Il y a peu, votre serviteur fut pris d’une sorte de pulsion incroyable : relancer près de douze ans après le très décrié Resident Evil 6 ; non pas par simple masochisme, mais pour savoir si oui ou non le très pénible souvenir sur le jeu était encore aujourd’hui, avec le recul nécessaire, toujours justifié. Alors, la réponse à cette question est bien plus complexe qu’elle n’y paraît, car si on ne vous conseille nullement le jeu pour ce qu’il est, il faut comprendre ce qu’il représente, et le bouleversement qu’il créa pour la suite de la franchise.
Considéré comme le vilain petit canard de la licence, il est pourtant aujourd’hui vu par beaucoup de fans avec un peu plus de tendresse et de bienveillance, nous poussant à nous poser la question suivante : doit-on réhabiliter Resident Evil 6 ?
Resident Evil 650 personnes n’ont pas suffi
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de replacer un peu les choses dans leur contexte d’époque. La génération PS3/360 ne fut clairement pas une aubaine pour le jeu vidéo japonais, beaucoup parlaient de crise, qui selon nous était due avant tout à l’incapacité des studios à comprendre les nouvelles tendances qui accompagnaient cette ère inédite qu’était celle de la haute définition. Certaines grandes firmes iront même jusqu’à occidentaliser et donc délocaliser la production de jeux en dehors du Japon pour répondre au problème.
Néanmoins, Capcom parvenait à surnager dans ce marasme avec quelques anciennes et nouvelles licences, comme Street Fighter, Ace Attorney, Dead Rising, Monster Hunter, Devil May Cry et même Resident Evil. Mais même le grand « C » connut quelques gros échecs avec Lost Planet 2, Dark Void et le reboot de Bionic Commando pour ne citer qu’eux. Nous vous recommandons la lecture de cet article du Monde datant de 2010 et faisant état de la situation de l’industrie du jeu vidéo japonais à cette époque.
Cependant, et malgré des critiques en dents de scie, Resident Evil 5 cartonna lors de sa sortie en cumulant environ 4,4 millions de ventes sur consoles (le PC n’étant pas pris en compte) au 31 mars 2009, un record pour la franchise après à peine un mois de commercialisation. Débutèrent alors en grande pompe les six années de développement qu’allait nécessiter le projet le plus coûteux et ambitieux jamais lancé par Capcom, Resident Evil 6.
Dirigé par Eiichiro Sasaki, qui avait au préalable conçu les deux respectables Resident Evil Outbreak, ce sixième épisode se devait de mettre la barre encore plus haute que le précédent opus et pour y arriver, Capcom ne lésina pas sur les moyens mis à disposition de son nouvel homme providentiel. Outre les 150 personnes qui se sont affairées sur développement du jeu au Japon, près de 500 autres éparpillées dans le monde travaillaient activement au développement de ce qui était annoncé comme l’expérience Resident Evil ultime.
Un projet faramineux qui coûta une fortune à Capcom et qui, bien que n’ayant pas été un échec commercial, n’atteignit pas l’objectif de ventes fixé par la firme sur sa première année de sortie, qui était de 7 millions de copies vendues. La faute, vous l’aurez deviné, à nul autre que le jeu lui-même et surtout à une ambition mal maîtrisée qui s’avéra fatale.
Un jeu malade
Il n’est clairement pas question ici de refaire un test de Resident Evil 6, ni même d’en détailler tous les tenants et aboutissants. Oui, c’est un jeu généreux, proposant quatre campagnes jouables en coopération, avec même des séquences pouvant réunir jusqu’à quatre joueurs simultanément. Oui, chacune d’elle présente un challenge et des situations de jeu différents, s’appuyant toutes sur un opus précédent de la saga (ou presque). Oui, il propose probablement le gameplay le plus smooth et complet de la saga, tout en gardant les bases instaurées par le mythique quatrième épisode. Oui, on ressent tout du long que tout a été mis en œuvre pour offrir aux joueurs l’expérience action horrifique ultime.
Que pouvait-il mal se passer ? Des effectifs mobilisés en masse, six ans de développement, des ambitions incroyables qui s’accompagnent par le plus gros budget jamais débloqué par Capcom pour un jeu. Et pourtant, rien ne va. Resident Evil 6 est l’exemple parfait d’un projet qui s’autodétruit de par très précisément un éparpillement trop important des différents pôles de production et surtout à cause d’un management absolument pas à la hauteur d’une telle entreprise.
Aucune des quatre campagnes n’est satisfaisante. Le jeu use et abuse de gimmicks déjà éculés en 2012, comme ses très, très nombreux QTE, ses arènes interminables, ou encore ses scripts en pagaille qui cassent le rythme de l’aventure. Le jeu est clairement tourné vers l’action, pourtant tout du long l’équilibre entre ressources nécessaires et ce que l’on a est aux fraises, nous imposant des séquences au corps-à-corps des plus pénibles. À croire que même les équipes ne savaient clairement pas quelle orientation réelle donner à leur nouveau poulain.
