Une différence de traitement symptomatique d’une différence de considération.
Les trois jeux les plus attendus de l’année sont sans conteste Cyberpunk 2077, Final Fantasy VII, et Resident Evil 3. Et deux sur trois sont des remakes. Sign’o the times, comme le chantait Prince, bien avant Harry Styles. Car le remake a plus que jamais la cote en jeu vidéo. Il n’y a qu’à voir comme une refonte de Dino Crisis est réclamée par les joueurs : une simple recherche Google sur le titre du jeu, et la moitié des résultats renvoient à ce fantasme d’un remake du classique de Capcom, sorti en 1999 (un autre morceau de Prince, mais c’est un pur hasard).
Quand on parle de remake, il faut le différencier du remaster, plutôt à la mode sur la génération précédente, et du reboot, qui a eu son heure de gloire, mais supplanté ces derniers mois justement par le remake. S’agissant du remaster, ce n’est qu’une simple réédition d’un titre ancien, avec une définition revue à la hausse (le remaster est souvent HD) et vaguement lissé graphiquement. Ce format était très en vogue sur PlayStation 3. La machine a ainsi hébergé toute une série de jeux issus de la ludothèque PlayStation 2 regonflés en 720p : Shadow of the Colossus, bien évidemment, les premiers Devil May Cry, Final Fantasy X, God of War I et II, les Jak & Daxter, les premiers Metal Gear Solid, les Kingdom Hearts, mais aussi Silent Hill 2 et 3 ou Beyond Good & Evil, et tant d’autres ! Le passage de témoin de la PlayStation 3 à la PlayStation 4 s’est d’ailleurs fait via ce genre de portages, avec les ressorties de GTA V, The Last Of Us, ou le reboot de Tomb Raider…
De reboot, justement, il est aussi question. Sans être exactement un remake, le reboot reprend de nombreux éléments d’un jeu, comme le scénario, les personnages et/ou le gameplay général, pour en faire un tout nouveau titre. Il s’agit non pas d’offrir une suite à une série, mais de tout reprendre à zéro. La saga des Tomb Raider est un des meilleurs exemples du genre. Après s’être engluée dans des épisodes comme Chronicles ou Angel of Darkness, et après s’être fait doubler sur son propre terrain par le challenger Uncharted, le reboot lui a permis de se refaire une santé en reprenant tout à zéro. Tomb Raider (1996) et Tomb Raider (2013) n’ont que peu de choses en commun et se ressemblent autant que, disons, des cousins.
Le remake lui, est censé être le « même » jeu que le titre original, mais remis au goût du jour. Parmi les premiers remakes, on notera les Yakuza Kiwami 1 et 2, remakes respectifs des deux premiers épisodes de la série. Les scénarios et le gameplay sont strictement identiques, mais le jeu a été complètement refondu graphiquement pour tourner sous le nouveau (à l’époque) moteur conçu pour Yakuza 0. Le résultat hybride donne un jeu plutôt vieillot dans son approche (map et liberté d’action assez restreintes, durée de vie un peu courte pour cette génération de machine, etc.), mais tout à fait actuel esthétiquement (finesse des modélisations et animations, éclairages, etc.).
Parmi les remakes notables, on citera Shadow of the Colossus, dans sa version PlayStation 4, qui a subi peu ou proue le même traitement que Yakuza, mais aussi Pokémon Let’s Go, qui est plus ou moins un remake qui ne tire pas son nom du premier jeu Pokémon, le magnifique Wonderboy: The Dragon’s Trap, véritable chef d’œuvre du genre, ou encore The Legend of Zelda: Link’s Awakening sur Switch.
Mais celui qui a représenté un véritable tournant dans l’industrie, c’est Resident Evil 2. Célébré dans toutes les cérémonies de remise de prix, le jeu, bien que remake, est régulièrement cité comme l’un des (si ce n’est LE) jeux de l’année 2019, et était le jeu le mieux noté par l’agrégateur Metacritic l’année dernière. Reprenant quasiment tous les éléments du titre original (scénario, personnages, et dans une certaine mesure, le gameplay), le jeu réussit malgré tout à se présenter comme une expérience totalement neuve, notamment en s’affranchissant des plans fixes. Entièrement en 3D temps réel, le jeu n’est plus le même, mais conserve la saveur du titre culte. Une réussite applaudie par les joueurs comme par la presse, qui risque de se réitérer avec les remakes de Final Fantasy VII (qui passera lui aussi d’écrans fixes à de véritables environnement 3D) et de Resident Evil 3.
Une unanimité qui pose toutefois question. Quelle que soit leur qualité, les remakes au cinéma sont régulièrement bashés bien avant leur sortie. Question de principe. Il s’agit de faire respecter une certaine « vision de l’auteur », forcément dénaturée par celui qui prendra la relève. Les exemples ne manquent pas, et le dernier en date concerne le futur remake de Maman, j’ai raté l’avion. Le film n’est pas encore tourné que le grand public s’est déjà fait son idée :
On se souvient aussi de l’accueil qui avait été réservé au remake de Ghostbusters, si chaleureux que l’une des actrices principales avait décidé de quitter les réseaux sociaux. Alors bien entendu, certains films « méritent » d’être attaqués (les films, pas les acteurs ou les actrices…), surtout quand ils sont médiocres (Les Visiteurs en Amérique ?), mais le réflexe surgit bien souvent indépendamment de la qualité du métrage.
