mais le titre n’est pas l’action-RPG auquel Vanillaware nous avait habitués. Le jeu prend une direction surprenante ; au risque de perdre son public ?
(Test de 13 Sentinels: Aegis Rim réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
La 3D, c’est surfait
Vanillaware, c’est d’abord une identité graphique forte. Des personnages et décors dessinés à la main, dans un style reconnaissable entre tous. Pour servir ce style visuel, il fallait un genre de jeu qui permette de l’accueillir. Compliqué d’utiliser leurs illustrations pour un open-world en 3D, par exemple. C’est donc avec l’action-RPG à défilement horizontal que le studio s’est fait un nom.
Plus action dans un premier temps (Muramasa: The Demon Blade sur Wii en 2009, puis surtout Muramasa Rebirth, sur PS Vita, en 2013), un peu plus RPG ensuite (Dragon’s Crown en 2013 sur PS3 et PS Vita, porté ensuite sur PS4), le studio change complètement de style de jeu pour leur nouveau titre. Ainsi, 13 Sentinels: Aegis Rim est un mix entre visual novel et jeu de stratégie.
On y suit le destin de treize personnages – qu’on rencontrera au fur et à mesure de l’aventure – dont les destins se croisent dans un lycée japonais des années 80, et que les événements amèneront à se battre contre des kaijus aux commandes de mechas nommés Sentinelles. L’histoire inclut des allers-retours dans le temps, des envahisseurs aux airs de « Maman », l’araignée géante de Louise Bourgeois (qu’on peut justement admirer à Tokyo, à Roppongi Hills), et un chat qui parle.
On n’en dira pas plus sur l’histoire, car comme tout visual novel, la découverte de celle-ci sera l’un des attraits principaux du jeu. La comprendre, aussi. Car cette dernière, véritable meuble Ikea, sera livrée pièce par pièce, et rarement dans l’ordre.
La théorie du genre
Après une introduction nous permettant de plonger dans l’univers, de découvrir ce mélange entre visual novel et jeu de stratégie, et de nous familiariser avec les commandes, 13 Sentinels: Aegis Rim nous lâche dans son univers, et nous laisse nous dépatouiller.
La navigation au sein de l’aventure est ainsi extrêmement souple. Bien entendu, ce mélange entre narration pure et STR rappellera aux connaisseurs les premiers épisodes de Sakura Wars, qui mélangent eux aussi otome et jeu de stratégie, dans un univers où de jeunes héros pilotent des robots géants… La référence est clairement assumée par Vanillaware qui baptise le lycée dans lequel se passe l’aventure Sakura. Question références, on ne s’arrêtera pas à Sakura Wars, puisque le jeu fera de nombreux clins d’œil plus ou moins appuyés à toute la scène Sci-Fi, de Men in Black à Star Wars, en passant par E.T. ou bien entendu Godzilla…
Cependant, le jeu est bien différent de Sakura Wars, dans lequel les phases de jeu de stratégie (devenues hack’n’slash dans le soft reboot de 2020) viennent systématiquement conclure les chapitres du visual novel. Dans 13 Sentinels, le joueur est libre de naviguer comme bon lui semble entre la narration et l’action, et même au sein de la narration, passant d’un personnage à l’autre, ou d’un chapitre au suivant.
Une fois le tutoriel achevé, on peut alors choisir librement de jouer à la partie narrative ou à la partie jeu de stratégie. Bien entendu, chaque « zone » aura certaines limites qui se lèveront selon les progrès réalisés d’un côté ou de l’autre : les avancées dans le scénario permettent de débloquer des combats, et les victoires lors des affrontements débloquent des « routes » dans le scénario. Une liberté qui peut aussi casser le rythme du jeu, selon les choix du joueur.
2 salles, 2 ambiances
Fidèle au genre du visual novel auquel il se rattache pour moitié, 13 Sentinels proposera pour chaque personnage un scénario à embranchements multiples, et réussir à voir chacun de ses embranchements permettra de saisir une histoire-puzzle, dont la compréhension est en soi un élément de gameplay.