Et encore, si ce n’était que ça ! Mais est-ce qu’il était nécessaire de vouloir de faire de ce Resident Evil LE jeu d’action réunissant quasiment tous les sous-genres que cette catégorie comprend ? Courses-poursuites en jeep ou en moto lors de séquences injouables et terriblement laides ; courses-poursuites en motoneige contre une avalanche ; dogfights en avion de chasse ; balade dans un wagonnet de mine ; prise en main d’un avion de ligne qui s’écrase en Chine; séquence sous-marine, on en passe et des meilleurs…
Le reste est bancal, mal pensé, d’une banalité affligeante et le jeu ne parvient qu’à de rares moments à se montrer un tant soit peu intelligent. Tant d’ambition, pour au final nous donner une sorte de salade mélangée du genre action dont la mayonnaise ne prend jamais vraiment. Il y a des problèmes partout, tout le temps. D’autant plus qu’en voulant faire de Resident Evil 6 un blockbuster calibré pour le plus grand nombre, en multipliant les séquences de bravoure dignes des plus gros actionners des années 80, Capcom brise en même temps à de trop nombreuses reprises notre suspension d’incrédulité.
Non pas que la saga soit réaliste de base, mais, et même si Resident Evil 5 commençait déjà à nous faire souffler quelquefois, cette suspension a toujours été maintenue, et on réussissait à accepter ce que l’on avait devant nos yeux ; alors que là, plus du tout. Ça part tellement fort, tellement vite, et il y a une surenchère si constante qu’au bout d’un moment, le nanar devient navet, tant on rit, non pas par plaisir, mais par désespoir, aussi parce que le jeu se prend vraiment trop au sérieux.
Le scénario, qui est au passage d’un ridicule effarant, est si premier degré que celui d’un film Transformers en devient une œuvre culturelle de premier ordre. On retrouve d’anciens héros, on nous en offre de nouveaux totalement transparents, hormis peut-être Jake dont le lien de parenté avec un autre personnage a dû donner des idées aux scénaristes de Star Wars IX, et surtout l’histoire est un bordel sans nom. Il y a trop d’intrigues différentes qui coexistent et forment un tout bâtard, à l’image du virus C, nouvelle souche de cet épisode.
Il est le symbole même de tout ce qui ne va pas dans le jeu. Ce virus C, on n’a toujours pas compris comment il fonctionne. Il occasionne près d’une dizaine de mutations différentes et tout cela peine à se montrer cohérent. Et alors que le bestiaire est plutôt réjouissant visuellement, prenant parti d’intégrer l’insecte dans sa mécanique de mutation, pourquoi certains se voient muter en sauterelles, alors que d’autres en scorpions ? Le pire étant le boss de fin de la campagne de Léon et Helena, Simons, qui lui passe du lion au T-Rex pour finir en mouche de la taille d’un petit immeuble au cours d’un interminable dernier chapitre.
Et pourtant, il faut y jouer
Et pourtant, il faut y jouer, oui ! Tout simplement pour toutes les raisons évoquées plus haut. Il est le symbole d’une industrie japonaise qui ne savait plus sur quel pied danser lors de la première génération de consoles HD et surtout celui de ce qu’est un véritable accident industriel moderne dans le jeu vidéo. Resident Evil 6 a, à lui seul, poussé toute une compagnie à revoir ses ambitions et sa proposition pour de futurs épisodes de la saga horrifique. Les ventes ont certes été plutôt bonnes, mais les critiques des joueurs, comme de la presse, ont pesé suffisamment lourd dans la balance pour que Capcom remette tout à plat et réfléchisse sérieusement au futur de sa franchise.
Ce sixième épisode est un tournant majeur dans l’histoire de cette fantastique épopée vidéoludique qui dure depuis presque trente ans. Il est le père contre-nature de Resident Evil 7 qui se voulait être un retour aux sources des fondamentaux de la série que sont la survie et l’horreur, sans pour autant oublier l’action. Plus intimiste, moins bordélique, RE7 est l’antithèse exacte de ce qu’est RE6, et si des choix osés ont été aussi faits lors de la conception de cet opus (la vue à la première personne par exemple), il est ce mea-culpa espéré par les fans à l’époque, sans pour autant être exceptionnel. Et on n’y aurait pas eu le droit sans ce titre si controversé et malade qu’est Resident Evil 6.
Alors, à la question posée en introduction de cet article, à savoir s’il faut réhabiliter cet épisode, la réponse est non. Par contre, il est un objet culturel important tant par ce qu’il représente que par ce qu’il a amené par la suite dans la saga, et il nous paraît donc important pour chacun, et pas forcément uniquement pour les amoureux de la franchise, de s’y essayer ne serait-ce que quelques heures.
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