Ainsi, très largement attaqué avant sa sortie parce que coupable d’être un remake (en fait, plus un reboot), mais aussi à cause de la signature de Michael Bay, Les Tortues Ninja s’est révélé être une comédie d’action plutôt plaisante, et de bien meilleure facture que ne le laissait entendre les attaques de ceux qui n’avaient pas vu le film ! Et pire, George Lucas lui-même se fait taper sur les doigts lorsqu’il remonte ou modifie quelques secondes de la trilogie originale de Star Wars pour y ajouter quelques effets spéciaux, ou pour faire coller le personnage d’Anakin Skywalker à la préquelle de 1999. Lui aussi dénature la vision de l’auteur ? Parce que, bon, l’auteur… c’est lui ! Ce constat vaut essentiellement pour les œuvres appartenant à la famille de la « pop culture ». Côté cinéphilie pure et dure, les choses se passent un peu différemment (on ne s’en prendra jamais à Michael Mann, dont la quasi-intégralité de la filmo est constituée de remakes…).
Cette posture de principe est interrogée par le film de Gus Van Sant, Psycho, sorti en 1998, et remake culotté, identique plan pour plan au Psycho d’Hitchcock (1960). Le film est une copie carbone de l’original. Et si ce dernier est un chef d’œuvre universellement reconnu, comment celui de Gus Van Sant, qui est donc exactement le même film, peut ne récolter que 38% sur Rotten Tomatoes (et même dix points de moins si on considère la note des utilisateurs) ? Qu’est-ce que le film de Gus Van Sant fait mal, et que celui d’Hitchcock fait, lui, bien, sachant que les deux films font la même chose de la même manière ?
Vaste débat qui rejoint celui de la reappropriate, le mouvement artistique, et qui ne trouvera bien entendu pas de réponse ici. Par contre, nous avons une certitude. Et si, plutôt que de tourner un remake de Psycho, on avait ressorti l’original en le recadrant en 16/9 ? Autrement dit, en coupant deux petites bandes d’images au-dessus et en-dessous, pour adapter le cadre aux écrans actuels ? Nous pouvons être persuadés que public comme professionnels auraient crié au scandale, au blasphème, et rappelé l’industrie à son devoir de respect de l’œuvre et de l’auteur… Pourtant, n’est-ce pas un peu la même chose quand Capcom supprime les écrans de chargement avec les portes qui s’ouvrent dans Resident Evil ? Le gimmick est un marqueur identitaire fort de la série, et le supprimer, c’est l’amputer un peu… Tout comme passer de plans fixes à une caméra plus libre. S’il y a bien un endroit où l’on touche à la sacro-sainte « vision de l’auteur », c’est là ! Alors que les développeurs originaux nous imposaient un point de vue, un angle de caméra, nous voilà en capacité de l’ignorer pour placer notre caméra ailleurs, comme bon nous semble…
Alors pourquoi ce qui est tabou au cinéma est applaudi dans le jeu vidéo ? Sans doute parce que ce dernier n’est pas encore tout à fait considéré comme appartenant au monde très select de l’art. Si le cinéma y a définitivement fait son trou, le jeu vidéo, lui, est encore vu comme un loisir, et un produit technologique. En tant que tel, il peut être amélioré, il est même exhorté au progrès. Plus un jeu aura de polygones, meilleur il sera ! Alors que les noirs et blancs – limitation technique d’une époque – de certains classiques du cinéma seront admirés, qualifiés de « magnifiques », les polygones lo-fi et crénelés des premiers jeux en 3D auront, eux, « mal vieilli ». Les développeurs sont ainsi vus comme des techniciens, et pas comme les artistes que sont les réalisateurs de cinéma. Paradoxalement, nous, joueurs, maintenons à notre corps défendant le jeu vidéo dans cette situation de « gadget tech » en louant le travail effectué sur des remakes comme celui de Resident Evil 2 (travail qui mérite toutes nos louanges, là n’est pas la question !).
Des figures de créateurs ont néanmoins émergé ces dernières années, avec la reconnaissance de leur « vision » artistique : Hideo Kojima, Suda51, David Cage… On peut aussi heureusement compter sur le monde de l’indé pour essayer de changer les choses. Un jeu comme Return of the Obra Dinn, qui singe les limitations graphiques d’une machine du début des 80s, nous montre ainsi que la réussite d’un titre se trouve au-delà de ses performances technologiques. Pour continuer le parallèle avec le cinéma, on peut y voir une démarche très proche de celle d’un film comme The Lighthouse, de Robert Eggers, filmé en noir et blanc, en 4/3 et en 35 mm. Il faut maintenant que le grand public s’empare de la démarche. Ce qu’il semble avoir commencé à faire, à en juger par la frontière de plus en plus mince entre indés et jeux des grands studios.