Ces derniers temps, les annonces et découvertes sur l’engagement de l’industrie du jeu vidéo dans les NFTs pleuvent. La semaine dernière, ce ne sont pas moins de quatre entités qui y ont été associées : The Pokemon Company, Yu Suzuki (Virtua Fighter, Shenmue), PlayStation, et Square Enix (avec leur projet Symbiogenesis). Pourtant, ce n’est pas faute d’un rejet de ces projets de la part de la majorité des joueurs.
D’abord, remettons un peu d’ordre. Parmi les annonces récentes, nous avons The Pokemon Company, qui recherche un directeur de développement d’entreprise ayant des connaissances en la matière, Sony Interactive Entertainment, qui a publié un brevet appelé « Structure NFT pour transférer et utiliser des assets entre différents jeux et plateformes », Yu Suzuki, qui prépare des NFTs avec OASYX pour Virtua Fighter, et Square Enix qui sort un premier teaser sur Symbiogenesis, leur jeu à base de NFT.
Chacune de ces propositions a reçu des réponses négatives de la part du public : les NFTs sont quelque chose qui, depuis 2021, ne passe pas. Au-delà de l’aspect un peu nébuleux que peut avoir le concept, c’est le fondement même des projets de jeux vidéo à NFT qui coince. En effet, en son cœur, c’est la notion même de possession qui est redéfinie avec les NFTs : il s’agit d’imaginer une possession, unique, dématérialisée. Dans les faits, c’est comme un reçu de transaction.
En fait, ce qui oppose les joueurs de jeux à NFTs – car oui, ils existent déjà – aux joueurs de jeux traditionnels, c’est leur intérêt à jouer. Un joueur de jeu dit « classique » va jouer pour se détendre, devenir meilleur à un jeu qu’il aime bien. Un joueur de jeux à NFTs va voir son temps de jeu comme un investissement. On pourrait imaginer deux catégories, « jouer pour la détente » et « jouer pour gagner des sous ». C’est quelque chose que le président de Square Enix, Yosuke Matsuda, a bien compris, puisqu’il l’exprimait déjà dans sa lettre de vœux 2022 :
« Je me rends compte que certaines personnes qui « jouent pour s’amuser » et qui forment actuellement la majorité des joueurs ont émis des réserves à l’égard de ces nouvelles tendances, et c’est compréhensible. Cependant, je crois qu’il y aura un certain nombre de personnes dont la motivation sera de « jouer pour contribuer », c’est-à-dire d’aider à rendre le jeu plus excitant. Le jeu traditionnel n’a offert aucune incitation explicite à ce dernier groupe de personnes. »
Les jeux à NFTs, ne sont, de fait, que l’application au jeu vidéo d’une logique, plutôt toxique, apparue ces dix dernières années : il faut monétiser tous nos passe-temps, et être productif, constamment, tout le temps, tous les jours. Si on aime dessiner, alors on doit forcément vouloir prendre des commissions, créer et vendre des objets avec ses propres designs. Si on aime créer de petits objets, alors on doit forcément vouloir les vendre. Si on aime faire de la vidéo, alors on doit forcément vouloir les publier sur YouTube et rentrer dans la course aux chiffres. Si on aime jouer, alors on doit forcément vouloir rentabiliser son temps passé sur sa console.
On retrouve trois types de jeux populaires dans les jeux à NFTs : les jeux de cartes, les jeux type « bac à sable » semblables à Minecraft, et les jeux de collection de monstres.
L’exemple le plus parlant de cette logique, c’est le jeu Axie Infinity, qui fonctionne comme Pokémon, une couche de spéculation financière par-dessus le tout. Chaque Axie – une petite créature que l’on peut collectionner et faire combattre – est représentée par une ligne de code unique. En gagnant des combats, les joueurs accumulent une crypto-monnaie qu’ils peuvent ensuite revendre pour de la monnaie traditionnelle.
C’était, au départ un business très lucratif : un article de mars 2022 dans le Forbes décrivait les gains du jeu comme étant capables de changer des vies, capables de sortir des joueurs de la pauvreté, en citant l’exemple d’un joueur de 22 ans qui avait pu s’acheter deux maisons avec ses gains.
Au-delà des similarités de ce genre de description avec une description de casino, l’histoire d’Axie Infinity ne s’arrête pas là, et présente un danger très sévère, qui n’est pas du fait des développeurs en soi : les risques de hack. Suite à l’article du Forbes, le jeu Axie Infinity a été victime d’une attaque, qui aura coûté aux joueurs plus des deux tiers de leurs investissements et gains potentiels.
