Jonathan Remoiville et Third Éditions nous gâtaient fin mars en publiant La Saga Suikoden – Une étoile au firmament du J-RPG, une occasion pour les néophytes comme pour les connaisseurs de découvrir les coulisses d’une saga de Konami qui aura marqué les esprits. À la différence d’autres séries comme Final Fantasy ou Dragon Quest, Suikoden propose des opus partageant tous le même univers, et construit de façon minutieuse sa mythologie, les relations géopolitiques qui façonnent son monde, et les histoires des personnages que le joueur sera amené à découvrir.
La saga Suikoden est à n’en point douter une œuvre avant-gardiste pour l’époque, dont la complexité et la cohérence de l’intrigue auront conquis une base de fans qui rêvent encore d’un nouvel épisode canonique, presque vingt ans après la sortie de Suikoden V. En attendant la sortie de Suikoden I&II HD Remaster, qui devrait normalement paraître cette année, La Saga Suikoden revient sur le scénario des différents opus, les détails de leur conception, la place de l’œuvre sur la scène du RPG et ses différentes influences.
Un alignement des astres
Avec justesse, Jonathan Remoiville nous décrit la position de Konami au moment de la création du premier épisode, alors à son âge d’or du milieu des années 90. Tandis qu’il s’était imposé avec des jeux d’autres genres, le studio décide de s’initier au genre RPG un peu tardivement : à ce moment-là Enix (Dragon Quest), Square (Final Fantasy), Sega (Phantasy Star) et même Capcom (Breath of Fire) sont déjà des acteurs reconnus d’un marché grandissant.
« La série a toujours été un outsider à côté des mastodontes de Square ou d’Enix, mais cela ne l’a jamais empêchée d’innover, de se distinguer de la concurrence en se posant les bonnes questions sur ce que cherchaient les joueurs de J-RPG, et parfois de s’approcher du million de ventes pour un épisode dans le monde entier. »
Dans cette volonté, Konami aura pu s’appuyer sur des créateurs passionnés dont le maître d’œuvre fut Yoshitaka Murayama. Le réalisateur des deux premiers volets s’inspira librement de l’épopée chinoise « Au bord de l’eau », roman-fleuve s’inspirant de guerres de clans du 12e siècle dont le jeu tire son titre : Gensô Suikoden, que l’on pourrait traduire en l’illusion du bord de l’eau.
On retrouve ainsi dans le jeu des concepts-clés du roman, sur lesquels Jonathan Remoiville revient à la fin de La Saga Suikoden, comme le sens du destin, l’impact direct et indirect de la guerre sur l’évolution des pays, le rejet du manichéisme par l’utilisation de perspectives multiples, et l’importance des relations entre les différents protagonistes de l’histoire, dont le nombre et la variété font la force.
« Au moment de créer le pitch de ce nouveau jeu, le réalisateur veut reprendre l’idée d’un casting très étendu avec de nombreuses individualités marquantes plutôt qu’un seul personnage principal entouré de sa petite équipe. L’expérience de Murayama dans les RPG lui fait dire que, à ses yeux, le protagoniste a beau mener l’intrigue, les personnages secondaires se révèlent mieux caractérisés et plus mémorables. »
Avec son scénario mêlant de façon idoine politique, drame et réalisme, Yoshitaka Murayama donne une profondeur au jeu qui saura le distinguer des autres productions de la même période.
Une constellation légendaire
Jonathan Remoiville nous précise aussi comment, pour des raisons notamment financières, les équipes de développement derrière les deux premiers épisodes font le choix de rester sur de la 2D, tandis que la plupart des autres studios ont déjà entamé le virage vers la 3D (avec, entre autres, un certain Final Fantasy VII). Qu’à cela ne tienne, Murayama propose une œuvre fourmillant d’idées originales : un sens du détail exacerbé ; des runes ayant un double rôle, à la fois dans le scénario et dans le gameplay ; des combinaisons de personnages permettant des attaques de groupe uniques ; des algorithmes bienvenus pour rendre le jeu plus appréciable (comme une réduction de la fréquence de combat lors des déplacements en ligne droite dans les donjons)…
L’une des constantes des Suikoden s’impose aussi dès le premier opus : le jeu se dote de trois types de combats dans un seul RPG, qui lui permettent d’avoir un rythme unique. Alternativement, il y aura ainsi des rixes au tour par tour, des batailles rangées au format de Tactical RPG, et enfin des duels rendant palpable l’intensité des moments clivants du jeu.
