Depuis quelques semaines, l’heure est au bilan pour le jeu vidéo. Alors qu’on a pu voir les chiffres toujours aussi exceptionnels de Nintendo, reboostés par la sortie événement de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, prouvant une nouvelle fois que la Switch est l’une des machines de salon les plus endurantes commercialement parlant (talonnant même les niveaux indécents de la PlayStation 2), c’est à présent à des résultats plus globaux que nous avons affaire. En effet, le SELL (Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs) vient de publier son rapport sur l’état du marché vidéoludique en France pour 2022 et, comme on s’en doutait un peu, il se porte extrêmement bien.
Pour autant, le SELL nous rapporte que le chiffre d’affaires global (tous supports confondus, donc) du jeu vidéo en France est en déclin de 1,6 %, soit environ 100 millions d’euros de moins. Si l’écosystème PC a connu un net regain de forme, c’est plutôt du côté des consoles que cette (légère) chute est à imputer, avec une diminution de chiffre de 6,6 %, causée notamment par la difficulté pour le grand public de se procurer les machines de nouvelle génération (- 10 % sur ce segment). Enfin, rassurons-nous, avec un chiffre d’affaires global à plus de 5,5 milliards, il n’y a vraiment pas péril en la demeure, surtout maintenant que les Xbox Series et PlayStation 5 sont devenues facilement accessibles.
D’ailleurs, sur ce marché juteux, c’est, sans grande surprise, le jeu vidéo sur consoles qui se taille la part du lion avec ses 46 % de part de marché, tandis que le PC et le mobile se partageant équitablement le reste. Et c’est maintenant qu’on va commencer à s’attaquer aux chiffres qui fâchent. N’avez-vous pas entendu, ces dernières semaines, et même depuis plusieurs années en réalité, cette musique désagréable, où certains « experts » nous annoncent à grand renfort de pourcentages que le jeu vidéo physique est déjà mort ?
Rétablissons donc un peu d’honneur et balançons quelques banderilles à ces idées reçues. Non, le jeu vidéo physique n’est pas mort, loin de là même. Alors certes, d’après le rapport annuel du SELL, la partie dématérialisée comptait en 2022 pour 82 % du marché total. Cependant, si on y regarde de plus près, ce 82 % inclus, en plus de l’écosystème console, ceux du PC et du mobile sur lesquels le jeu vidéo physique est inexistant ou presque. Dans ce cas, pourquoi les inclure dans ce graphique dont la pertinence nous semble douteuse ? Cela donne, selon nous, un mauvais signal et pousse à accentuer une tendance, en fournissant des armes bien fourbes aux fossoyeurs de disques.
D’autant qu’en regardant dans le détail, on s’aperçoit que cette tendance vendue par les éditeurs et constructeurs n’est pas si évidente et marquée. En effet, nous pouvons constater que l’argent généré par les formules d’abonnement, type Game Pass ou PlayStation Plus, ont connu une chute de 10 % par rapport à 2021 et que les ventes de jeux vidéo dématérialisés ont, elles, chuté de 13 %. Conséquence directe, le jeu vidéo physique a regagné du terrain en 2022, grignotant 4 % par rapport à son pendant intangible, se partageant donc à présent le marché à 38 % pour le matérialisé contre 62 %.
Il est certes possible que l’on ait affaire là à une exception culturelle, nous autres Français étant globalement plus attachés au physique que nos voisins anglais pour ne citer qu’eux, et que cette hausse des achats matériels ait probablement aussi été permise par la fin des confinements sur notre territoire. Il n’empêche qu’il serait bon de ne pas enterrer trop vite le physique et de ne pas oublier qu’aucun des deux n’est complètement meilleur que l’autre et qu’il serait bon qu’ils cohabitent… du moins, si on leur en laisse la chance.
D’ailleurs, on peut observer aussi que le jeu vidéo physique n’est pas tant à l’agonie que ce que l’on voudrait bien nous faire croire lorsque l’on s’intéresse de plus près aux meilleures ventes vidéoludiques de l’hexagone. En effet, le SELL nous apprend par exemple que FIFA 23, la meilleure vente de 2022, réalise un score de 1,08 millions d’exemplaires en format physique sur un total de 1,76 millions en tout (soit 61 % environ). Et oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, le physique est majoritaire pour FIFA 23 en 2022. On est loin du 90 – 10 en faveur du numérique claironné ici et là.
Même constat pour Call of Duty: Modern Warfare 2 avec ses 414 780 copies physiques écoulées pour un total de 791 338 unités (52 %). On obtient un ratio similaire avec le GOTY de 2022, Elden Ring, avec 51 % de part de marché du matérialisé (que ce soit en valeur ou en volume). Même son dauphin, God of War: Ragnarök, présente un ratio extrêmement en faveur de la version disque avec presque 75 % de part de marché. Et pourtant, de toute part, on entend que le jeu vidéo physique est minoritaire…
Encore une fois, il est bien possible que la France fasse figure d’exception, mais ces chiffres du SELL restent assez édifiants quant au ressenti que l’on peut avoir du marché et la réalité des faits. Qu’en sera-t-il l’an prochain, maintenant que le marché s’est stabilisé et que la crise sanitaire comme les pénuries sont derrière nous ? Est-ce que, sous les coups de boutoir des éditeurs, la partie du dématérialisée continuera sa marche en avant ? Nous aurons probablement déjà un premier indicateur avec la sortie très prochaine d’Alan Wake 2, proposé uniquement sur les stores numériques, qui enverra probablement un signe, dans un sens ou dans l’autre, à une bonne partie de l’industrie.