Après un appel au vote lancé le 1er septembre, les acteurs syndiqués de la Screen Actors Guild and American Federation of Television and Radio Artist (plus généralement appelée SAG-AFTRA), qui représente plus de 160 000 professionnels de l’audiovisuel à travers le monde, ont validé, presque unanimement, le projet de grève lancé dans le cadre des négociations de l’Accord sur les Médias Interactifs. Ce vote intervient dans le contexte de la grève des scénaristes, qui a trouvé sa résolution le 25 septembre, avec des résultats historiques.
L’Accord sur les Médias Interactifs est une suite directe du précédent accord avec des grandes entreprises du jeu vidéo, qui arrive à terme sans que les négociations n’aient abouti. Pour rappel, cet accord doit non seulement défendre des droits fondamentaux, comme la hauteur des salaires, mais aussi faire face à de nouveaux enjeux plus récents, comme le développement rapide de l’intelligence artificielle.
Alors, il n’est pas encore complètement question de faire une grève pour les acteurs. Pour l’instant, ce vote ne valide que le projet. Il signale au syndicat que les membres du secteur du jeu vidéo suivront en masse l’appel à la grève si l’état des négociations rendait ce rapport de force nécessaire.
Du 22 au 25 septembre se déroulait une cinquième phase de négociation entre le syndicat SAG-AFTRA et divers studios de doublage tels que Disney Character Voices, Formosa Productions (Call of Duty, Genshin Impact) ou Blindlight (The Elder Scrolls, Halo). Des studios entiers sont également concernés, tels que EA Productions ou Activision Productions.
Au sujet de l’échec des négociations, la SAG-AFTRA accuse « des termes inacceptables pour certains points critiques pour nos membres, tels que l’indexation des salaires sur l’inflation, une protection contre l’exploitation abusive des intelligences artificielles, ainsi que des précautions sécuritaires fondamentales ». La grève, qui n’est pas encore actée, est un nouveau poids dans la balance des négociations.
Ce vote intervient alors que la grève de la Writers Guild of America se résout avec un accord historique en faveur de ses acteurs. Au cœur de cet accord se trouve notamment une augmentation de 76% des revenus de droits résiduels internationaux. Ces droits résiduels concernent les services de streaming et se fondent sur le nombre d’abonnés aux service dans les différents pays. Plus intéressant pour le combat de la SAG-AFTRA, le texte acquis par la WGA place un précédent important dans la régulation de l’intelligence artificielle dans le processus de production.
Il y est explicité qu’il est interdit d’utiliser la production d’un employé pour développer son modèle d’intelligence artificielle. Il s’agit là d’une victoire certaine : il sera désormais impossible pour un studio de se former une banque de données légale pour nourrir les intelligences artificielles à partir des travaux créés par ses employés. Cependant, Karla Ortiz, une artiste au cœur du combat pour la régulation des intelligences artificielles génératrices de contenus, estime que le texte est lacunaire. Elle y voit beaucoup de failles exploitables par les entreprises.
Dans le cas présent, c’est un problème pressant, surtout pour les comédiens de doublage : ils sont nombreux à s’être déjà retrouvés dans l’obligation de prendre parti publiquement suite à l’utilisation de copies de leur voix sans autorisation. Pour rappel, ces intelligences artificielles génératrices de contenu, qu’elles créent de l’image, du son, ou du texte, fonctionnent toutes de la même manière. Elles se fondent sur un apprentissage automatique (machine learning) à partir d’immenses banques de données construites grâce à du contenu rassemblé sans se soucier du consentement des auteurs d’origine.
C’est l’un des principaux points d’arguments des détracteurs de ces générateurs : non seulement ces générateurs, s’ils ne sont pas régulés, mettent en péril de nombreux métiers, mais ils sont en plus construits sur des fondations qui ne sont pas légales, puisque très peu d’auteurs ont signé une clause qui autorisait cet usage. Beaucoup de sites, comme DeviantArt, placent alors une clause rétroactive, qui permet aux créateurs de refuser de voir leurs travaux placés dans ces banques de données.
Il s’agit de l’un des premiers enjeux de ce nouvel accord : l’accord précédent, signé en 2017, ne contenait aucune mention des intelligences artificielles, puisque c’est un problème relativement récent. Zeke Alton (The Callisto Protocol, Ratchet & Clank Rift Apart), un comédien de doublage faisant partie du comité des négociations, explique les enjeux de ces régulations.
Si nous ne mettons pas des barrières claires sur les limites pour s’assurer que notre carrière se maintienne, la technologie nous rattrapera et nous dépassera.
Sa première inquiétude concerne les débuts de carrière : selon Zeke Alton, ce sont les personnages secondaires qui se retrouveront doublés par des IA, des rôles où les jeunes comédiens se font leurs premières expériences en général. Les solutions offertes, même par la SAG-AFTRA, ne sont pas idéales pour ce genre de cas. Il sera difficile d’endiguer entièrement l’usage des IA, surtout lorsqu’on prend en considération qu’un certain nombre d’acteurs ne sont pas membres de la SAG-AFTRA, et ne seront pas protégés contre des usages abusifs de leur voix.
Zeke Alton mentionne notamment la mise en place d’un système qui rémunèrerait les acteurs à chaque fois que leur voix ou visage serait utilisé sans qu’ils n’aient enregistré quoi que ce soit pour le jeu concerné.
Le sujet des intelligences artificielles dans l’industrie créative est d’autant plus compliqué à prendre en compte que le grand public ne comprend pas forcément les enjeux qui s’y trouvent. En août dernier, un créateur de mods Skyrim avait utilisé une IA génératrice de voix pour mettre en scène des passages pornographiques. Il n’est pas rare non plus de voir des comédiens de doublage se plaindre d’une vidéo utilisant leur voix pour générer une reprise d’une chanson connue par un personnage dont il a créé la voix. Dans ces cas-là, les réactions du public sont bien souvent mitigées, puisqu’une partie ne comprend ou ne s’intéresse pas aux enjeux plus graves que ces usages représentent.
En plaçant un cadre légal autour de ces intelligences artificielles génératrices de voix, comme la WGA l’a fait pour le texte, la SAG-AFTRA pourrait réellement placer une limite à l’intelligence artificielle dans l’industrie créative. Nul doute qu’il s’agit d’un des enjeux majeurs des discussions en cours, en plus des questions déjà posées lors de l’accord de 2017 autour de la rémunération et de la sécurité des artistes concernés.
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