Fiche de perso est une nouvelle rubrique dans laquelle nous allons tirer le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. Pour ce premier numéro, on s’attarde sur la carrière de Marcin Iwinski en amont de la sortie de Cyberpunk 2077.
Des jeux piratés au titre le plus attendu de l’année
Marcin Iwinski est l’homme qui a créé CD Projekt. Si la société est aujourd’hui mondialement reconnue, et tutoie les Rockstar ou autres Naughty Dogs, son histoire, loin de l’ambition d’un Cyberpunk 2077, a débuté sur les marchés aux puces de Varsovie, alors tout juste sortie du « socialisme » à la sauce URSS. L’histoire de CD Projekt fait écho aux success story d’Apple ou de Facebook, qui ont commencé avec un tout petit ordinateur et beaucoup de passion, les trahisons en moins.
ZX Spectrum et socialisme
Si Marcin Iwinski n’est pas né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, il a pourtant bénéficié d’un petit avantage sur ses compatriotes : son père était documentariste, et voyageait avec beaucoup plus de facilités que le Polonais lambda dans les années 80. C’est ainsi que le petit Marcin s’est vu offrir un ZX Spectrum importé à une époque où ce genre de matériel était extrêmement compliqué à trouver dans le pays. Et c’est aussi comme ça qu’est née sa passion du jeu vidéo.
Tout comme les machines, les jeux n’étaient pas distribués en Pologne. En tous cas, pas légalement. Pour se fournir en jeux, Marcin Iwinski répondait à des annonces qu’on trouvait dans les magazines d’informatique et jeux vidéo d’Europe de l’ouest. Les joueurs les plus anciens, qui ont tâté de l’Atari ST ou de l’Amiga, savent de quoi on parle : on trouvait ici aussi en France de nombreuses petites annonces qui proposaient des listes de jeux contre un timbre. Liste qui contenait des collections de jeux piratés, copiés sur disquettes vierges, pour 10 ou 20 fois moins cher que les jeux originaux.
C’est en acquérant ainsi ses jeux étant plus jeune que Marcin Iwinski aura sans le savoir donné la première impulsion à sa carrière. Devenu adulte, sa passion ne s’était pas tarie, et il était décidé à travailler dans le domaine du jeu vidéo. Et de la même manière qu’il importait des copies pirates de jeux étant plus jeune, il créa en 1994 avec son copain de lycée, Michal Kicinski, une société qui allait importer des jeux pour les distribuer en Pologne. Pour le nom de sa société, il s’inspira de la révolution que connaissait le jeu vidéo à ce moment-là : l’arrivée du compact disc. CD Projekt était né.
A trad’s tale
Le premier succès de la société lui sera encore inspiré du piratage. Alors qu’il distribuait légalement des jeux étrangers, Macin Iwinski subissait la concurrence effrénée des marchés aux puces et leurs stands de jeux pirates. Dans une économie qui fermait les yeux sur ces pratiques, Iwinski devait apporter une plus-value à ses imports s’il voulait convaincre les joueurs de se tourner vers lui.
C’est ainsi qu’est née l’idée de localiser Baldur’s Gate. Les jeux piratés étaient en effet la plupart du temps en anglais, dans un pays où le russe était la LV2 largement dominante. Une traduction en langue locale allait ainsi apporter un plus non négligeable aux copies légales de CD Projekt. Ajoutons à cela que Baldur’s Gate était distribué sur 5 cds, multipliant par autant les coûts pour les pirates, rendant plus compliqué pour eux de vendre le jeu à des tarifs aussi bas que d’habitude. Marcin Iwinski tenait ainsi un très probable hit.
Et en effet, les ventes atteignirent des chiffres qui allaient bien au-delà de ses prévisions. CD Projekt était lancé. C’est en s’étant vu confier le portage PC de Baldur’s Gate: Dark Alliance (qui ne se fera jamais) que CD Projekt développa l’envie de programmer leur propre jeu. La suite, on la connaît : la compagnie misa sur une gloire nationale, Andrzej Sapkowski, le « Tolkien polonais », en réussissant à racheter les droits d’exploitation de son œuvre à une obscure compagnie qui avait abandonné l’idée de développer un jeu mobile basé sur les créations de l’écrivain.
Sans être un méga-hit international, The Witcher connut le succès, offrant une certaine aise financière à CD Projekt, en même temps qu’un nom sur la scène. Si la tentative de portage du jeu sur consoles a failli ruiner la société, The Witcher III sera le game changer que tout le monde connaît. Devenu une référence de l’open-world, le jeu sera une réussite totale et placera la compagnie très haut sur le podium des grands studios de développement contemporains.
Les derniers chiffres publiés évoquent un staff de plus de 600 personnes employées par les studios, tandis que CD Projekt était valorisé à plus de 2 milliards d’euros en 2017 et est à l’aube de sortir le jeu le plus attendu de l’année. Malgré une réussite qui peut donner le vertige, et si on n’évitera probablement pas les scandales autour du crunch à la sortie de Cyberpunk 2077, on retrouve encore aujourd’hui les racines du piratage, du marché aux puces et du boulot effectué sur Baldur’s Gate dans GOG (pour Good Old Games), la boutique numérique de CD Projekt, qui vend, souvent à bas prix, des jeux devenus difficiles à trouver, remasterisés, et sans DRM… Voir le travail de fourmi de rétro-ingénierie effectué sur Blade Runner !