S’il y a bien une chose que le jeu vidéo ne fait pas, c’est renié son histoire. Alors malgré le fait que notre média préféré commence à prendre de la bouteille et est bien loin de ce qu’il était à l’origine, il ne peut remettre en question son vécu, tant il est acteur de sa progression. Des erreurs ont été commises, des victoires remportées et aujourd’hui, on regarde tout cela avec nostalgie. Et parfois, cette mélancolie qu’ont les joueurs envers leurs expériences passées est exploitée par les faiseurs à des fins purement mercantiles, mais d’autres fois cela va plus loin que ça, car si un remake, un portage ou un remaster sont toujours pensés économiquement, ils sont aussi parfois fait avec passion et bienveillance.
A l’heure où une génération se finie et une autre commence, lumière sur cette « tendance » qui n’en est pas une et qui alimente notre média depuis bien plus longtemps qu’on le pense.
Avant d’entrée dans le vif du sujet, deux choses. Tout d’abord, nous ne parlerons pas de remaster ou de portages dans ce papier. Bien qu’étant évidemment des moyens de proposer un jeu déjà sorti sur un autre support ou sur une autre génération, ils ne sont pas des remakes à proprement parler.
D’ailleurs, nous avons déjà réalisé un article traitant de la différence entre les trois. Ensuite, non le remake n’existe pas dans l’écosystème vidéoludique depuis cette huitième génération de consoles. Comme exemple, on pourrait citer Resident Evil ou encore Metal Gear Solid qui ont tous deux eu le droit à d’excellents remakes sur Gamecube.
Mais il faut remonter aux années 80 pour voir apparaitre ce « phénomène » une première fois, avec de nombreuses restaurations de différents jeux provenant de divers supports sortir un peu partout. Il était surtout question pour les studios d’utiliser les nouvelles innovations technologiques et la sortie de toujours plus de machines puissantes pour peaufiner et approcher encore plus leur vision de base concernant un jeu, qui était alors, comme aujourd’hui, trop souvent bridé par ce qu’ils avaient entre les mains.
On pourrait prendre en exemple un certain RPG du nom de Ys qui a connu entre sa première sortie en 1987 sur PC-8801 et sa réédition en 1988 sur Nes une véritable refonte sur bien des aspects. Et si entre un jeu original et son remake il se passe bien de nos jours de longues années, ce n’était donc pas le cas avant.
Le procédé est donc présent depuis les débuts du jeu vidéo et n’est pas un « phénomène », mais bien un genre ou plutôt une façon de faire encrée dans les racines de notre médium. Sauf que les raisons et les besoins pour un éditeur ou un studio de faire ces remake ont évolué en parallèle du jeu vidéo. Si à l’époque c’était un moyen pour les développeurs de proposer une expérience renouvelée sur différents supports grâce aux avancées technologiques, aujourd’hui il est plus question d’images et de profits.
Nintendo ouvre la voie
Il faut d’ailleurs distinguer deux types de remakes. Celui fait par un studio tiers pour une ou des machines définies et celui fait par un studio first party pour un constructeur. Une troisième catégorie, plus actuelle et née récemment, est celle de la licence renaissante sur tous les supports, sacrifiant au passage son statut d’exclusivité sur une ancienne machine. Mais peu importe qui le réalise et pour qui, il nourrit plusieurs ambitions.
La première est de faire (re)découvrir aux jeunes (et anciennes) générations de joueurs de vieux jeux modernisés pour l’occasion. La seconde est parfois de déterrer une vieille licence pour la remettre au goût du jour, surfer sur son aura, tout en tâtant le terrain pour un futur jeu original. La troisième est pour soigner son image de marque auprès d’une fan-base demandeuse tout en glanant de nouveaux adeptes au passage. Et enfin, la dernière est tout simplement de capitaliser sur un nom pour faire de l’argent.
On retrouve là une logique commerciale forte qui apporte à l’éditeur (plus qu’au studio d’ailleurs) un gain économique important, ainsi qu’une rehausse de son image auprès du public, du moins si tout se passe comme prévu. Et tout ceci, on le doit vraiment à Nintendo. Car la firme japonaise a été véritablement la première a réalisé du remake interne, avec dès 1988 le portage du Mario Bros. de l’arcade à la Nes. S’en est suivi en 1993 un Super Mario All Star qui réinterprétait les quatre Super Mario sortis sur la génération précédente.