On revivra ainsi des petits bouts de scènes à travers le point de vue de différents personnages, ce qui nous permettra de, peu à peu, avoir une vision générale des événements. Ceux-ci se déroulant de 50 ans en arrière à plus de 100 ans dans le futur, il va falloir s’accrocher !
L’autre facette du jeu, ce sont les combats en mode tour par tour. Changement radical d’ambiance, les designs 2D peints à la main laissent place à une carte en 3D isométrique ou les Sentinelles des héros comme les envahisseurs sont représentés en pixels minimalistes posés sur une carte en 3D effet « maquette ».
Lors de ces affrontements, il s’agira de former son équipe de six Sentinelles selon les capacités offensives et défensives de chacun. Les personnages pilotent en effet chacun des mechas différents, avec leur propre armement. Spécialisé en combat rapproché ou à distance, dans l’attaque ou la défense…
Le game system mêle ici le tour par tour et le temps réel, les temps s’arrêtant lors du choix des actions (déplacement, attaque…) et des armes, mais courant normalement lors de la visée ou du choix du personnage à faire intervenir. Un système de barre d’énergie représentant l’initiative permet d’organiser les tours, mais si plusieurs personnages sont en mesure d’agir, le joueur pourra choisir librement (attention à ne pas réfléchir trop longtemps tout de même, puisque le temps avance, et les ennemis agissent…!).
Un système de jeu qui réussit à nous mettre la pression, surtout que la carte est régulièrement envahie de nuées menaçantes, entre les monstres ennemis, leurs drones offensifs par dizaines, et les missiles qu’il faudra intercepter avant l’impact…
Le contrat de confiance
Ce mix d’éléments pourtant déjà vu ailleurs donne un résultat étonnant et frais. La proposition est solide, tout comme la réalisation du titre – on n’en attendait pas moins de la part des développeurs de Muramasa Rebirth ! Bien entendu, cela reste un titre de niche, un peu déroutant, et 13 Sentinels s’adresse à un public ouvert à l’originalité et aux projets qui sortent un peu des rangs.
Le jeu s’ouvre toutefois au public le plus large possible, avec notamment la présence d’un mode facile, qui permet de profiter de l’histoire sans avoir à passer par les affrontements, mais aussi avec la présence d’une traduction intégrale d’excellente facture. Le jeu est ainsi entièrement sous-titré en français, les voix étant en version originale japonaise ; un patch contenant le doublage en anglais vient d’être ajouté pour la sortie du jeu.
Et puis, surtout, c’est un jeu Vanillaware, et depuis un peu plus de dix ans maintenant, les studios n’ont jamais déçu ! Le titre est magnifique, qu’il s’agisse du chara-design, des décors ou des robots… On n’échappe pas à certains tropismes propres au genre (sous-entendus graveleux, personnages à la poitrine un peu démesurée…) mais ils auraient peut-être manqué s’ils n’avaient été présents. Les fans de Dragon’s Crown ou d’Odin Sphere Leifthrasir n’auront pas attendu les tests pour se jeter sur le jeu en développement depuis cinq ans maintenant, et ils y trouveront avec satisfaction tout ce qui fait la réputation des studios.
Vanillaware aurait pu nous refourguer un action-RPG en scrolling horizontal de plus, et on aurait applaudi ! Cependant, le studio prend un petit risque en insufflant un changement radical dans le gameplay, tout en gardant l’âme de ses jeux. 13 Sentinels: Aegis Rim est un jeu de niche, mais une niche en duplexe : il s’adresse à la fois aux joueurs ouverts aux genres (au pluriel, du coup, avec à la fois du visual novel et du STR) auxquels il appartient, mais aussi aux fans du studio.
On aime les jeux vidéo quand ils maitrisent parfaitement une recette pour en extraire le substantifique fun (dernièrement, Ghost of Tsushima, par exemple) ou quand ils font des propositions radicales (Death Stranding). 13 Sentinels: Aegis Rim emprunte aux deux catégories, mettant tout le talent des studios au service d’un jeu pas forcément évident ou grand public à première vue, mais qui saura capter le joueur qui aura la curiosité de s’y plonger.