Avec intelligence, La Saga Suikoden – Une étoile au firmament du J-RPG nous détaille également l’influence de la fantasy dans la conception de l’univers de Yoshitaka Murayama. La construction des personnages selon l’axe loi-chaos de Michael Moorcock, chèr à Murayama, différencie notamment Suikoden des autres RPG de l’époque en nous donnant à voir des personnages sortant du cadre manichéen habituel.
Revenant sur l’ensemble des différents épisodes, Jonathan Remoiville souligne, malgré toute son affection pour la saga, que tous les opus n’auront pas fait preuve de la même qualité que les deux premiers, sans que l’on puisse leur retirer cette volonté de se renouveler en permanence.
L’écho des étoiles filantes
À travers ses cinq épisodes, la saga aura vraiment eu la trajectoire d’une étoile filante. Les deux premiers jeux, malgré leurs débuts modestes, auront acquis une aura de légende et se seront imposés pour leurs qualités respectives. Suikoden introduisait un nombre de personnages et une intrigue géopolitique encore incroyable à ce jour, tandis que Suikoden 2 confirmait l’inventivité de Yoshitaka Murayama avec un scénario inédit, cette fois complètement détaché du roman-fleuve « Au bord de l’eau ». Une prouesse d’écriture, signe du dévouement de son créateur, enjolivée par le côté plus stratégique du gameplay, qui marque cette volonté de préférer l’intelligence du récit à la course technologique.
La suite de l’histoire que nous raconte Jonathan Remoiville est toutefois plus compliquée. Le troisième opus (malgré les meilleures ventes de la saga) marquera le déclin de la série, dont l’excellent Suikoden V sera le chant du cygne. L’auteur revient sur les tentatives et errances des spin-offs et des opus canoniques ainsi que leurs ventes en déclin, avant d’évoquer ce dernier épisode, reconnu comme l’un des meilleurs de la saga, mais dont la rentabilité mitigée n’aura pas su convaincre Konami de se lancer dans une nouvelle aventure.
Presque quinze ans après sa sortie, alors que Konami délaisse le jeu vidéo pour des marchés plus lucratifs (jeux de cartes, machines à sous…) et malgré les tentatives du Suikoden Revival Movement, Jonathan Remoiville nous détaille enfin comment est né le projet Eiyuden Chronicles, avec à sa production une dream team du J-RPG (Murayama au scénario, Junko Kawano au character design, Junichi Murakami à la direction artistique, Michiko Naruke et Motoi Sakuraba à la musique…). Un projet kickstarter plébiscité, auquel on souhaite une réussite à la hauteur des attentes. Après « La Légende Final Fantasy IV & V », et « Qui est le Tisseur ? », Jonahtan Remoiville et Third Editions nous proposent encore une fois une œuvre riche, bien écrite, et sublimée par la passion débordante de son auteur.
Avec finesse et passion, Jonathan Remoiville décrit dans La Saga Suikoden comment cette série l’aura marqué et construit, bien plus que n’importe quel autre jeu. Premier projet qu’il avait proposé à Third Editions, il y a de cela quelques années, son livre sort finalement à point nommé alors que sont prévus pour cette année à la fois Eiyuden Chronicles, le successeur spirituel de la saga entièrement financé sur Kickstarter (preuve d’un amour inconditionnel des fans attendant de pouvoir se replonger dans cet univers), et le remaster HD des deux premiers épisodes.
S’appuyant sur une large bibliographie, Jonathan Remoiville revient sur la genèse du projet, l’évolution de Konami et sa gestion des différents jeux, l’influence de Yoshitaka Murayama sur l’œuvre avant et après sa direction, et sur les qualités d’une série dont le nom aura largement supplanté les ventes. Car même ceux qui n’ont jamais joué aux différents jeux ont déjà entendu parler des 108 étoiles, dont la lueur ne s’est jamais éteinte.
Test Eiyuden Chronicle: Rising – Un avant-goût fort plaisant
Drakyng
Eiyuden Chronicle: Hundred Heroes – L’ambitieux projet des créateurs de Suikoden
Linkas
Michel Ocelot : Le poète des ombres – Par-delà les contes
Loriynn