Voilà qu’était née une logique d’entreprise qui perdure encore aujourd’hui sur Nintendo Switch avec au hasard la sortie en 2019 de The Legend of Zelda: Link’s Awakening.
Mais d’autres développeurs comme Enix ou encore Capcom ont aussi été adeptes de ce genre de procédé très tôt. Dragon Quest I et II ont en effet connu deux remakes sur Super Nes, tout comme Mega Man: The Wily Wars sur Megadrive qui était une compilation de remakes des trois premiers Mega Man de la Nes. Une pratique très japonaise durant les années 90, mais n’y voyait pas là un quelconque jugement de valeur, car c’était tout ce qu’il y a de plus normal vu que la majorité de l’industrie se concentrait sur l’archipel.
Aujourd’hui, les choses sont bien différentes, les Occidentaux sont aussi de la partie et les Japonais sous-traitent même leurs remakes à l’extérieur de l’archipel, on prendra en exemple le Silent Hill: Shartered Memories de Climax, studio anglais.
Le remake à l’épreuve du temps
On a donc eu le droit de tout temps à de nombreux remakes. Certains réussissent comme Silent Hill: Shartered Memories (Silent Hill), Tomb Raider : Anniversary (Tomb Raider) ou encore Black Mesa (Half-Life) et d’autres beaucoup moins, comme dernièrement un certain Warcraft 3 Reforged qui réussissait l’exploit de faire moins bien que de nombreux mods amateurs.
Mais qu’il soit bon ou mauvais, on reste cependant la plupart du temps face à un réel travail d’auteur. Car au contraire du remaster ou du portage, l’équipe chargée de réaliser une nouvelle version d’un jeu déjà paru, va devoir poser son empreinte sur l’œuvre et la réinterpréter dans bien des aspects, du gameplay à la narration en passant par la direction artistique visuelle et sonore. Il se doit aussi de tenter de surpasser l’original, de créer un nouvel objet culte qui supplantera dans l’esprit des joueurs ce qu’était le matériel de base, ce dernier point étant probablement le plus difficile à accomplir.
Il reste néanmoins non obligatoire, car on n’attend pas d’un remake qu’il remplace, mais qu’il prolonge, réinvente une expérience passée et la modernise pour que chacun puisse y trouver son compte.
En cela, les années 2000-2010 ont été les plus fastes. On a vu naitre nombre de très bonnes restaurations, et on en verra surement encore bien d’autres. Pourtant une question demeure : pourquoi est-ce que le remake fait autant parler de lui aujourd’hui, alors qu’il existe depuis bien longtemps ?
Un demi-siècle plus tard
Notre hypothèse pour tenter de répondre à cette question est simple. Le jeu vidéo va sur ses cinquante ans si on considère que le premier d’entre eux est le Pong sorti en 1972. Notre médium arrive donc a maturité et une longue, très longue histoire est d’ores et déjà écrite. Car en tant d’années, ce qui n’était considéré que comme un simple jouet à ses débuts, est devenue aujourd’hui l’une des industries les plus puissantes au monde, tout en s’affranchissant de son statut de divertissement enfantin pour tutoyer l’art et faire partie intégrante de la pop culture moderne.
Il est alors important pour un objet culturel de ne pas oublier d’où il vient, son histoire, ses racines. Quoi de mieux alors que de remettre au goût du jour de vieux jeux vidéo pour les faire découvrir aux plus jeunes, tout en flattant la nostalgie des plus anciens ? Rien, bien évidemment. Et certains s’y donnent à cœur joie : Capcom et ses Resident Evil; Square Enix et ses Mana ou Final Fantasy; Nintendo et ses Zelda (Mario, Donkey Kong,…); Activision et son Crash Bandicoot; ou encore Sony et son Shadow of the Colossus. D’autres pourraient être cités, mais la liste est vraiment trop longue.
