Pour une certaine partie des boomers, le jeu vidéo est violent et abrutissant. Pour les joueurs, au contraire, il est social, développe les réflexes, stimule l’imagination et, surtout, il est fun. Si les seconds voulaient convaincre les premiers, ils n’auraient pas de meilleure occasion que la période actuelle. Presque coup sur coup sont en effet sortis deux jeux, Tchia et A Space for the Unbound, qui, de façon très maligne, font la promotion de cultures peu représentées dans le divertissement grand public.
Tchia : Balade en Nouvelle-Calédonie
Tchia est un très joli jeu AA en monde ouvert qui reprend un peu le principe des titres « à la Ubisoft » : une carte à visiter qui révèle des points d’intérêts et autres missions secondaires. Il s’agit même d’escalader des sommets pour crier un bon coup afin de dissiper le brouillard de guerre dans des scénettes ressemblant assez fortement au « Point de Vue » des Assassins… Ce qui fait son originalité, c’est que sur cette aventure plutôt mignonne, le développeur réussit à coller une couche de découverte culturelle de la Nouvelle-Calédonie. Et le tour de force du jeu, c’est qu’il intègre cet élément tout naturellement au gameplay, sans que cela ne prenne l’allure sombre d’un « serious game ». Ainsi, le jeu est à la fois en français, et en drehu, la langue kanak la plus parlée ; et le doublage a été confié à des comédiens calédoniens, qui, même quand ils parlent en français, le font avec l’accent local.
En diverses occasions, on verra des instruments de musique traditionnels, des costumes, et on assistera à des fêtes et cérémonies folkloriques. L’héroïne, comme dans de nombreux jeux, peut s’arrêter prendre un repas pour recharger sa barre d’énergie. Des pauses qui seront autant d’occasions discrètes de présenter des recettes typiques. La faune est convoquée, aussi, puisque l’une des principales mécaniques de gameplay, c’est la capacité de Tchia à projeter son âme dans tout et n’importe quoi, les noix de coco comme les crabes ou les oiseaux. Si on guette les pigeons, qui nous permettront de prendre notre envol pour nous déplacer plus rapidement sur l’île, on découvrira aussi le Cagou, cet oiseau typique de la Nouvelle-Calédonie… incapable de voler ! Le jeu reste peut-être un peu trop classique sur son gameplay, il aura cependant eu la bonne idée et le savoir-faire de ne pas sacrifier ce dernier sur l’autel de la leçon d’histoire-géographie, simplement en donnant à voir et à entendre, au détour d’une action dans le jeu, un peu d’une culture très peu représentée.
A Space for the Unbound : le quotidien indonésien
Beau succès de la scène indé de ce début d’année, A Space for the Unbound est un conte fantastique en pixel art dont le théâtre est une petite ville de la campagne indonésienne. Un peu comme dans Tchia, le studio Mojiken, qui signe le jeu, a le talent de distribuer des morceaux de culture indonésienne par petites pincées discrètes, qui remplissent leur mission de découverte sans venir troubler l’expérience de jeu.
Cela passe par les paysages, et quiconque a déjà visité les régions rurales de l’Asie du Sud-Est les reconnaîtra rapidement, de même avec l’architecture des rues, à laquelle le pixel art du jeu rend très bien justice. Mais cela passe aussi par les personnages, PNJ inclus. On croisera ainsi des étudiants en uniformes et des filles en hijab, l’Indonésie étant le plus grand pays musulman du monde. Au détour de l’une des énigmes, on découvrira le kerocong, une sorte de ukulélé typique du pays et de sa musique traditionnelle, ou encore la fête nationale indonésienne…
Encore une fois, cet aspect n’est que saupoudré sur le jeu, sans être au cœur de l’expérience, comme un bonus particulièrement appréciable dans une aventure dont l’écriture était déjà remarquable.
Des expériences qui ne sont pas nouvelles. On se rappelle ainsi de Never Alone, un platformer plutôt orienté jeune public qui avait, au cœur de sa narration, les traditions inuits. Le jeu était d’ailleurs accompagné de séquences documentaires sur le peuple Inuit et ses traditions. On pourrait aussi citer la volonté des jeux Assassin’s Creed d’être au plus proche des vérités historiques et architecturales, la façon dont les jeux Yakuza nous décrivent le Japon contemporain, ou les pastilles documentaires sur Carl Jung ajoutées à Persona 4 pour sa version Golden, voire remonter au CD-Rom Versailles 1685 !
Les aspects culturels de Tchia et de A Space for the Unbound ne sont donc pas tout à fait une révolution, au contraire. On notera néanmoins les sorties rapprochées de ces deux titres et, surtout, la façon dont l’aspect culturel-documentaire est complètement fondu dans le jeu et transmis tout naturellement par le gameplay. Signe que le jeu vidéo continue à mûrir, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour les années qui viennent ! Et puis, quoi de plus naturel en vérité que de faire d’un folklore local le lore d’un jeu, quand on sait que le terme « lore » vient justement du nom… « folklore » !