Revenons à nos grands éditeurs, qui eux cherchent à impliquer les NFTs dans leurs sorties, et sortons des inquiétudes idéologiques. Les grands éditeurs sont-ils à l’abri d’une telle démarche ? Rien n’est moins sûr : il suffit de voir les différents incidents liés au PlayStation Network, ou même la brèche toute récente chez Nintendo, qui a pris des mois à être patchée tout en laissant leurs utilisateurs vulnérables.
Le Symbiogenesis de Square Enix, quant à lui, semble se diriger vers la collection d’objets, au vu de la très courte bande-annonce diffusée la semaine dernière. Sans le moindre mot, on y voit un terrain se construire, des arbres s’y planter… Choix judicieux, quand il n’y a pas réellement de projets par de grands éditeurs mis en place sur le milieu de la collection d’objets. Enfin, ça, c’est pour l’instant.
Cela dit, face à l’exemple d’Axie Infinity, il paraît évident, mais pas moins inquiétant, que The Pokemon Company s’intéresse au concept. Et même, au-delà, Pokémon est peut-être une des licences de pop-culture avec un système de spéculation financière les plus évidents et efficaces : il suffit de s’intéresser aux cartes pour le voir. Des projets NFTs ne seraient qu’une traduction de cet aspect dans les projets numériques de la firme.
Inquiétant, car Pokémon n’est pas n’importe quelle licence de jeu. Son cœur de cible – même si ce n’est pas forcément, de manière individuelle, ceux qui payent le plus –, ce sont les enfants. Enfants, qui sont très manipulables et n’ont pas forcément l’expérience ou le contrôle de soi nécessaire pour se limiter dans leurs dépenses. Il suffit de voir l’exemple de Fortnite, ou même de jeux à gacha comme Genshin Impact, pour voir la manière dont les transactions internes à des jeux peuvent dériver, et impacter les joueurs, en particulier les jeunes joueurs.
Si l’on se permet un commentaire plus idéologique, on pourrait pointer du doigt l’ironie d’un jeu comme Pokémon, qui met autant l’écologie au cœur de ses thèmes, se résoudre à potentiellement impliquer l’une des technologies les plus critiquées sur ce point-là.
Sony Interactive Entertainment sont, dans les annonces de la semaine dernière, peut-être ceux avec le projet le plus clair et intéressant, pour peu que les NFTs intéressent le public. On peut lire, dans le résumé du brevet :
Comme reconnu ici, dans certaines applications, comme les jeux vidéo, un NFT pourrait représenter un dessin ou un bien dans le jeu (comme un personnage, une arme, ou un autre bien), mais les systèmes actuels sont inadéquats pour permettre aux utilisateurs d’utiliser le bien à travers diverses plateformes.
Cela souligne un intérêt pour la technologie, mais un intérêt qui n’est pas réalisable immédiatement. D’autres utilités imaginées pour les NFTs incluent le transfert de biens d’utilisateur à utilisateur.
Pour autant, déjà l’année dernière, ces usages étaient critiqués par des personnes connaissant le milieu. Molly White, une autrice avec un blog dédié au sujet, avait notamment mentionné :
« L’idée qu’utiliser des NFTs dans les jeux, d’une manière qui ne soit pas déjà implantée à travers l’achat d’objet – cela ne m’avait pas été expliqué clairement […] Pourquoi voudrait-on utiliser un fusil de Call of Duty dans un jeu comme Animal Crossing ? »
Cet argument est quelque peu fallacieux : Molly White fait ici une association de jeux volontairement éloignés, mais on pourrait imaginer des communications de contenus payants entre différents jeux plus proches. Mais d’un autre côté, pour ce qui est de l’acquisition de biens et de la revente, c’est effectivement quelque chose de déjà courant dans certains jeux. On peut, par exemple, penser aux skins de CS:GO : quelle différence y aurait-il, de manière concrète si on y implantait des NFTs ?
Dans ce sens, peut-être que Sony Interactive Entertainment est celui qui se pose les questions de la manière la plus intéressante, sans s’y jeter avec des projets bancals comme a pu le faire Ubisoft, ou comme risque de faire Square Enix avec Symbiogenesis.
Et c’est bien ça, la question : comment faire en sorte que les joueurs acceptent les NFTs ? Est-ce possible qu’ils les acceptent ? Est-ce nécessaire ? Malheureusement, tout tend à faire croire que les éditeurs sont prêts à s’empêtrer dans une logique qui n’attire pas forcément les joueurs, et qui ne fonctionne pas, comme le prouvent des projets comme Ghost Recon Breakpoint d’Ubisoft, qui n’a pas été mis à jour depuis plus d’un an.
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