L’industrie est donc suffisamment mature pour comprendre les besoins des consommateurs et y répondre. On sait ce que veulent les fans, on sait ce qu’ils aiment et ont aimé, on est conscient du chemin parcouru et pour remercier les joueurs, on leur offre une petite madeleine nostalgique pour les rassasier. Le but étant aussi de les fidéliser, de leur montrer que l’on pense à eux et qu’ils peuvent être en confiance, tout en grossissant sa bourse et sa cote de popularité.
Après tout, la sortie de Final Fantasy VII Remake a totalement éclipsé les très longues années de flottement de Square Enix dans le cœur des fans ? Cela grâce a un seul jeu, un seul remake attendu comme le Messi par tous les joueurs d’époque. Il en est de même pour Capcom et Resident Evil 2 ou encore Activision avec Crash Bandicoot.
Le remake, une histoire d’images et de joueurs
Mais, car il y a un mais, le remake est très rarement réinterprétation d’un jeu ayant plus de deux ou trois générations d’écarts. Tout simplement parce que pour être pertinent, il se doit de parler aux joueurs. Qui se souvient des jeux obscurs, aussi bons soient-ils, sortis sur Amiga ou Amstrad CPC ? Des bons jeux Nes qui n’ont pas le statut d’œuvres cultes ? Personne ou presque, puisque les passionnés du secteur du jeu vidéo connaitront, mais ils ne représentent qu’une infime partie des joueurs aujourd’hui. L’industrie touche maintenant un public bien plus large que dans les années 80-90, et en ce sens, il faut penser le remake pour le grand public avant tout.
C’est pour cela que l’on voit fleurir à chaque coin d’écran du Resident Evil, du Final Fantasy, du Mafia, du Warcraft, du Tony Hawks, du Xenoblades, du Zelda ou encore du Donkey Kong. Ce sont des licences qui parlent à tous, même aux joueurs les plus jeunes, car même s’ils n’y ont pas joué ils ont la plupart du temps connaissance qu’elles existent. La montée du retrogaming et de l’émulation a aussi aidé le remake a se montrer plus en plus.
Tout simplement parce que cela a permis aux jeux les plus anciens de continuer à vivre dans l’esprit de tous et d’initier une nouvelle génération aux vieilles gloires de notre média. Et ces férus de retrogaming, les passionnés, les médias et autres influenceurs qui veulent se donner bonne image suffisent à encourager et supporter l’arrivé du remake.
Ils s’occuperont sur les forums, sur YouTube, Twitch ou encore dans la presse spécialisée de communiquer sur le jeu original et éveilleront alors la curiosité des profanes qui là aussi pour se donner une bonne image de vrais joueurs (pas tous, mais beaucoup d’entre eux) diront connaitre et achèteront le remake une fois sorti. Il est ici question comme toujours de marketing et d’influence. Là on touche à l’image de la marque, du studio, de l’éditeur et d’un constructeur parfois, qui n’aura juste qu’à annoncer le remake, balancer deux trois trailers et laisser la sauce monter en mettant un bon petit coup de com juste avant la sortie.
Un joueur aujourd’hui est confronté à sa propre vision du jeu vidéo. Le jeu vidéo est élitiste dans le sens où si tu ne connais pas telle licence ou tel titre, tu es souvent considéré comme inculte et juger par ceux qui se disent en toute intelligence connaisseurs. Depuis quelques années, ce phénomène est de plus en plus présent et le joueur se doit aussi d’être historien de son hobbies au risque sinon de passer pour « casual » ou inculte qui ne joue qu’à Call of Duty ou Fifa.
Le meilleur exemple de cela est Shenmue et la Dreamcast, car lorsque l’on parle de cette perle la plupart des gens disent l’avoir eux tout comme la dernière née de SEGA et si ça avait été le cas, l’entreprise japonais n’aurait pas été contrainte d’arrêter la fabrication de consoles. Image et bien paraitre, superficialité font aussi parti du joueur, une sorte de compétition de la fausse culture.
Et ça les éditeurs en sont conscients. Conscients que le secteur est ancré dans une sorte de dictature du savoir et du vécu. Ils jouent alors sur cela aussi pour élaborer des remakes et comme dit plus haut, laisser monter la sauce tranquillement. Tout le monde se dira enthousiaste, pressé de l’arrivée du jeu en magasin et joueront alors les panneaux publicitaires malgré eux, pour se faire bien voir. Les influenceurs, YouTuber, pour beaucoup d’entre assez incultes sur l’histoire du médium, vont finir de promouvoir l’objet de toutes les attentions pour se donner un genre et une légitimité aux yeux du public.
En passant, un jeune joueur qui ne connait les jeux que de son époque n’est pas moins intéressant qu’un autre qui a un très lourd bagage sur ses épaules, chacun est témoin de son temps.
Malgré tout, c’est de bonne guerre. Après tout, cette course à l’image n’a pas été créée par les éditeurs et constructeurs, mais bien par les joueurs qui ont voulu s’autocatégoriser via des critères superficiels et élitistes. Les faiseurs du jeu vidéo eux ne font que suivre cette mouvance, sans chercher a s’y soustraire, nous en convenons, et propose à la masse l’offre de leur demande.
En soignant au passage leur marque auprès du grand public, ils permettent aux joueurs de se congratuler autour de jeux anciens restaurés et modernisés. La plupart du temps en plus, ces remakes sont réussis, alors quoi demander de plus ?
Alors le remake, bonne ou mauvaise chose ?
De manière générale, on voit d’un bon œil l’arrivée d’un remake aujourd’hui, là où dans le passé, aussi à cause de mauvaises expériences cinématographiques, c’était tout le contraire. Et là c’est aussi grâce aux studios qui ne prennent généralement pas le procédé à la légère et nous pondent de véritables œuvres qui diffèrent suffisamment du matériel de base pour justifier un remake. Il suffit de voir Final Fantasy VII ou encore Resident Evil 2 et 3 pour s’en convaincre.
Les éditeurs ont compris qu’il est très important de mettre de l’argent, des ressources et des personnes compétentes qui ont une véritable vision dans de tels projets. Raté un remake peut d’ailleurs être catastrophique pour qui le réalise, suffit de voir le tollé que s’est mangé Blizzard après Warcraft III: Reforged ou encore Square Enix avec Secret of Mana.
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse à la question posée alors. Le remake existe et n’est pas un « phénomène » ou une « tendance » comme certains le disent, mais bien un procédé utilisé depuis les débuts du jeu vidéo. S’il est mis en chantier pour différentes raisons, principalement pour des raisons économiques et de communication, les éditeurs donnent tout de même aux studios les moyens de leurs ambitions, en grande partie tout du moins. Le résultat est souvent à la hauteur des attentes et même s’il peut ne pas plaire a une partie de la fan base originelle, on ne peut souvent pas dire qu’il est mauvais pour autant.
Alors si le remake permet aux jeunes joueurs de découvrir des pépites anciennes et poussiéreuses dans des versions réactualisées. De les rendre curieux sur l’histoire du jeu vidéo. D’apporter aux vieux routards un casse-croûte de nostalgie. De déterrer de vieilles licences pour ne pourquoi pas leur offrir un nouveau départ. En quoi est-ce un mal ?
Certes, certains y voient une solution de facilité, un moyen de se faire une bonne rentrée d’argent pour pas grand-chose, mais généralement quand on part avec ce genre d’état d’esprit, il en résulte un jeu qui bide et une réception catastrophique, quand ce n’est pas un bad buzz lors de l’annonce même du jeu (Prince of Persia : Les Sables du Temps peut en témoigner).
Finalement, chacun se fera son propre avis, mais ne soyons pas dupe, le remake fait partie d’un processus, d’une machine infernale qui mousse l’autosatisfaction aussi bien des joueurs que des éditeurs. Le remake, au départ moyen de réaliser une véritable vision est devenue au fil des ans un symbole de l’élitisme et de la dictature de pensée dans le jeu vidéo.
Le pire dans tout cela, c’est que ce sont ces mêmes joueurs qui pleurent le nombre trop important de restaurations qui vont les acheter day-one… Reste, au-delà de ce paradoxe, que ce que nous propose les studios, les éditeurs et constructeurs en termes de remake ces dernières années est franchement réussi, alors pourquoi s’en priver ? Le remake de Demon’s Souls ne s’annonce-t-il pas démentiel ?